15ème législature

Question N° 15080
de M. Sébastien Nadot (La République en Marche - Haute-Garonne )
Question écrite
Ministère interrogé > Premier ministre
Ministère attributaire > Armées

Rubrique > politique extérieure

Titre > Suspension des ventes d'armes à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis

Question publiée au JO le : 11/12/2018 page : 11273
Réponse publiée au JO le : 12/03/2019 page : 2359
Date de changement d'attribution: 18/12/2018

Texte de la question

M. Sébastien Nadot interroge M. le Premier ministre sur la légalité des autorisations de ventes d'armes, assistance, technologie et services qu'il octroie aux entreprises françaises à destination de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Les demandes de licences, individuelles ou globales, d'exportations d'armements et de biens sensibles (dits aussi « biens à double usage ») sont instruites par la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Sous la responsabilité du Premier ministre et par sa délégation, cette commission est présidée par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Le principe retenu par la France, en termes d'exportations d'armement, est celui du régime d'exception : ainsi les exportations d'armement sont interdites sauf autorisation de l'État et sous son contrôle. La CIEEMG réunit des représentants des ministres chargés des armées, des affaires étrangères et de l'économie. Elle formule des avis en tenant compte des conséquences des exportations en question sur la paix et la sécurité régionales, la situation intérieure du pays de destination finale et ses pratiques en matière de respect des droits de l'Homme. Or, dans son rapport du 28 août 2018, le groupe d'experts mandaté par les Nations unies chargé d'enquêter sur les violations et les atteintes au droit international commises au Yémen considère que toutes les parties prenantes au conflit ont potentiellement commis des « crimes de guerre ». Le groupe d'experts a des motifs raisonnables de penser que des membres de la coalition menée par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, du gouvernement yéménite et de leurs adversaires Houtis, ont pu mener des attaques en violation des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution du droit international, causant par-là de nombreuses victimes civiles. Par ses ventes d'armes à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, la France ne respecte pas, en toute connaissance de cause, les articles 6.3 et 7 du traité sur le commerce des armes (TCA). En effet, le TCA, ratifié par la France en 2014, stipule qu' « un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d'armes classiques s'il a connaissance, lors de l'autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d'autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie » (Article 6.3). La France ne respecte pas non plus la position commune de l'Union européenne 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologies et d'équipements militaires qui stipule que chaque État membre de l'UE évalue, au cas par cas, les demandes d'autorisations d'exportations qui lui sont adressées pour des équipements militaires : « Après avoir évalué l'attitude du pays destinataire à l'égard des principes énoncés en la matière dans les instruments du droit humanitaire international, les États membres refusent l'autorisation d'exportation s'il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l'exportation est envisagée servent à commettre des violations graves du droit humanitaire international » (article 2.2). Après examen de « la situation intérieure dans le pays de destination finale (existence de tensions ou de conflits armés), les États membres refusent l'autorisation d'exportations de technologies ou d'équipements militaires susceptibles de provoquer ou de prolonger des conflits armés ou d'aggraver des tensions ou des conflits existants dans le pays de destination finale » (article 2.3). Les États membres tiennent compte, entre autres, des antécédents du pays acheteur dans le respect de ses engagements internationaux, notamment et du droit humanitaire international (article 2.6). Le respect du TCA, de la Position commune de l'Union européenne et des conclusions que l'on peut d'ores et déjà tirer de « l'affaire Khashoggi » en matière de respect du droit international par l'Arabie saoudite, ont amené l'Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas et la Finlande à suspendre leurs exportations d'armes vers ce pays. Il lui demande sous quel délai la France, à travers sa décision, compte se mettre en conformité avec le droit international au regard des informations, sans équivoque, concernant les agissements des belligérants au conflit au Yémen.

Texte de la réponse

La politique menée par la France en matière d'exportation d'armement repose sur un principe de prohibition de l'exportation de matériels de guerre et assimilés vers les territoires non-membres de l'Union européenne, ainsi que les territoires exclus du territoire douanier de l'Union européenne sans autorisation préalable (article L 2335-2 du code de la défense). Les autorisations préalables d'exportation sont délivrées par le Premier ministre après avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Par leur objet même qui est de fournir des États en équipements militaires, ces autorisations sont indissociablement liées à la politique étrangère de la France. La délivrance des autorisations repose sur un ensemble de considérations liées, au premier chef, au respect de nos engagements internationaux, mais également aux enjeux de stabilité et de sécurité régionale ou internationale, à la lutte contre la prolifération, à la protection de nos forces et de celles de nos alliés. Elle prend en compte par ailleurs, les enjeux économiques et industriels et de renforcement de notre base industrielle et technologique de défense qui sont l'une des conditions de notre souveraineté. Dans la mise en œuvre de cette réglementation relative aux exportations d'armement, la France veille systématiquement au respect de la position commune de l'Union européenne 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologies et d'équipements militaires, et du Traité sur le commerce des armes (TCA) entré en vigueur le 24 décembre 2014. Le respect de l'intérêt légitime reconnu à tout État d'acquérir des armes classiques pour exercer son droit de légitime défense et contribuer à des opérations de maintien de la paix et de produire, exporter, importer et transférer de telles armes, figure parmi les principes énumérés dans son préambule. Chaque État doit donc, à partir d'une évaluation in concreto, apprécier, avant toute autorisation, s'il existe un risque manifeste ou prépondérant que les matériels de guerre soient utilisés pour commettre, notamment, des violations graves des droits de l'homme ou du droit international humanitaire. Or, cette appréciation in concreto est menée dans le cadre de la conduite par le Gouvernement des relations internationales de la France. Elle implique en effet, d'une part, une connaissance précise, acquise grâce au dialogue avec l'État importateur et grâce à des capacités de renseignement nationales ou d'États partenaires, de l'utilisation que pourraient faire les forces de l'État importateur des matériels livrés et de la façon dont les forces, si elles sont effectivement engagées dans un conflit armé, appliquent les principes de distinction, de proportionnalité, de nécessité et de précaution qui sont au fondement du droit international humanitaire et, d'autre part, un choix diplomatique consistant en la mise en place d'éventuelles mesures d'atténuation (formation, accompagnement à l'usage des matériels, restrictions d'usage, etc…) permettant d'écarter le risque de violation des droits de l'homme ou du droit international humanitaire. Ainsi cette appréciation, qui est propre à chaque État, peut-elle différer en fonction de sa connaissance de la situation ou des liens qu'il entretient avec l'Etat client. Par exemple, un accord de défense entre l'Etat exportateur et l'Etat client constitue un engagement international en vertu duquel le premier peut être tenu d'accorder un soutien militaire au second. En l'occurrence, s'agissant des pays mentionnés, il apparaît tout à fait légitime d'autoriser certaines exportations et de considérer, le cas échéant, des mesures de remédiation des risques d'utilisation inappropriée, conformément aux règles et principes fixés par le droit international applicable. Enfin, la France reconnaît l'urgence de mettre un terme au conflit au Yémen où la situation humanitaire a atteint un stade critique. Elle soutient donc pleinement les efforts et l'action diplomatique déployés par l'Envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen, salue la mise en place d'une trêve et encourage l'établissement d'un cadre de négociation en vue d'un règlement global pour ce pays.