NUTRISCORE ET SIGNES AOP-IGP
M. le président. M. Jean-Félix Acquaviva aura peut-être également quelque chose à remettre au ministre de l'agriculture
(Sourires) ; il a en tout cas la parole, pour exposer sa question, n° 1453, relative au nutri-score et aux signes d'appellation d’origine protégée (AOP) ou indication géographique protégée (IGP).
M. Jean-Félix Acquaviva. Monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le système d'étiquetage nutritionnel nutri-score est actuellement fondé sur le volontariat des producteurs et industriels, mais sa généralisation en cours de discussion au niveau communautaire suscite, notamment chez les éleveurs fermiers, des craintes dont je souhaite vous faire part.
Si le fait d'apposer un logo destiné à renforcer la transparence sur la valeur nutritionnelle d'un produit peut se révéler pertinent pour le consommateur, on relève plusieurs effets contreproductifs de ce dispositif. En effet, le barème et le mode de calcul du nutri-score sont tels que des produits de grande qualité, confectionnés à partir d'ingrédients naturels simples grâce à des modes de production ancestraux, obtiennent la note D, voire E. À titre d'exemple, citons notre brocciu ou notre huile d'olive insulaires ou encore le Maroilles du Nord.
Quelque 93 % des produits sous appellation d'origine protégée ou indication géographique protégée seraient classés D alors que les producteurs doivent répondre à des cahiers des charges contraignants et régulièrement contrôlés par les autorités compétentes, garants d'une qualité unique, et ce, en toute transparence pour les consommateurs.
A contrario, des produits tels que certains fromages industriels peuvent obtenir une bien meilleure note.
Avouons qu'il s'agit d'un paradoxe frappant : à l'heure où nous devons impérativement développer les circuits courts, revaloriser les productions traditionnelles locales, redynamiser les territoires ruraux et de montagne, pousser à l'installation de jeunes éleveurs et agriculteurs dans nos territoires et pays, et faire tout simplement la promotion de bons produits naturels, le nutri-score valoriserait directement ou indirectement certains produits industriels aux multiples ingrédients de substitution. Si les modalités de mise en œuvre du nutri-score n'évoluaient pas, nous aurions affaire à une confusion et à une forme de mise à l'index de nos produits fermiers, qui révéleraient une vision erronée du patrimoine culinaire de nos territoires.
Vous comprendrez que cela n'est pas acceptable : nous ne saurions pousser le consommateur à choisir des produits transformés à outrance, dont les effets néfastes et cachés sur la santé ne sont pas toujours pris en considération.
Êtes-vous prêt à peser dans les négociations européennes relatives au nutri-score, afin de trouver une solution d'exemption ou d'ajustement du barème et de tenir compte de la qualité réelle des produits identitaires ? Dans le cas contraire, la situation serait véritablement très inquiétante.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. En l'état actuel du droit, le nutri-score est utilisé sur la base du volontariat. Il est assez largement plébiscité par les consommateurs, comme en témoigne son essor, confirmé par les études de consommation. Sur le fond, chacun s'accorde à dire que le fait d'indiquer la qualité nutritionnelle de l'aliment au consommateur est une bonne idée. Après tout, pour paraphraser Hippocrate, l'alimentation est la première médecine. Il est donc bien normal de communiquer cette information au consommateur.
Vous l'avez dit, le nutri-score fait l'objet de débats à l'échelle européenne. Je partage les deux préoccupations que vous avez exprimées quant aux phénomènes d'effets de bord ou de contournements que l'utilisation de ce logo pourrait occasionner. Quels sont les deux points qui doivent être traités avec beaucoup d'attention si nous voulons que le nutri-score se diffuse encore plus largement ?
En premier lieu, le débat doit être mené au niveau européen : le nutri-score, s'il devait un jour devenir obligatoire, ne pourrait l'être qu'à l'échelle de l'Union européenne. Pourquoi ? Parce que si un consommateur a le choix, sur un étal, entre un aliment français noté orange et un aliment venant de je ne sais où, qui aurait probablement été noté rouge mais ne comporte aucune indication parce qu'il n'est pas soumis au nutri-score, il optera probablement pour le produit vierge de tout logo afin d'éviter l'étiquette orange, et ce alors même que la qualité nutritionnelle du produit sans logo est probablement inférieure à celle du produit français. Ce point me semble très important : pour éviter tout contournement du dispositif, il nous faut absolument faire en sorte que le débat sur le nutri-score se tienne à l'échelle du marché européen et pas uniquement du marché national.
Il faut ensuite, comme vous l'avez souligné, aller beaucoup plus loin concernant la méthodologie. Cette dernière repose actuellement sur la consommation d'une certaine quantité de produit. Or je connais peu de gens qui boivent un verre de 100 millilitres d'huile d'olive au petit-déjeuner – cela peut arriver, mais cela me paraît tout de même peu courant. Si le nutri-score est fondé sur la consommation putative de 100 millilitres d'huile d'olive chaque matin, il affichera évidemment une couleur rouge vif, sans aucun lien avec la consommation réelle du produit concerné.
Sept pays européens expriment pour l'heure un intérêt pour la question du nutri-score, sur laquelle travaillent également plusieurs comités scientifiques. Pour ma part, je suis déterminé : si nous voulons, conformément au souhait que vous exprimez, offrir une information juste et équitable, nous devons, d'une part, traiter la question au niveau européen et, d'autre part, améliorer la méthodologie afin de nous assurer que les quantités sur la base desquelles les analyses sont menées soient conformes à la consommation réelle des produits et non simplement définies en laboratoire.
J'ai donc pleinement conscience des motifs d'inquiétude que vous évoquez et je travaille pour y remédier.
M. le président. La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva.
M. Jean-Félix Acquaviva. Merci, monsieur le ministre. Je n'ai pas apporté de charcuterie corse pour conclure cet échange positif – peut-être le ferai-je une prochaine fois.
(Sourires.)M. Julien Denormandie, ministre. Je pourrai apporter le vin…
M. Jean-Félix Acquaviva. Vous avez bien saisi l'enjeu : détruire les IGP et les AOP au moment où l'on souhaite relocaliser les systèmes de production constituerait un paradoxe réellement mortifère.