15ème législature

Question N° 156
de M. Gilles Le Gendre (La République en Marche - Paris )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > hôtellerie et restauration

Titre > Brandjacking

Question publiée au JO le : 13/02/2018
Réponse publiée au JO le : 21/02/2018 page : 1293

Texte de la question

M. Gilles Le Gendre attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur le phénomène du brandjacking en ligne, en particulier dans le secteur de l'hôtellerie. Celui-ci consiste pour les agences de réservation en ligne telles Booking ou TripAdvisor à détourner les internautes de leur recherche d'hôtel, en positionnant en haut de la page de recherche des liens sponsorisés ayant pour titre les noms des établissements recherchés mais qui redirigent les internautes vers leur site internet, grâce à l'achat de mots-clés dans Google à travers son programme AdWords. Ce phénomène, est devenu plus nuisible encore depuis juin 2016, puisque le moteur de recherche a rendu les publicités acquises par les centrales de réservation de moins en moins perceptibles comme telles. Cette pratique est extrêmement pénalisante commercialement et financièrement pour les acteurs de l'hôtellerie. Elle nuit également à la transparence de l'information qui est due au consommateur et constitue donc une atteinte grave au bon fonctionnement de la concurrence. Il lui demande donc quelles actions sont prévues pour enrayer cette pratique.

Texte de la réponse

PRATIQUE DU « BRANDJACKING » DANS LE SECTEUR DE L'HÔTELLERIE


M. le président. La parole est à M. Gilles Le Gendre, pour exposer sa question, n°  156, relative à la lutte contre le piratage de marques.

M. Gilles Le Gendre. Monsieur le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, le brandjacking– pillage de marque, en bon français – consiste, pour les plateformes de réservations d'hôtels en ligne, à détourner la clientèle des établissements avec lesquels ils sont ou pas en relation commerciale et à contraindre ainsi les hôteliers à s'acquitter de commissions qui grèvent leur rentabilité.

Penchons-nous un peu plus sur les détails de ce mécanisme complexe. Lorsqu'un internaute saisit sur un moteur de recherche, en particulier sur le plus fameux d'entre eux, dont le nom commence par un « g » et se termine par un « e », une requête pour un hôtel spécifique, les premiers liens qui apparaissent sont, non pas celui du site de l'hôtel recherché, mais ceux des centrales de réservation, dont nous nous garderons bien de faire la publicité ici, car tous ceux qui en ont fait l'expérience les connaissent parfaitement.

Ces liens sponsorisés ont bien pour titre principal les noms des établissements recherchés, mais ils redirigent les internautes vers ces plateformes de réservation, qui bénéficient des meilleures places sur la page de recherche. Cela résulte d'un système d'enchères bien connu de tous les annonceurs publicitaires sur internet, qui réserve les meilleurs emplacements aux plus offrants.

Ce phénomène est encore plus nuisible depuis février 2016. À cette date, le même moteur de recherche a rendu les publicités de moins en moins reconnaissables, afin qu'elles apparaissent comme de l'information classique et objective. La charte graphique de couleur jaune qui caractérisait les liens sponsorisés a été remplacée par une simple mention « annonce », graphiquement intégrée au texte, de telle manière qu'elle soit la moins identifiable possible. Par ailleurs, le moteur de recherche accorde de plus en plus de place aux liens commerciaux, alors que le référencement non commercial se trouve relégué au bas de la page de recherche.

Le résultat est évident : le consommateur est trompé. Selon une étude de l'autorité de régulation des télécommunications du Royaume-Uni réalisée au printemps 2016, un adulte sur deux ne fait pas la différence entre un contenu publicitaire sur un moteur de recherche et un résultat de recherche à caractère non-commercial.

Cette pratique est extrêmement pénalisante pour les acteurs de l'hôtellerie, et plus encore pour les établissements de taille modeste, comme le quartier latin, dont je suis l'élu, en compte beaucoup, qui font un travail formidable pour l'attractivité de ce haut lieu de la capitale prisé par les touristes étrangers. Elle nuit également à la transparence de l'information due au consommateur et constitue donc une atteinte grave au bon fonctionnement de la concurrence.

Monsieur le secrétaire d'État, en saluant le combat sans relâche que votre ministère, sous l'impulsion de Bruno Le Maire mène, sur d'autres fronts, pour obliger les grands acteurs mondiaux de l'internet à respecter les règles du jeu économiques et fiscales dont ils s'affranchissent trop facilement, je sollicite votre aide. Quelles actions pourriez-vous engager pour lutter efficacement contre cette pratique inacceptable du pillage de marque ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le député, comme vous, le Gouvernement est attaché à ce que les consommateurs puissent disposer d'une information transparente et loyale, condition sine qua non pour qu'ils puissent défendre leurs intérêts et faire les meilleurs choix, mais également pour que la concurrence entre les entreprises soit efficace et assure un fonctionnement optimal des marchés. À cet égard, le Gouvernement est attentif à ce que les grandes plateformes ne s'affranchissent pas des règles de protection des consommateurs et de concurrence. Si le développement de l'économie numérique est source de nombreuses opportunités, il doit être régulé pour garantir transparence, loyauté et confiance, au service des consommateurs comme des entreprises. La régulation des plateformes est ainsi un axe de travail fondamental du Gouvernement et du ministère.

Le 29 septembre 2017, le Gouvernement a signé trois décrets pour renforcer la loyauté et la transparence des plateformes. Les moteurs de recherche, mais également les sites qui proposent des classements ou des référencements d'hôtels, doivent obligatoirement, depuis le 1er janvier 2018, préciser les critères de classement. Par ailleurs, pour chaque résultat de classement, à proximité de l'offre ou du contenu classé, tout opérateur de plateforme en ligne fait apparaître, par tout moyen distinguant clairement ce résultat, l'information selon laquelle son classement a été influencé par l'existence entre lui et l'offreur référencé d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération, y compris pour la publicité. Ces dispositions sont capitales, car le classement des sites internet par les moteurs de recherche ou celui des offres par les sites comparateurs ont un impact majeur sur le comportement des consommateurs et donc la vie des entreprises ; c'est notamment le cas dans le secteur du tourisme et de l'hébergement. Ces décrets ont également renforcé les obligations des plateformes dans d'autres domaines, en particulier en matière de faux avis en ligne – qui, là encore, faussent la concurrence –, ainsi que de l'information des consommateurs sur les places de marché ou les sites d'économie collaborative.

Vous me demandez ce que le Gouvernement envisage pour l'année 2018. Dans sa programmation des enquêtes de 2018, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, DGCCRF, a prévu de mener des contrôles de ces sites afin de vérifier le respect de leurs obligations et de garantir aux parties prenantes une information claire et loyale, en application des décrets que j'ai cités. Si, dans un premier temps, il s'agira en priorité de sensibiliser les professionnels, notamment les petites entreprises, aux nouvelles dispositions, des sanctions seront appliquées rapidement. Pour rappel, en 2016, la DGCCRF avait contrôlé près de 11 000 sites internet.

J'ajoute que si l'achat de mots-clés permis par la plateforme n'est pas en soi un manquement, l'hôtelier qui verrait sa marque utilisée sans autorisation peut mettre en œuvre la procédure de réclamation organisée par la plateforme, voire agir en responsabilité civile contre l'auteur du dommage. Nous nous tenons à vos côtés pour accompagner ces professionnels.

M. le président. La parole est à M. Gilles Le Gendre.

M. Gilles Le Gendre. Je tiens à remercier M. le secrétaire d'État pour le caractère très argumenté, précis et convaincant de sa réponse, de nature à apporter l'apaisement à une profession qui l'appelait de ses vœux.