Salariat déguisé et ambulancier sous statut auto-entrepreneur
Publication de la réponse au Journal Officiel du 2 juillet 2019, page 6189
Question de :
M. Yannick Favennec-Bécot
Mayenne (3e circonscription) - Libertés et Territoires
M. Yannick Favennec-Bécot attire l'attention de Mme la ministre du travail sur la situation des ambulanciers indépendants sous statut d'auto entrepreneur qui travaillent ponctuellement pour des sociétés d'ambulances. Il lui cite l'exemple d'un auto entrepreneur qui effectue, en utilisant le matériel de la société d'ambulances, un certain nombre de missions pour des sociétés d'ambulances du département de la Mayenne, afin de pallier des manques ponctuels liés à des arrêts maladie ou mi-temps thérapeutiques. Les sociétés d'ambulances font, en effet, appel à des auto- entrepreneurs car, bien qu'ayant une charge de travail importante, ils ne peuvent bénéficier d'agréments supplémentaires. Cette pratique leur permet de faire face aux contraintes des gardes liées à la nécessité légale de respecter des temps de repos pour l'ensemble des salariés. Toutefois, l'Urssaf a alerté quelques sociétés d'ambulances sur l'utilisation de cette pratique qui, bien qu'elle soit acceptée, peut, si elle est régulière, s'apparenter à du salariat déguisé. C'est la raison pour laquelle, il lui demande de bien vouloir lui préciser dans quelle mesure, le recours à des ambulanciers indépendants, par des entreprises d'ambulances peut-être autorisée. Il lui demande également quelle réponse elle entend apporter aux sociétés d'ambulances qui sont dans l'obligation de recourir à cette pratique pour faire face à cette demande de transports.
Réponse publiée le 2 juillet 2019
Le régime de l'auto-entrepreneur a été créé par la loi n° 2008-776 de modernisation de l'économie du 4 août 2008 pour simplifier la création et les déclarations sociales et fiscales d'entreprises individuelles relevant du régime fiscal de la micro-entreprise. Le recours par une entreprise à des travailleurs indépendants auto-entrepreneurs est autorisé sous réserve, d'une part, de s'assurer du respect des conditions légales et réglementaires d'exercice de la profession et, d'autre part, de ne pas recourir à de faux travailleurs indépendants auto-entrepreneurs. Tout d'abord, un prestataire indépendant doit se conformer aux conditions légales et réglementaires d'exercice de la profession. En application des articles L. 6312-1 et L. 6312-2 du code de la santé publique, toute personne effectuant un transport sanitaire doit avoir été préalablement agréée. Dans le cas présent, il doit ainsi, en tant que travailleur indépendant, demander et obtenir, auprès de l'agence régionale de santé (ARS) compétente, l'agrément nécessaire au transport sanitaire terrestre et à l'autorisation de mise en service de véhicules de transports sanitaires (transports par ambulances et véhicules sanitaires légers - VSL), tel que prévu par les articles L. 6312-1 et suivants, R. 6312-1 et suivants du code de la santé publique. Permettre à un prestataire indépendant auto-entrepreneur d'exercer une activité de transport sanitaire avec du matériel appartenant à une entreprise de transport sanitaire agréée ne confère pas au prestataire indépendant auto-entrepreneur le bénéfice de l'agrément de cette dernière. Ainsi, une entreprise de transport sanitaire peut recourir aux services d'un prestataire extérieur auto-entrepreneur pour faire face à un manque de personnel salarié ou à un accroissement temporaire d'activité à condition que ce dernier soit agréé. En outre, le prestataire extérieur doit être et demeurer indépendant et ne peut en aucun cas se substituer, dans les faits, à des salariés en étant, notamment, intégré au sein d'un service organisé sous la responsabilité d'une société d'ambulances. En effet, le régime de l'auto-entrepreneur est destiné à dynamiser le véritable travail indépendant ; il n'a nullement été conçu pour couvrir l'externalisation abusive de salariés ou le recrutement de faux indépendants. Comme tout travailleur indépendant, l'auto-entrepreneur fournit un bien ou effectue une prestation de services, hors de tout lien de subordination juridique permanente qui constitue le critère essentiel du salariat. Un auto-entrepreneur est également supposé posséder, comme tout travailleur indépendant, le matériel et les équipements de travail nécessaires à l'accomplissement de sa prestation et être techniquement indépendant. En tant que travailleur indépendant, l'ambulancier auto-entrepreneur détermine ainsi librement les conditions d'exécution de ses prestations professionnelles et dispose de son matériel et de son équipement. Dans le cas inverse, le contrat entre l'auto-entrepreneur et son donneur d'ordre peut, sous réserve de l'interprétation souveraine du juge civil ou pénal, être requalifié en contrat de travail salarié. Il existe, certes, en vertu de l'article L. 8221-6 du code du travail, un principe juridique de présomption simple de travail indépendant et d'absence de contrat de travail, lorsqu'une personne physique ou morale est régulièrement immatriculée au répertoire des métiers (pour les artisans), au registre du commerce et des sociétés (pour les commerçants et les mandataires), à des registres professionnels (comme le registre des transporteurs) ou affiliée auprès des organismes sociaux en qualité de travailleur indépendant (cas notamment des auto-entrepreneurs). De même, l'article L. 8221-6-1 du code du travail, introduit par la loi du 4 août 2008 susmentionnée, dispose qu'est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d'ordre. Toutefois, et selon une jurisprudence abondante et constante de la Cour de cassation, l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la qualification donnée à la prestation effectuée mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur (Cour de cassation, assemblée plénière, arrêts n° 81-11.647 et 81-15.290 du 4 mars 1983, Barrat - Chambre criminelle, arrêt n° 84-95559 du 29 octobre 1985, Guegan). Est ainsi considéré comme travailleur salarié celui qui accomplit un travail pour un employeur dans un lien de subordination juridique permanente, défini comme « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt n° 94-13187 du 13 novembre 1996, URSSAF c/ Société générale). Les services de contrôle comme le juge, lorsqu'il est saisi, analysent de manière concrète la relation qui lie les parties selon la méthode dite du faisceau d'indices. Le fait de maquiller sciemment une relation salariale en contrat d'entreprise pour échapper à ses obligations d'employeur caractérise une infraction constitutive du délit de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, dans les conditions précisées par l'article L. 8221-5 du code du travail et passible de lourdes sanctions pénales, administratives et civiles. En conséquence, si des agents de contrôle de l'inspection du travail, notamment, constatent qu'une société d'ambulances emploie des prestataires auto-entrepreneurs de façon habituelle et régulière, dans le cadre de l'activité permanente et durable de l'entreprise, dans les mêmes conditions de fait que des salariés, ils pourraient relever par voie de procès-verbal une infraction de travail dissimulé par dissimulation de salariés sous couvert d'un faux statut de travailleur indépendant. Le Gouvernement est fortement mobilisé sur cette question. Le plan national de lutte contre le travail illégal (PNLTI) 2016-2018 a ainsi retenu la lutte contre le recours aux faux travailleurs indépendants, et notamment aux faux auto-entrepreneurs, comme l'un des objectifs prioritaires. Le futur PNLTI 2019-2021, en cours d'élaboration, sera l'occasion pour la ministre du travail de promouvoir le renforcement, non seulement de l'information préalable sur le caractère illégal et les risques de toute pratique visant à dissimuler une relation salariale de subordination juridique sous la forme d'une relation commerciale de sous-traitance mais également des contrôles effectués par les différents services compétents en matière de lutte contre le travail dissimulé et le travail illégal (Inspection du travail, URSSAF, Police, Gendarmerie, administration fiscale et Douanes) afin de vérifier le respect des règles de droit rappelées ci-dessus.
Auteur : M. Yannick Favennec-Bécot
Type de question : Question écrite
Rubrique : Professions de santé
Ministère interrogé : Travail
Ministère répondant : Solidarités et santé
Signalement : Question signalée au Gouvernement le 4 février 2019
Dates :
Question publiée le 27 novembre 2018
Réponse publiée le 2 juillet 2019