Question orale n° 136 :
Nouvelle organisation du système judiciaire

15e Législature

Question de : M. Gilles Lurton
Ille-et-Vilaine (7e circonscription) - Les Républicains

M. Gilles Lurton appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les risques que pourrait engendrer la mise en application des orientations du rapport Raimbourg-Houillon remis le 15 janvier 2018 quant à l'organisation du système judiciaire. Ce rapport propose en effet de réorganiser le système judiciaire français autour d'un unique « tribunal judiciaire » par département, qui reprendrait l'ensemble des fonctions de l'actuel TGI, et de plusieurs « tribunaux judiciaires de proximité » qui traiteraient uniquement les contentieux du quotidien (affaires familiales, baux d'habitation, contentieux pénal simple). Cette réforme, si elle avait lieu, aura un impact important sur l'activité des tribunaux existant notamment à Saint-Malo où la fusion avec le tribunal de Dinan en 2014 a été le fruit de la mobilisation et de la concertation des élus, des magistrats et des avocats. La nouvelle cité de la justice qui regroupera en son sein les activités des actuels TGI, TI, conseil des prud'hommes et tribunal de commerce sera d'ailleurs inaugurée en mai 2018 à Saint-Malo. Aussi il lui demande de bien vouloir faire connaitre ses intentions sur les propositions de ce rapport, notamment en ce qui concerne l'interdépartementalisation.

Réponse en séance, et publiée le 21 février 2018

RÉFORME DE LA JUSTICE ET INTERDÉPARTEMENTALISATION
M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton, pour exposer sa question, n°  136, relative à la réforme de la justice et à l'interdépartementalisation.

M. Gilles Lurton. Madame la garde des sceaux, l'année 2018 verra l'installation du tribunal de Saint-Malo-Dinan dans une nouvelle cité judiciaire, à Saint-Malo, qui regroupera le tribunal de grande instance, le tribunal d'instance, le conseil des prud'hommes et le tribunal de commerce, dotant ainsi les magistrats d'un formidable outil qui devrait leur permettre de se projeter vers l'avenir. Cette réalisation est suffisamment rare pour être soulignée, et je serai d'ailleurs très heureux de vous accueillir à Saint-Malo pour son inauguration.

Cette nouvelle cité judiciaire n'aurait pu voir le jour sans la mobilisation des élus locaux, des magistrats et des avocats qui, après la réforme judiciaire de 2007, ont accepté la fusion des tribunaux de Saint-Malo et de Dinan, deux tribunaux situés dans des départements différents. Cette fusion fonctionne aujourd'hui très bien ; avec les magistrats, le barreau de Saint-Malo-Dinan, les conseillers prud'homaux et les juges du tribunal de commerce, nous souhaitons la préserver pour l'avenir.

Je ne vous cache pas, madame la garde des sceaux, que le rapport de nos anciens collègues Dominique Raimbourg et Philippe Houillon sur l'organisation de notre système judiciaire, qui vous a été remis le 15 janvier dernier, nous inquiète.

Il nous inquiète d'abord par son opposition à l'interdépartementalisation, alors même que c'est elle qui, à Saint-Malo, nous a permis de préserver l'indispensable proximité entre la justice et les citoyens.

M. Pierre Cordier. Eh oui !

M. Gilles Lurton. Il nous inquiète aussi parce qu'il propose de recréer une juridiction de proximité à côté d'un tribunal judiciaire aux compétences redéfinies, avec une réorganisation des ressorts des tribunaux de grande instance au niveau des départements, afin de recréer dans chacun d'entre eux un unique tribunal judiciaire de première instance. À nos yeux, une telle proposition va à l'encontre d'un accès facilité à la justice pour nos concitoyens.

Aussi, madame la garde des sceaux, je souhaiterais connaître vos intentions quant aux propositions de ce rapport, en vous précisant de nouveau que, pour ce qui nous concerne, nous voulons faire du tribunal de Saint-Malo-Dinan un tribunal de plein exercice, dont les prérogatives s'étendent sur un territoire couvrant une partie de l'Ille-et-Vilaine et une partie des Côtes-d'Armor.

M. Pierre Cordier. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Comme vous le savez, monsieur le député, et comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises devant vous, le Gouvernement a lancé, au mois d'octobre dernier, les « chantiers de la justice », qui portent sur cinq thématiques dont l'une concerne l'adaptation de l'organisation territoriale de la justice. Les rapports sur ces cinq chantiers m'ont été remis le 15 janvier dernier. À cette date, j'ai engagé avec l'ensemble des parties prenantes une concertation qui se déroule en deux phases, la première de ces phases étant presque achevée.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la réforme de l'organisation territoriale de la justice vise à satisfaire les intérêts essentiels des justiciables – c'est mon prisme premier et cela rejoint votre préoccupation, monsieur Lurton. Nous devons garantir aux justiciables un accès à la justice simple, direct, transparent et, je l'espère, rapide. Sur la base de ces principes, des évolutions ont été envisagées par M. Raimbourg et M. Houillon. Par la suite, nous prendrons des décisions concrètes et opérationnelles, qui trouveront leur traduction dans la loi de programmation pour la justice 2018-2022 et devront concilier des exigences de proximité, de spécialisation et d'efficience des juridictions.

S'agissant des juridictions de Saint-Malo et de Dinan, j'accepte bien volontiers votre invitation, monsieur Lurton.

M. Thibault Bazin. Bonne nouvelle ! (Sourires.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . J'affirme à nouveau devant votre assemblée ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire : évidemment, aucun site judiciaire ne sera fermé. En revanche, nous imaginons qu'une réforme du réseau pourra être pensée comme une opportunité de moderniser notre organisation judiciaire au bénéfice du citoyen.

La réforme, telle qu'elle est envisagée à ce stade par les rapporteurs des « chantiers de la justice », repose sur la volonté de renforcer la proximité avec les justiciables en maintenant au plus près l'ensemble des contentieux du quotidien, jugés par les tribunaux d'instance. Des contentieux plus spécialisés ou plus complexes devront être tranchés par des équipes collégiales plus efficientes. Il serait également souhaitable d'assurer une chaîne pénale renforcée au niveau départemental afin de construire des politiques pénales plus efficaces. À mon sens, cela permettra d'assurer une vraie proximité et une plus grande efficacité.

Au terme de la première phase de concertation, qui a déjà eu lieu, ainsi que je vous l'ai dit, je vais proposer des principes pour l'organisation judiciaire. Cependant, ces principes ne seront pas applicables immédiatement sur le territoire, car je ne veux pas tout décider de Paris. Je souhaite que soit engagé un processus de concertation au niveau local, qui permettra d'apprécier concrètement comment les principes d'organisation que nous aurons fixés pourront trouver une application concrète et donc différenciée sur chacun des territoires. C'est ce qui se passera pour Saint-Malo et Dinan : j'aurai l'occasion de renvoyer à une concertation, menée au niveau local, les modalités d'application des principes que nous aurons fixés.

Je vous assure que la réforme que nous souhaitons ne se fera ni au détriment du service rendu aux justiciables, ni au détriment de la proximité que nous devons garantir aux personnes qui ont affaire à notre service public de la justice. Je suis certaine que nous partageons ces objectifs.

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse. Comme vous, je crois que les initiatives doivent partir du niveau local. Je transmettrai, bien sûr, votre réponse aux magistrats et au barreau de Saint-Malo, qui a d'ailleurs demandé à vous rencontrer pour évoquer ces sujets avec vous.

Données clés

Auteur : M. Gilles Lurton

Type de question : Question orale

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 13 février 2018

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