Question orale n° 1360 :
L'existence de la liberté d'instruction en France.

15e Législature

Question de : Mme Marie-France Lorho
Vaucluse (4e circonscription) - Non inscrit

Mme Marie-France Lorho interroge M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur l'existence de la liberté d'instruction en France. La propension de l'État à s'insinuer dans les sphères dont il doit rester détaché est inquiétante : l'immixtion permanente du législateur dans le refuge sacré que constitue la famille est un pas sans cesse franchi par ce Gouvernement et l'encadrement abusif de l'instruction en famille en constitue l'un des points d'orgue. À l'occasion de la loi sur le séparatisme, le Gouvernement s'est arrogé un droit inédit : le droit de soustraire à une instruction parentale des enfants qui bénéficient de l'enseignement qui leur est le plus adéquat ; le droit de revenir sur ce que le Conseil d'État qualifie de principe fondamental ; le droit de faire de l'école de l'éducation nationale un monopole qui n'aura plus à rendre de comptes, face à l'absence de mode d'instruction alternatif. L'argument qui consisterait à encadrer l'instruction en famille pour lutter contre le radicalisme islamiste est fallacieux : différentes études viennent souligner l'absence de convergence entre l'instruction familiale et ces cellules fondamentalistes. Le nombre infime de personnes visées, soit près de 30 000 élèves, souligne bien toute l'ambition gouvernementale : l'éducation nationale cherche à inscrire les enfants dans son giron, ôtant aux parents le droit le plus naturel qui est celui d'instruire leurs enfants comme ils l'entendent. Les attaques multiples menées contre l'école hors contrat en sont également un témoignage manifeste. Face aux résultats particulièrement prometteurs produits par ces modes d'instruction alternatifs, l'éducation nationale redoute-t-elle de se confronter à l'excellence ? Le Gouvernement ne peut s'octroyer des droits exclusifs sans tout mettre en œuvre pour faciliter la vie des Français : M. le ministre ne peut priver les enfants d'une instruction en famille alors même que les écoles rurales viennent à manquer. Il ne peut empêcher des écoles hors contrats de s'installer dans ces zones où l'école de la République ne tient plus ses promesses et où règne un chaos organisé par quelques élèves perturbateurs et auquel l'éducation nationale peine à mettre un terme. Le droit français garantit la liberté d'instruction en l'article 2 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; elle la préserve en son article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 ; l'Union européenne incite quant à elle à sa pérennité en son article 14 de la charte des droits fondamentaux. Mme le député a déposé, en janvier 2021, une proposition de résolution invitant le Gouvernement à préserver l'instruction en famille en créant un moratoire pour prévenir toute modification législative à son égard. Mme le député maintient son invitation. Elle lui demande, à l'heure où la crise sanitaire porte chaque jour atteinte aux libertés dont jouissent les Français, s'il entend priver encore les familles du droit fondamental d'instruire leur enfant au sein de leur foyer.

Réponse en séance, et publiée le 24 mars 2021

LIBERTÉ D'INSTRUCTION EN FRANCE
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour exposer sa question, n°  1360, relative à la liberté d'instruction en France.

Mme Marie-France Lorho. La propension de l'État à s'insinuer dans les sphères dont il doit rester détaché est inquiétante : l'immixtion permanente du législateur dans le refuge sacré que constitue la famille est un pas sans cesse franchi par le Gouvernement, et l'encadrement abusif de l'instruction en famille constitue l'un des points d'orgue de ce phénomène. À l'occasion de la loi sur le séparatisme, le Gouvernement s'est arrogé un droit inédit : le droit de soustraire à une instruction parentale des enfants qui bénéficient de l'enseignement qui leur est le plus adéquat ; le droit de revenir sur ce que le Conseil d'État qualifie de principe fondamental ; le droit de faire de l'école de l'éducation nationale un monopole qui n'aura plus à rendre de comptes, face à l'absence de mode d'instruction alternatif.

L'argument selon lequel il faudrait encadrer l'instruction en famille pour lutter contre le radicalisme islamiste est fallacieux. En effet, diverses études viennent souligner l'absence de convergence entre l'instruction familiale et ces cellules fondamentalistes. Le nombre infime de personnes visées – moins de 30 000 élèves –, est révélateur de l'ambition gouvernementale : l'éducation nationale cherche à enfermer les enfants dans son giron, en dépouillant les parents du droit le plus naturel, celui d'instruire leurs enfants comme ils l'entendent.

Les attaques multiples menées contre l'école hors contrat en sont également un témoignage manifeste. Face aux résultats particulièrement prometteurs produits par ces modes d'instruction alternatifs, l'éducation nationale redoute-t-elle de se confronter à l'excellence ?

Le Gouvernement ne peut s'octroyer des droits exclusifs sans mettre tout en œuvre pour faciliter la vie des Français : vous ne pouvez pas priver les enfants d'une instruction en famille, alors même que les écoles rurales viennent à manquer. Vous ne pouvez empêcher des écoles hors contrat de s'installer dans des zones où l'école de la République ne tient plus ses promesses et où règne un chaos organisé par quelques élèves perturbateurs et auquel l'éducation nationale peine à mettre un terme.

Je profite de l'occasion pour vous alerter, par ailleurs, sur le traitement spécial réservé cette année aux candidats au baccalauréat scolarisés dans des établissements privés hors contrat : comme le rappelle Anne Coffinier, la présidente de l'association Créer son école, les lycéens inscrits dans ces établissements ne bénéficieront pas de la prise en compte du contrôle continu, à l'inverse de leurs contemporains du public et du privé sous contrat. Ce deux poids, deux mesures n'est pas acceptable.

Le droit français garantit la liberté d'instruction à travers l'article 2 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il la préserve au titre de l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948. L'Union européenne encourage quant à elle son respect aux termes de l'article 14 de sa Charte des droits fondamentaux. J'ai déposé, en janvier dernier, une proposition de résolution invitant le Gouvernement à préserver l'instruction en famille en créant un moratoire pour prévenir toute modification législative à son égard. Je maintiens mon invitation.

À l'heure où la crise sanitaire porte chaque jour atteinte aux libertés dont jouissent les Français, entendez-vous également priver les familles du droit fondamental d'instruire leur enfant au sein de leur foyer ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des sports.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée chargée des sports. Mon propos devrait être de nature à vous rassurer : si le Gouvernement souhaite soumettre la possibilité d'avoir recours à l'instruction en famille à un régime d'autorisation préalable, il ne s'agit pas d'interdire aveuglément tous les dispositifs d'instruction dans la famille, contrairement à ce que vous suggérez, ni de porter atteinte aux pratiques positives. Le projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 16 février dernier, a pour objectif de définir les exceptions à la scolarisation dans un établissement scolaire, afin de ne conserver que les cas relevant de demandes légitimes et de lutter contre toutes les tendances qui mettent en cause l'unité de la République.

Ainsi, il ne s'agit pas d'empêcher l'instruction dans la famille : le projet de loi est un texte d'équilibre, qui prévoit des dérogations à l'obligation de fréquenter un établissement d'enseignement public ou privé, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant. Ces dérogations sont les suivantes : l'état de santé de l'enfant ou son handicap, la pratique intensive d'activités sportives ou artistiques, l'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public, et l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à le faire dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Ce projet de loi permet surtout de passer d'un système de vérification a posteriori à un régime d'autorisation préalable. Cela nous permettra d'être certains que les enfants sont effectivement instruits à domicile, et non dans des structures clandestines, dangereuses non seulement pour la République, mais aussi et surtout pour l'enfant.

Le Gouvernement a été à l'écoute du Conseil d'État, des parlementaires et des associations concernées par l'instruction dans la famille. Nous n'ignorons pas l'émotion que le texte a suscitée chez certains. C'est pourquoi nous l'avons fait évoluer, afin que les exceptions envisagées permettent de maintenir l'instruction en famille dans tous les cas qui ne posent pas de problème particulier. Mais, en plus de garantir à l'enfant une pédagogie de qualité, nous devons aussi le protéger contre toute forme d'emprise qui obérerait certains de ses droits. Il ne s'agit pas de supprimer toute instruction en famille, mais de faire preuve de discernement : la notion d'intérêt supérieur de l'enfant et le respect des droits de l'enfant, en particulier le droit à une éducation complète, seront les critères principaux qui gouverneront l'ensemble du dispositif. Les dispositions prévues à l'article 21 du projet de loi confortant le respect des principes de la République nous permettront d'agir contre toutes les formes de scolarisation clandestine et, de façon plus générale, contre les abus de l'instruction dans la famille.

Préciser une liberté n'est pas l'affaiblir, mais la conforter en la définissant mieux. En l'espèce, cette définition manquait. Je considère donc que ce projet de loi conforte les droits de l'enfant autant que les principes de la République. Il n'y a là aucune atteinte à la liberté de l'enseignement, bien au contraire : comme toutes les libertés, y compris les plus précieuses, celle-ci nécessite un cadre.

M. le président. Merci, madame la ministre déléguée. Je rappelle à chacun que la durée de chaque question est limitée à six minutes. La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour quelques secondes.

Mme Marie-France Lorho. Merci pour vos réponses, mais on ne fait pas la loi sur des régimes d'exception. Je rappelle que le régime d'autorisation que vous comptez instaurer et les dérogations associées apparaissent très lourds aux familles qui désirent éduquer leur enfant à domicile.

Données clés

Auteur : Mme Marie-France Lorho

Type de question : Question orale

Rubrique : Enseignement

Ministère interrogé : Éducation nationale, jeunesse et sports

Ministère répondant : Éducation nationale, jeunesse et sports

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 mars 2021

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