LOBBYING DE L'INDUSTRIE DU TABAC
M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour exposer sa question, n° 1420, relative au lobbying de l'industrie du tabac.
M. François-Michel Lambert. Madame la ministre de la culture, merci d'être parmi nous ce matin pour répondre à des questions majeures, notamment la mienne, relative au lobby du tabac et sa capacité à influencer et à tromper le téléspectateur.
Le dimanche 11 avril dernier, le journal de 20 heures de France 2 a diffusé un reportage sur le commerce parallèle de tabac en l'illustrant d'images de vendeurs à la sauvette très visibles à Marseille, dans le quartier de Noailles notamment, et dans d'autres quartiers de France. Ces revendeurs se comptent par dizaines et inondent le marché noir de cigarettes à bas prix, qui échappent ainsi au fisc et à la politique de santé voulue par le Gouvernement.
On le sait, ces cigarettes proviennent en très grande majorité des usines de fabrication des cigarettiers des majors du tabac qui inondent les marchés des pays à bas coûts, comme les Marlboro algériennes qui arrivent en France par conteneurs entiers.
France 2 aborde toutefois la question en parlant simplement de contrefaçon, ce qui n'est pas la même chose, en montrant une fabrique clandestine aux Pays-Bas et en citant des chiffres totalement faux. En faisant quelques recherches sur le site de France Télévisions, on constate que, pour réaliser son reportage, la rédaction s'est basée sur les chiffres communiqués par Philip Morris International, numéro un mondial du tabac, fortement soupçonné d'être l'un des principaux organisateurs du commerce parallèle, ce qui est paradoxal. Les journalistes ont donc accepté, sans trop se poser de questions, de diffuser des arguments tronqués. Leur reportage est par conséquent contraire à l'article 5.3 de la convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac, qui interdit de relayer les opérations de lobbying des cigarettiers.
Le commerce parallèle de tabac en France représente 16 milliards de cigarettes consommées mais non achetées en France, c'est-à-dire une sur trois – 30 %. Le manque à gagner fiscal s'élève à 5 milliards et le manque à gagner pour les buralistes à 400 millions. Or ces cigarettes sortent essentiellement des usines des cigarettiers, la véritable contrefaçon des usines clandestines ne représentant que 1 à 2 %. Pourtant, les téléspectateurs de France 2 pensent désormais le contraire grâce à cette habile opération de lobbying.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter que le service public audiovisuel ne relaie ce type de désinformation nuisible pour la santé des Français et pour l'action volontariste du Gouvernement – que je soutiens – en matière de prévention, avec notamment le paquet à 10 euros ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Vous savez qu'au cours de ma carrière politique, déjà longue, la lutte pour la santé publique et le combat contre le tabac ont structuré un certain nombre de mes décisions. J'en veux pour preuve qu'en 1991, j'ai voté la loi dite loi Évin contre les consignes de mon groupe politique. Mon engagement sur ces questions est sans faille.
Votre question me donne d'abord l'occasion de saluer l'offre d'information du service public dont dispose notre pays, ainsi que les professionnels qui, au quotidien, conçoivent et diffusent cette information. Notre pays a la chance d'avoir, avec ses médias de service public, une offre pluraliste de grande qualité. Présente en radio, en télévision et sur l'ensemble des nouveaux médias numériques, cette offre est à la fois locale, régionale et nationale. Dans un contexte de démultiplication des sources d'information et de prolifération des fausses nouvelles, l'offre d'information du service public doit plus que jamais constituer une offre de référence par sa rigueur et la confiance qu'elle inspire ou qu'elle doit inspirer à l'ensemble de nos concitoyens.
S'agissant du reportage que vous évoquez, il ne m'appartient pas, en tant que ministre de la culture, de me prononcer sur la déontologie des journalistes de France Télévisions ou l'honnêteté de l'information. Ce rôle incombe d'abord aux journalistes et à leur rédaction. Il est ensuite dévolu, depuis 1982, à une autorité administrative indépendante, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Le cahier des charges de France Télévisions précise en particulier que la société fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. Elle vérifie le bien-fondé et les sources de l'information. Le CSA peut donc sanctionner les manquements à ces principes. Depuis 2016 a en outre été institué auprès de la société un comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes. Ce comité peut se saisir ou être consulté par toute personne et doit informer le CSA de tout fait susceptible de contrevenir à ces principes. Par conséquent, si ce manquement a eu lieu, je souhaite – et je ne doute pas pour ma part – que toutes les conséquences en soient tirées.
Je le répète, en tant qu'ancienne ministre de la santé, je sais combien la lutte contre les ravages du tabagisme, que vous partagez, est un objectif de santé publique de premier plan et je mesure l'importance d'apporter sur ce sujet à nos concitoyens la meilleure information.
M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.
M. François-Michel Lambert. Je vous remercie pour votre réponse très claire et volontariste en ce qui concerne la lutte contre le tabagisme et ses ravages. Je rappelle que le tabagisme fait 80 000 morts en France chaque année, et certains estiment que cela représente jusqu'à 120 milliards d'euros de perte d'argent public chaque année, soit l'équivalent d'un covid. Il est donc indispensable d'agir.
J'ai envoyé un signalement au procureur de la République, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, sur ce que manipule Philip Morris International en Algérie, et j'ai déposé deux propositions de loi pour agir sur le protocole de l'OMS. Nous en reparlerons.