Criminalisation des migrants et "délit de solidarité"
Question de :
Mme Muriel Ressiguier
Hérault (2e circonscription) - La France insoumise
Mme Muriel Ressiguier interroge M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la crise « migratoire » qui a engendré une criminalisation des réfugiés et plus largement des migrants. D'après l'Organisation internationale pour les migrations, plus de 15 000 êtres humains sont morts ou ont disparu ces quatre dernières années rien qu'en Méditerranée : 5 143 personnes en 2016, 3 119 personnes en 2017 et combien en 2018 ? Au lieu de leur tendre la main, une politique toujours plus méfiante est mise en place à l'égard des étrangers. Or ces personnes n'ont commis aucun délit. Elles sont vulnérables, elles fuient les répressions, la guerre ou la misère. Elles attendent qu'on statue sur leur sort avec humanité pour enfin se construire une vie. Outre la menace d'expulsion, la plupart sont assignées à résidence et doivent signer plusieurs fois par semaine un registre de contrôle, les autres sont en rétention administrative comme s'ils avaient commis un délit. Cette criminalisation concerne les réfugiés et plus largement les migrants, mais également ceux qui les aident. Or le délit de solidarité, bien qu'il n'existe pas juridiquement, se base sur la libre interprétation des juges du code d'entrée et de séjour aux étrangers et demandeurs d'asile (CESEDA), un texte prévu au départ pour lutter contre le trafic d'êtres humains mais qui en réalité peut s'appliquer à tous. Aussi elle lui demande si le Gouvernement envisage de mettre un terme au délit de solidarité ainsi qu'à la criminalisation des migrants.
Réponse en séance, et publiée le 21 février 2018
SITUATION DES MIGRANTS ET DÉLIT DE SOLIDARITÉ
M. le président. La parole est à Mme Muriel Ressiguier, pour exposer sa question, n° 128, relative à la situation des migrants et au délit de solidarité.
Mme Muriel Ressiguier. Ma question s'adresse au ministre de l'intérieur. La crise migratoire a engendré une criminalisation des réfugiés et des migrants. D'après l'OIM – Organisation internationale pour les migrations –, ces quatre dernières années, plus de 15 000 êtres humains sont morts, transformant la mer Méditerranée en tombeau ; et combien mourront en 2018 ? Au lieu de leur tendre la main, nous mettons en place une politique toujours plus méfiante à leur égard. Or ces personnes n'ont commis aucun délit : elles sont vulnérables, elles fuient les répressions, la guerre ou la misère. Elles attendent qu'on statue sur leur sort avec humanité, pour enfin se construire une vie.
Pourtant, entre solitude, indifférence et humiliation, leur quotidien reste extrêmement difficile. Certains d'entre elles subissent l'injustice de la procédure de Dublin, tandis que d'autres sont renvoyées dans des zones de conflit, comme en Afghanistan. Outre la menace d'expulsion, la plupart sont assignés à résidence ; les autres sont en rétention administrative, comme si elles avaient commis un délit. Cette criminalisation concerne aussi ceux qui les aident. Or le délit de solidarité, bien qu'il n'existe pas juridiquement, se fonde sur la libre interprétation par les juges du CESEDA – code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile –, un texte prévu au départ pour lutter contre le trafic d'êtres humains mais qui, en réalité, peut s'appliquer à nous tous. Je fais référence à l'article L. 622-1 de ce code, qui dispose que toute personne aidant directement ou indirectement à l'entrée, à la circulation et au séjour des étrangers en situation irrégulière encourt une peine maximale de cinq ans de prison et 30 000 euros d'amende.
Le Gouvernement envisage-t-il de mettre un terme au délit de solidarité ainsi qu'à la criminalisation des réfugiés et des migrants, en mettant notamment en place des solutions alternatives à un système absurde et inhumain de rétention quasi automatique ? Par ailleurs, songe-t-il à mettre en place un moratoire sur les retours en Afghanistan, tant que ceux-ci ne pourront se faire dans la sécurité et la dignité ?
M. Bastien Lachaud. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des armées.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées. Madame la députée, je m’inscris bien sûr en faux contre les accusations que vous formulez. Jamais ce gouvernement ne s’est engagé dans ce que vous nommez la « criminalisation » des migrants. Jamais. Ce que nous cherchons à mettre en œuvre aujourd’hui, c’est une mesure simple, de bon sens : accueillir dans de bonnes conditions celles et ceux qui fuient la guerre et les persécutions, que ce soit pour des motifs politiques, religieux ou ethniques. Cela, vous le savez très bien, madame la députée, suppose d’instruire rapidement le droit d’asile, car rien n’est pire que de voir des personnes attendre parfois plus d’un an dans un entre-deux juridique, dans des conditions matérielles parfois très difficiles, avant d’obtenir le statut de réfugié.
C’est pour remédier à cette situation – que votre groupe comme ce gouvernement ne peuvent accepter – que sera présenté demain, en conseil des ministres, le projet de loi « asile et immigration ». Contrairement à ce que j’ai pu lire, il s’agit d’un texte très équilibré, qui vise, je l’ai dit, à accélérer le droit d’asile, à éloigner les étrangers en situation irrégulière – car les lois de la République doivent s’appliquer à tous – et à mieux intégrer les étrangers qui ont vocation à demeurer durablement dans notre pays, car c’est l’honneur de la France, et sa tradition, de les accueillir correctement.
À cet égard, vous savez qu’hier, un rapport a été remis au Premier ministre, dont je suis sûr que vous partagez la majorité des conclusions. Dès demain, vous aurez connaissance des dispositifs qui seront proposés, et j’imagine que nous pourrons ensuite débattre de ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Ressiguier.
Mme Muriel Ressiguier. Je vous remercie pour votre réponse, tout en regrettant que le ministre de l'intérieur ne soit pas présent. Placer des gens en centre de rétention, c'est-à-dire les priver de liberté, c'est le sort qu'on réserve à des gens qui ont commis des délits : c'est donc bien une façon de les criminaliser ! Et d'autant plus lorsqu'on met en prison les gens qui les ont aidés. Mais nous pourrons effectivement débattre de ces sujets lors de l'examen du projet de loi à venir : j'espère que nous pourrons nous entendre sur les points importants.
Auteur : Mme Muriel Ressiguier
Type de question : Question orale
Rubrique : Immigration
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 13 février 2018