Privatisations des grands barrages : l'État sans stratégie
Question de :
M. Louis Aliot
Pyrénées-Orientales (2e circonscription) - Non inscrit
M. Louis Aliot interroge M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le scandale de la privatisation des grands barrages. Le jeudi 14 septembre 2018, France 2 diffusait un reportage relatif au barrage de Vouglans (Jura). Selon plusieurs experts, le barrage présente un risque de rupture quasi-instantané avec une libération immédiate de 600 millions de mètres cube d'eau, qui pourraient alors engloutir une cinquantaine de villages situés en aval et placeraient la ville de Lyon sous 6 mètres d'eau. Par ailleurs, ces eaux pourraient endommager quatre centrales nucléaires, dont Bugey, située à 35 kilomètres en amont de Lyon. Un risque immense qui ne semble pourtant pas pris au sérieux au sommet de l'État. En effet, le Gouvernement a décidé de la privatisation des barrages français à l'horizon 2002, répondant de ce fait à une exigence de la Commission européenne. Tous les grands barrages de plus de vingt mètres de haut seront donc vendus. Il s'agit ici d'une trahison de l'État, du moins ce qu'il en reste, le secteur hydroélectrique étant éminemment stratégique, et demandant, de plus, une surveillance de tous les instants. Ce secteur fournit à lui seul 12,5 % de la production d'électricité française, et près de 70 % des énergies renouvelables, en plus que d'être peu onéreux (de 20 à 30 euros le MWh). Les centrales hydroélectriques fournissent aussi 66 % de la capacité d'appoint rapide (moins de deux minutes) lors des pics de consommation (le reste est assuré par les centrales thermiques), et les barrages, par leurs réserves d'eau, compensent l'intermittence des autres énergies renouvelables et, inversement, en cas de surplus de production de ces dernières, reconstituent leurs stocks par pompage. Leur entretien complexe nécessite un personnel ultra-qualifié bien plus que la vaine course au profit provoquée par l'idéologie de la « concurrence libre et non faussée ». Jean-Louis Chauzy (président du Conseil économique, social et environnemental d'Occitanie) déclarait ainsi dans les colonnes de La Dépêche du Midi au mois de mars 2018 : « Nous sommes le seul pays en Europe visé par Bruxelles. L'Europe, au nom de la « concurrence libre et non faussée » impose spécialement à la France le renouvellement des concessions hydrauliques en pointant la position « trop dominante » d'EDF sur ce marché. Or, plus d'un million de clients ont changé de fournisseur en 2017, preuve que la concurrence sur le marché de l'électricité existe bel et bien ! Cet argument est donc fallacieux. Dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, les membres du susmentionné CESER ont expliqué que les barrages étaient « un service public d'intérêt général que reconnaît dans les textes l'Union Européenne » appartenant au patrimoine industriel de la France. Certains accents rappelaient même ceux de la formation politique dont M. le député est issu : « Les concessions hydroélectriques doivent rester dans le périmètre du service public de l'énergie ! Le Président de la République doit être le garant de l'intérêt général d'un État stratège sachant défendre nos intérêts ». On est en droit de se demander quelle politique le Gouvernement mène véritablement, et quels intérêts il sert, quand il se soumet dès que possible aux injonctions de technocrates non élus et peu à même de comprendre les besoins infrastructurels français, lesquels répondent à des mécanismes et des logiques territoriales d'une infinie complexité, déjà compris par Fernand Braudel. Il souhaiterait donc connaître ses intentions sur le sujet.
Réponse publiée le 23 avril 2019
La Commission européenne a adressé en octobre 2015 une mise en demeure aux autorités françaises au sujet des concessions hydroélectriques. Elle considère que les mesures par lesquelles les autorités françaises ont attribué à EDF et maintenu à son bénéfice l'essentiel des concessions hydroélectriques en France sont incompatibles avec l'article 106, paragraphe 1er, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lu en combinaison avec l'article 102 de ce traité, en ce qu'elles permettraient à l'entreprise de maintenir ou de renforcer sa position dominante en France sur les marchés de fourniture d'électricité au détail. Le Gouvernement continue de contester le raisonnement selon lequel la possession de moyens de production hydroélectriques entraîne mécaniquement une rupture d'égalité sur le marché de la fourniture d'électricité au détail et le fait qu'il aurait accordé un quelconque avantage discriminatoire à EDF. Le Gouvernement met également en avant les enjeux sociaux, économiques et écologiques majeurs liés à l'hydroélectricité, et en particulier à la gestion de l'eau et à la sécurité des ouvrages. Dans le cadre des échanges avec la Commission européenne, le Gouvernement défend une application équilibrée de la loi de transition énergétique, qui a consolidé le régime des concessions et garantit le respect des enjeux de service public de l'hydroélectricité française, grâce à plusieurs outils : le regroupement des concessions dans une même vallée, la prolongation de certaines concessions dans le respect du droit national et européen, et la possibilité de constituer des sociétés d'économie mixte (SEM) lors du renouvellement des concessions lorsque les collectivités locales y sont intéressées. À la différence d'autres pays où les installations hydroélectriques appartiennent aux exploitants privés, le régime concessif permet de garantir que les ouvrages restent durablement la propriété de l'État avec un contrôle fort au travers de la règlementation et du contrat signé entre l'État et le concessionnaire, garantissant ainsi le respect de l'intérêt public. En ce qui concerne la sécurité, tous les barrages en France, dont celui de Vouglans, sont soumis à une réglementation rigoureuse. En particulier, chaque barrage dit de classe A ou B doit détenir une « étude de dangers » qui constitue sa fiche de sécurité. Le propriétaire, ou le concessionnaire si l'ouvrage est un barrage hydroélectrique concédé, doit la mettre à jour périodiquement après avoir analysé tous les risques théoriques possibles et les moyens d'y faire face. Divers examens périodiques doivent être conduits sous la responsabilité de l'exploitant et des travaux de renforcement de la sécurité sont, si nécessaire, prescrits par l'État. En outre, il convient de rappeler que toutes les interventions sensibles sur un barrage nécessitent l'obtention préalable d'un agrément ministériel. En sus de la responsabilité de l'exploitant, près d'une centaine d'agents du ministère de la transition écologique et solidaire se consacrent par ailleurs au contrôle régulier de la sécurité des ouvrages hydrauliques sous l'autorité des préfets. Tout nouveau concessionnaire sera tenu de respecter la réglementation dans les mêmes conditions que les exploitants actuels. Le renouvellement des contrats de concession n'aura donc aucun impact sur les exigences auxquelles sont soumis les exploitants en termes de sécurité. Le principe de mise en concurrence des concessions échues découle du droit européen et national, le Gouvernement s'y prépare tout en défendant certains principes essentiels, en particulier en s'opposant à toute interdiction de candidater pour EDF et à la remise en concurrence de concessions non échues.
Auteur : M. Louis Aliot
Type de question : Question écrite
Rubrique : Énergie et carburants
Ministère interrogé : Transition écologique et solidaire
Ministère répondant : Transition écologique et solidaire
Dates :
Question publiée le 25 septembre 2018
Réponse publiée le 23 avril 2019