15ème législature

Question N° 15481
de Mme Sabine Rubin (La France insoumise - Seine-Saint-Denis )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Action et comptes publics

Rubrique > impôt sur les sociétés

Titre > À propos de « l'affaire Kering »

Question publiée au JO le : 25/12/2018 page : 11957
Réponse publiée au JO le : 02/04/2019 page : 2987
Date de changement d'attribution: 01/01/2019

Texte de la question

Mme Sabine Rubin attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'absence d'enquête ouverte par le parquet national financier à propos de « l'affaire Kering », groupe français de l'industrie du luxe sur lequel pèsent d'importants soupçons de fraude fiscale. En décembre 2017, la justice italienne a initié une procédure pour évasion fiscale à l'encontre de Gucci, l'une des plus importantes filiales du groupe français du luxe Kering, propriété de M. Pinault. C'est près de 1,3 milliards d'euros qui auraient été ainsi soustraits au budget italien depuis 2009, par l'entremise de Luxury Goods Internationale (LGI), une filiale suisse chargée de la distribution et de la logistique, située dans le canton du Tessin. Or une enquête de Médiapart publiée en mars 2018 a permis de révéler l'ampleur de cette évasion fiscale qui, loin de se circonscrire à la seule filiale Gucci, concernerait notamment les filiales françaises Saint Laurent et Balenciaga. C'est près de 2,5 milliards d'euros qui auraient ainsi été frauduleusement engrangés par le groupe Kering. Mme la députée ne peux que faire part de son étonnement quant à la timidité du parquet national financier, au regard notamment de l'action énergique entreprise par le voisin italien. Cela alors que l'évasion et la fraude fiscale représentent un grave manque à gagner pour le budget de la Nation et minent le consentement de tous les citoyens à l'impôt, fondement de tout État républicain. Cette affaire a d'ailleurs donné lieu à une pétition d'ores et déjà signée par plus de 16 000 personnes, qui traduit l'émoi de nombre de Français face à ces pratiques iniques. Une affaire qui s'inscrit dans un contexte d'exaspération croissante des citoyens face à l'injustice fiscale, qu'a exprimée le mouvement dit des « Gilets jaunes » sur tout le territoire national. Certes, le dispositif législatif est encore insuffisamment armé pour lutter efficacement contre ce type de pratique à la légalité pourtant douteuse, rompant délibérément le pacte civique et social. Elle pense notamment à la notion « d'abus de droit fiscal », qui s'appliquait lorsqu'il était prouvé que la pratique incriminée était « uniquement fiscale », ce qui n'est en l'occurrence pas le cas puisque LGI existe bel et bien en tant que plateforme logistique, mais dont le volume des profits déclarés ne correspond absolument pas à l'activité économique réelle de l'entreprise. Cette notion d'abus de droit fiscal a fait l'objet d'un élargissement, une avancée qu'il convient de saluer, puisque désormais il s'agit d'incriminer une pratique « essentiellement fiscal ». C'est pourquoi, elle souhaite savoir si le parquet national financier a l'intention d'engager des poursuites, et l'actualisation de la notion d'abus fiscal permettrait de poursuivre un groupe qui s'est délibérément soustrait à ses obligations civiques les plus élémentaires.

Texte de la réponse

La juste imposition en France des groupes d'entreprises multinationaux et leur contribution dans l'État où ils conduisent leurs activités constituent un enjeu d'équité et de justice fiscale ainsi qu'une priorité pour le Gouvernement. En raison des règles sur le secret fiscal, il ne peut être répondu précisément sur l'affaire particulière citée dans la question. Sur le terrain des principes et du cadre général dans lequel s'inscrit le contrôle fiscal, les précisions suivantes peuvent toutefois être apportées. De manière générale, l'administration fiscale s'appuie sur les éléments de faits recueillis dans le cadre des opérations de vérification, éventuellement enrichis par ceux collectés dans le cadre de procédures de visite et de saisie et/ou d'audition et de demandes d'assistance administrative internationale auprès des autorités fiscales étrangères, afin de mettre en évidence les contributions réelles des entités françaises par rapport à celles des entités étrangères d'un groupe et d'en tirer les conséquences en matière de prix de transfert, et partant de résultat imposable. En fonction des circonstances, des pénalités pour manquements délibérés ou manœuvres frauduleuses peuvent être appliquées. En outre, depuis le 1er janvier 2019, la clause anti-abus générale en matière d'impôt sur les sociétés prévue par la directive de lutte contre l'évasion fiscale, dite « ATAD », permet de lutter contre les montages qui n'ont pas été mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique mais pour obtenir, à titre d'objectif principal ou d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal à l'encontre de l'objet ou finalité du droit fiscal. Le législateur a par ailleurs souhaité assouplir le dispositif de l'abus de droit fiscal en introduisant une règle d'assiette qui permettra de remettre en cause les opérations mises en place à partir de 2020 qui auront un motif principalement fiscal et non plus exclusivement fiscal, et qui concernera toutes les impositions. Ces dispositifs constituent autant d'outils supplémentaires qui permettront à l'administration fiscale de lutter plus efficacement contre les pratiques d'évasion fiscale, en particulier internationale. Par ailleurs, la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude dispose que l'administration fiscale est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle et qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 euros, des pénalités fiscales les plus lourdes, égales à 40 %, 80 % ou 100 % des droits rectifiés.