Question orale n° 1562 :
Contournement de la non-brevetabilité des logiciels

15e Législature

Question de : M. Philippe Latombe
Vendée (1re circonscription) - Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés

M. Philippe Latombe alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur le contournement de la non-brevetabilité des logiciels. Depuis qu'en 2005 le Parlement européen a confirmé le droit européen en vigueur en refusant que le logiciel entre dans le champ de la brevetabilité, les grandes entreprises étasuniennes du logiciel tentent de contourner l'interdiction. Téléguidée par l'Allemagne, qui abrite la Cour européenne des brevets, la Commission européenne a tenté de mettre sur pied la signature d'un accord commercial hors traités de l'Union, manœuvre qui ôte au Parlement européen un droit de regard et d'avis sur le texte. La délégation française aurait déjà donné son accord pour l'organisation d'une cérémonie de signature de cette déclaration en marge d'une réunion Coreper à Bruxelles. Comment peut-on d'un côté prétendre promouvoir la souveraineté numérique de la France, comme le Président de la République l'a déclaré aux Français lors de sa dernière intervention, et tolérer de telles pratiques ? Pourquoi les assemblées françaises n'ont-elles jamais été informées, alors qu'il aurait dû y avoir un débat en leur sein avant de donner un quelconque mandat de négociation pour la signature de cette déclaration en Conseil ? Le contenu exact de cette déclaration peut-il être précisé ? Cette dernière est-elle compatible avec la convention de Vienne sur l'interprétation des traités (VCLT), et qui en a effectué une vérification juridique ? Il souhaite avoir des précisions à ce sujet.

Réponse en séance, et publiée le 8 décembre 2021

CONTOURNEMENT DE LA NON-BREVETABILITÉ DES LOGICIELS
M. le président. La parole est à M. Philippe Latombe, pour exposer sa question, n°  1562, relative au contournement de la non-brevetabilité des logiciels.

M. Philippe Latombe. Depuis qu'en 2005, le Parlement européen a confirmé le droit européen en vigueur en refusant que le logiciel entre dans le champ de la brevetabilité, les grandes entreprises étasuniennes du logiciel tentent de contourner cette interdiction. Téléguidée par l'Allemagne, qui abrite l'Office européen des brevets, la Commission européenne a tenté de mettre sur pied la signature d'un accord commercial en dehors des traités de l'Union, manœuvre qui ôte au Parlement européen un droit de regard et d'avis sur le texte. La délégation française aurait déjà donné son accord pour l'organisation d'une cérémonie de signature de cette déclaration en marge d'une réunion du comité des représentants permanents (COREPER) à Bruxelles.

Comment pourrait-on promouvoir notre souveraineté numérique, comme le Président de la République a déclaré aux Français lors de sa dernière intervention, et tolérer de telles pratiques ? Pourquoi nos assemblées n'ont-elles jamais été informées, alors qu'il aurait dû y avoir un débat en leur sein avant de donner un quelconque mandat de négociation pour la signature de cette déclaration en Conseil ?

Le contenu exact de cette déclaration peut-il être précisé ? Cette dernière est-elle compatible avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, et qui en a effectué une vérification juridique ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'industrie. Le projet de juridiction unifiée des brevets en Europe vise à créer une juridiction européenne, compétente pour le contentieux de la validité et de la contrefaçon des brevets européens et du futur brevet européen à effet unitaire, délivrés par l’Office européen des brevets. La Commission européenne ne joue pas de rôle dans ce projet à caractère intergouvernemental.

L’accord a pour objectif de créer un juge unique des brevets en Europe dans le respect du droit de l’Union européenne et des règles de la Convention sur le brevet européen. Le projet vise à remédier aux défaillances de la situation actuelle qui conduit les entreprises à engager des contentieux multiples devant les juridictions des différents États membres où les brevets sont protégés et où des actes de contrefaçon sont constatés.

Ce projet constitue donc un réel progrès et il a le soutien de l’ensemble des entreprises européennes, pour lesquelles il constitue un élément essentiel de l’encadrement juridique efficace du système des brevets en Europe et un facteur de compétitivité de l’économie européenne.

La non-brevetabilité des logiciels est traitée dans le cadre de la délivrance des brevets en Europe, qui ne relève pas de la compétence de la juridiction unifiée des brevets mais de l'Office européen des brevets, en application de la Convention sur le brevet européen.

De même, l’accord sur la juridiction unifiée des brevets ne concerne pas la souveraineté numérique de l’Europe ou de la France : cet accord vise seulement à doter l’Europe d’une juridiction unique des brevets, ce dont l’Europe ne dispose pas à ce jour, compétente pour la validité et la contrefaçon de brevets dans l'ensemble des domaines technologiques. L’activité de la juridiction unifiée des brevets s’intégrera à l’ordre juridique de l’Union, car la juridiction pourra renvoyer des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne et sera en tout état de cause liée par la jurisprudence de cette dernière et le droit de l’Union.

Le projet de déclaration vise à retenir une interprétation de l’article 3 du protocole d’application provisoire de l’accord sur la juridiction unifiée du brevet qui tire les conséquences du retrait du Royaume-Uni. Cette déclaration a pour seul objectif de substituer l’Italie au Royaume-Uni de la liste des États dont la ratification est nécessaire pour l’entrée en vigueur du protocole d’application provisoire. Ce projet de déclaration technique ne modifie en aucune façon le contenu du protocole d’application provisoire ni l'accord sur la juridiction unifiée des brevets. Il ne constitue pas un accord commercial et ne porte en rien sur les questions de non-brevetabilité des logiciels ou de souveraineté numérique.

M. le président. La parole est à M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Je vous remercie de cette réponse. Il n'est pas question de remettre en question la juridiction unifiée des brevets, dont les entreprises ont effectivement besoin. J'appelle simplement votre attention sur le fait que cette juridiction sera un prolongement de l'Office européen des brevets, qui tord le modèle juridique et accepte la brevetabilité de logiciels au motif qu'ils peuvent offrir des avantages techniques.

Avec une telle juridiction, nous risquons de voir valider en première et deuxième instances des brevets qu'il sera difficile de faire respecter dans les différents pays de l'Union, ou auxquels il sera difficile d'appliquer le droit de l'Union. Il ne faut pas que la brevetabilité des logiciels devienne une conséquence délétère de la création de cette juridiction.

Données clés

Auteur : M. Philippe Latombe

Type de question : Question orale

Rubrique : Propriété intellectuelle

Ministère interrogé : Économie, finances et relance

Ministère répondant : Économie, finances et relance

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 novembre 2021

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