15ème législature

Question N° 1522
de Mme Maud Petit (Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés - Val-de-Marne )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > enfants

Titre > Lutte contre la pédocriminalité sur internet

Question publiée au JO le : 08/06/2021
Réponse publiée au JO le : 16/06/2021 page : 6261

Texte de la question

Mme Maud Petit appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'action du collectif citoyen « Team Moore », qui lutte contre la pédocriminalité sur internet. La Team Moore s'inspire des actions anglo-saxonnes en la matière. Ainsi, au Royaume-Uni, les militants travaillent en collaboration avec la police britannique, dans le but de compromettre numériquement des pédocriminels. En France, le collectif Moore poursuit le même objectif et demande un cadre légal pour travailler conjointement avec la police et la justice. Des profils factices de mineurs sont créés sur les réseaux, permettant de constater régulièrement des situations de pédocriminalité, en prenant soin de ne jamais provoquer au délit. Les éléments constitutifs d'infraction sont ensuite transmis aux autorités compétentes. La collaboration est déjà effective sur le terrain : en avril 2021, en Haute-Saône, le collectif a ainsi adressé à la police judiciaire de Besançon un dossier contenant des copies d'écran de discussions à caractère sexuel entre un homme et celle qu'il pensait être une enfant de 12 ans. Une peine de 10 mois d'emprisonnement ferme a été prononcée, accompagnée d'un suivi socio-judiciaire avec obligation de soins pendant 5 ans. Il n'est pas question, ici, de se substituer à la justice, mais d'être aide et relais, une force supplémentaire dans la lutte contre la pédocriminalité sur internet, véritable fléau et danger pour les enfants. L'engagement citoyen sur le terrain n'est pas un phénomène nouveau : il existe en effet d'autres collectifs citoyens, tel que le dispositif « voisins vigilants », qui permet d'alerter les forces de l'ordre et d'accélérer l'intervention en cas de cambriolage. Les politiques publiques participatives sont aussi une invitation des institutions à intégrer l'action directe et citoyenne. Il faut donc comprendre l'intention louable des actions de la Team Moore. Cependant, pour éviter toute dérive sur un sujet aussi sensible, il est nécessaire de réfléchir à un encadrement légal qui définirait les possibilités mais aussi les limites de cette collaboration. C'est ce que souhaite aussi le collectif. Elle souhaite donc connaître sa position sur la création d'un cadre légal qui définirait les possibilités, mais aussi les limites de la collaboration entre le collectif citoyen Moore, les forces de l'ordre et l'institution judiciaire.

Texte de la réponse

LUTTE CONTRE LA PÉDOCRIMINALITÉ SUR INTERNET


Mme la présidente. La parole est à Mme Maud Petit, pour exposer sa question, n°  1522, relative à la lutte contre la pédocriminalité sur internet.

Mme Maud Petit. Monsieur le ministre de la justice, il y a plusieurs semaines, j'ai rencontré le collectif de citoyens Team Moore, qui lutte contre la pédocriminalité sur internet. Son fonctionnement s'inspire des actions de nos voisins anglo-saxons en la matière : créant des profils factices d'enfants sur les réseaux sociaux, ils constatent, sans provocation au délit, des situations de pédocriminalité. Pour avoir eu accès à certains échanges, je peux vous assurer que l'ampleur du phénomène est effrayante. Au Royaume-Uni, des activistes travaillent donc en collaboration avec la police britannique, dans le but de compromettre numériquement des pédocriminels.

En France, la Team Moore vise le même objectif, et souhaiterait travailler conjointement avec la police et la justice dans un cadre légal. Une telle collaboration est d'ailleurs déjà effective sur le terrain, puisqu'en avril dernier, en Haute-Saône, le collectif a adressé à la police judiciaire de Besançon un dossier contenant des copies d'écran de discussions à caractère sexuel entre un homme et celle qu'il pensait être une enfant de douze ans. Une peine de dix mois d'emprisonnement fermes a été prononcée à l'encontre de l'homme, accompagnée d'un suivi socio-judiciaire avec obligation de soins pendant cinq ans.

Il n'est bien sûr pas question ici de se substituer à la police et à la justice : il s'agit d'être une aide, un relais, une force supplémentaire dans la lutte contre la pédocriminalité sur internet, véritable fléau pour nos enfants. L'engagement des citoyens sur le terrain n'est pas un phénomène nouveau : il existe en effet plusieurs collectifs de citoyens, comme le dispositif « Voisins vigilants », qui permet d'alerter les forces de l'ordre et d'accélérer leur intervention en cas de cambriolage. Les politiques publiques participatives sont aussi une invitation des institutions à l'action directe des citoyens.

Si l'intention de la Team Moore est louable, je crois qu'il est nécessaire et grand temps de réfléchir à un cadre légal pour éviter toute dérive sur un sujet aussi sensible. Ce cadre, qui définirait à la fois les possibilités et les limites d'une telle collaboration, est également un souhait du collectif. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur le sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. La pédocriminalité est un phénomène contre lequel nous devons évidemment lutter de toutes nos forces. Vous suggérez l'idée d'étendre à tous les citoyens la possibilité d'intervenir dans des enquêtes : cela me chagrine beaucoup, car je pense que les risques de dérive sont très importants. Que les citoyens dénoncent de tels faits quand ils en ont connaissance, c'est bien le moins ; ensuite, il faut que chacun reste à sa place : je ne demande pas aux policiers ou aux magistrats d'être boulangers, je leur demande d'être policiers ou magistrats !

Le risque me paraît très important, car les policiers, les gendarmes et les magistrats qui s'occupent de cette question en ont appris la déontologie ; ils ont prêté serment et travaillent au service de la République. Permettre aux citoyens d'entrer dans une enquête – je le répète – ferait prendre des risques. Qu'ils dénoncent des faits, d'accord, mais les laisser intervenir dans le processus de la procédure pénale me semble très inquiétant. Évidemment, vous trouverez toujours un exemple dans lequel la collaboration des citoyens a été efficace. Mais pour un cas efficace, combien de risques de dérive ou de dérapage ?

Je tiens à rappeler que les policiers et les gendarmes doivent agir dans le strict respect de la procédure pénale et, en l'espèce, du cadre de la technique dite « enquête sous pseudonyme (ESP) », prévue à l'article 230-46 du code de procédure pénale. Elle se déroule sous contrôle du procureur de la République ou du juge d'instruction, ce qui offre de nombreuses garanties.

Comme vous le savez, nous ne pouvons pas susciter la réalisation de l'infraction : c'est la limite, la ligne rouge, que fixe le code de procédure pénale. J'entends donc l'idée et reconnais son caractère louable : elle a du sens. Toutefois, sa concrétisation me paraît suffisamment dangereuse et susceptible d'entraîner des dérives pour que j'émette un avis défavorable sur une telle proposition. La justice, c'est l'affaire des magistrats. La police, c'est l'affaire de la police et de la gendarmerie. La loi, c'est l'affaire des parlementaires. Chacun doit être à sa place et nous ne devons pas autoriser des dérives toujours possibles. La procédure pénale protège nos libertés. Or cette procédure s'apprend : on l'intègre et on la vit lorsque l'on est policier, gendarme ou magistrat. Je suis donc très circonspect, madame la députée, devant votre idée. Je reconnais qu'elle serait sans doute très efficace, mais le garde des sceaux est garant de la règle de droit et de la procédure pénale.