Question orale n° 1300 :
La justice doit évoluer sur le traitement des violences sexuelles

15e Législature

Question de : Mme Muriel Ressiguier
Hérault (2e circonscription) - La France insoumise

Mme Muriel Ressiguier alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les violences sexuelles notamment les viols et les épreuves que traversent les victimes. D'après le ministère de l'intérieur, le nombre de viols a augmenté de 11 % en 2020. En moyenne, entre 2011 et 2018, 176 000 personnes majeures ont été victimes de violences sexuelles. Sur les 18 800 plaintes reçues en 2018, seulement 1 028 condamnations avaient été prononcées fin juillet 2020. On estime que, chaque année, 165 000 enfants sont victimes de viol ou de tentative de viol dont 130 000 filles et 35 000 garçons. De plus, un sondage Ipsos réalisé en 2020 dévoile qu'un Français sur 10 déclare avoir été victime d'inceste, soit 6,7 millions de personnes. En 2016, le tribunal de Bobigny a joué la transparence en révélant ses chiffres. Sur 223 affaires de viols et agressions sexuelles, 70 ont été jugées aux assises et 153 en correctionnelle. Le ministère de la justice ne comptabilise pas ce phénomène de correctionnalisation qu'il justifie par « la saturation des cabinets d'instruction et des capacités d'audiencement des cours d'assises ». Le délai moyen entre la commission d'un crime et la condamnation est d'environ 5 ans et demi en cour d'assises. Il est parfois beaucoup plus long, comme pour Julie, victime de nombreux viols entre 13 et 15 ans, dont l'affaire a débuté il y a 12 ans. D'abord instruits en cours d'assise pour viol sur mineur, les faits ont été requalifiés par le juge d'instruction en atteinte sexuelle en 2019. Ce qui réduit de moitié la peine encourue par trois de ses agresseurs poursuivis et sous-entend un consentement de sa part. M. le ministre a annoncé vouloir fixer le seuil d'âge de non-consentement à 15 ans pour l'ensemble des crimes sexuels et à 18 ans en cas d'inceste, ce qui est une bonne chose. Par ailleurs, nombreuses sont les victimes confrontées à un parcours extrêmement éprouvant quand elles décident de porter plainte. L'accueil qui leur est parfois réservé au moment de déposer plainte, la peur d'être stigmatisées, le sentiment de gêne ou de honte, la crainte d'être blâmées, la conscience que l'instruction sera longue et la condamnation incertaine de l'agresseur, tout ceci explique que seulement 10 % des victimes portent plainte. Une étude menée en 2016 par l'association mémoire traumatique et victimologie met en exergue la culture du viol. Elle montre que 22 % des hommes pensent encore qu'un « non » est un « oui » déguisé contre 17 % des femmes. Et 27 % des personnes interrogées estiment que l'attitude ou la tenue de la victime sont des circonstances atténuantes pour l'agresseur. Constatant que la justice manque toujours de moyens importants pour pouvoir fonctionner correctement et plus humainement, elle lui demande ce qu'il propose concrètement pour y remédier.

Réponse en séance, et publiée le 3 mars 2021

TRAITEMENT DES VIOLENCES SEXUELLES
M. le président. La parole est à Mme Muriel Ressiguier, pour exposer sa question, n°  1300, relative au traitement des violences sexuelles.

Mme Muriel Ressiguier. D'après le ministère de l'intérieur, le nombre de viols a augmenté de 11 % en 2020. Chaque année, en moyenne, 176 000 personnes majeures ont été victimes de violences sexuelles entre 2011 et 2018. Sur les 18 800 plaintes reçues en 2018, seules 1 028 condamnations avaient été prononcées fin juillet 2020. On estime que, chaque année, 165 000 enfants sont victimes de viol ou de tentative de viol, dont 130 000 filles et 35 000 garçons. De plus, un sondage réalisé par l'IPSOS en 2020 dévoile qu'un Français sur dix déclare avoir été victime d'inceste, soit 6,7 millions de personnes au total. Je regrette que le ministre de la justice ne soit pas là aujourd'hui pour l'entendre.

En 2016, le tribunal de Bobigny a joué la transparence en révélant des chiffres : sur 223 affaires de viols et d'agressions sexuelles, 70 ont été jugées aux assises, et 153 en correctionnelle. Le ministre de la justice ne comptabilise pas ce phénomène de correctionnalisation, qu'il justifie par la saturation des cabinets d'instruction et des capacités d'audiencement des cours d'assises. Le délai moyen entre la commission d'un crime et sa condamnation en cour d'assises est d'environ cinq ans et demi ; mais il est parfois beaucoup plus long, comme pour Julie, victime de nombreux viols entre 13 et 15 ans, dont l'affaire a débuté il y a douze ans maintenant : d'abord instruits en cour d'assises pour viol sur mineur, les faits ont été requalifiés en atteinte sexuelle, en 2019, par le juge d'instruction, ce qui réduit de moitié la peine encourue par trois des agresseurs poursuivis et sous-entend un consentement de la victime.

Vous avez annoncé vouloir fixer le seuil d'âge de non-consentement à 15 ans pour l'ensemble des crimes sexuels et à 18 ans en cas d'inceste, ce qui était attendu.

Par ailleurs, nombreuses sont les victimes confrontées à un parcours extrêmement éprouvant quand elles décident de porter plainte. L'accueil qui leur est parfois réservé au moment de déposer plainte, la peur d'être stigmatisées, le sentiment de gêne ou de honte, la crainte d'être blâmées, la conscience que l'instruction sera longue et l'incertitude quant à une condamnation de l'agresseur expliquent que seulement 10 % des victimes osent porter plainte.

Une étude menée en 2016 par l'association Mémoire traumatique et victimologie met en exergue la culture du viol. Elle montre que 22 % des hommes pensent encore qu'un non est un oui déguisé, contre 17 % des femmes, et 27 % des personnes interrogées estiment que l'attitude ou la tenue de la victime sont des circonstances atténuantes pour l'agresseur.

Il manque toujours à la justice des moyens importants pour qu'elle puisse fonctionner correctement et sereinement. Le ministre de la justice – il est absent, ce qui est assez désespérant – envisage-t-il d'investir massivement pour satisfaire ses besoins humains et financiers de sorte que les Français puissent retrouver confiance en elle ?

En définitive, l'absence du ministre me semble significative.

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. La lutte contre les violences sexuelles et sexistes est une priorité de ce gouvernement. La loi du 3 août 2018 a allongé le délai de prescription des crimes sexuels commis sur mineur, aggravé la répression des atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans et élargi la définition de la contrainte morale. Pour aller plus loin, le Gouvernement est favorable à la criminalisation de tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans, à l'instauration d'un mécanisme de prescription échelonnée qui permettra de faire bénéficier aux victimes d'un même auteur de l'absence de prescription des faits à l'égard d'une seule d'entre elles.

Des travaux parlementaires sont engagés pour que l'arsenal répressif évolue, mais, et vous avez raison de le mentionner, il faut non seulement que la parole soit libérée mais aussi, pour qu'elle soit entendue, que les outils nécessaires soient mis à disposition des victimes.

Sur la pratique des requalifications des viols en agressions sexuelles, deux hypothèses doivent être distinguées. Dans la première, la requalification résulte de l'impossibilité de caractériser l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction de viol et qui sont nécessaires à la saisine d'une cour d'assises. Dans la seconde, la requalification est décidée en opportunité, c'est-à-dire à l'issue d'une instruction, afin de permettre un jugement de l'affaire dans un délai raisonnable et d'éviter à la victime, à sa demande ou avec son consentement, un procès aux assises qui peut s'avérer, pour certaines d'entre elles, plus complexe à vivre qu'une audience correctionnelle.

Toutefois, afin de limiter ces requalifications en opportunité et de pouvoir juger les faits sous leur exacte qualification pénale, des cours criminelles départementales sont en cours d'expérimentation dans 15 départements. Le bilan dressé au 10 février 2021 établit que 87 % des 122 affaires jugées devant ces cours l'ont été pour viol ou viol aggravé, essentiellement sur des mineurs de 15 ans.

Enfin, et pour répondre à votre dernière préoccupation, le budget de la justice connaît pour l'année 2021 une augmentation sans précédent, avec une hausse de 8 % de ses crédits qui permettra effectivement de conforter les actions en cours et de se doter effectifs supplémentaires.

M. le président. La parole est à Mme Muriel Ressiguier.

Mme Muriel Ressiguier. Merci, madame Vidal, d'avoir répondu à la place de M. le ministre de la justice. Sachant que 46 % des Français déclarent ne plus avoir confiance en la justice, il est urgent d'engager ce chantier très important. Si on ne passe pas aux actes, les Français vont s'éloigner encore plus des institutions, et c'est très grave.

Données clés

Auteur : Mme Muriel Ressiguier

Type de question : Question orale

Rubrique : Crimes, délits et contraventions

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 23 février 2021

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