Question orale n° 163 :
Situation financière alarmante de la Société du Grand Paris

15e Législature

Question de : M. Éric Coquerel
Seine-Saint-Denis (1re circonscription) - La France insoumise

M. Éric Coquerel alerte Mme la ministre, auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports sur la situation de La Société du Grand Paris (SGP), une société de projet ad hoc créée en 2010 par Nicolas Sarkozy afin de mettre en œuvre le Grand Paris Express. Ce projet devait représenter 200 km de lignes de métro supplémentaires, dont 90 % en souterrain, visant à relier les départements de la petite couronne parisienne. Il s'agissait de doter la métropole parisienne d'infrastructures dignes d'une mégapole capable de rivaliser avec Londres, Madrid ou Tokyo. Il était initialement prévu que le Grand Paris Express soit en service en 2030, avec une ouverture des lignes progressive dès 2019. Pourtant, la Cour des comptes a récemment tiré la sonnette d'alarme. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la réponse du Gouvernement témoigne d'un flou inquiétant pour les usagers et une dérive importante des coûts. Le rapport de la Cour des comptes sur la Société du Grand Paris, paru le 17 janvier 2018, souligne que les dépenses totales liées au projet ont été considérablement réévaluées. D'abord estimées à 22 milliards d'euros en 2010, puis à 26 milliards d'euros début 2017, elles ont été estimées à 38,5 milliards d'euros à l'été 2017 par la SGP. Avec ce projet insoutenable, la Cour estime que la Société du Grand Paris pourrait s'endetter au-delà de 2100, et peser lourdement sur la trajectoire des finances publiques. Le rapport déplore également que les décisions d'accélération du chantier, dans la perspective de l'organisation des JO de 2024, aient conduit la SGP à faire primer les objectifs de délai sur ceux des maîtrises des coûts. D'où la décision de créer un « groupe de travail » - qui a par ailleurs déjà beaucoup travaillé sur le sujet - présidé par Gilles Carrez pour étudier l'augmentation des ressources affectées à la Société du Grand Paris, pallier ces hausses et examiner le calendrier qui ne sera pas tenu. Le rapport estime que l'ensemble du calendrier de mise en œuvre du projet est peu réaliste. Elle affirme en particulier, reprenant une étude du ministère des transports, que le calendrier de mise en service des lignes 17 et 18 en vue des Jeux olympiques de 2024 est quasi inatteignable. La France s'était pourtant engagée, dans son dossier de candidature aux JO de 2024, à desservir les futurs sites olympiques par ces nouvelles lignes de métro. Les coûts et les délais de réalisation du projet seront également impactés par la concomitance avec plusieurs autres très grands projets dont le CDG Express et le Lyon-Turin. Peu de moyens matériels, techniques et humains seront ainsi disponibles. Le Premier ministre et la ministre des transports ont confirmé, le 26 janvier 2018, que le calendrier ne sera pas tenu, tout en assurant que les lignes seront bien construites. Pourtant, cette annonce n'est pas accompagnée de décision concrète : il n'est prévu que de « sécuriser les plannings » sans indiquer les dates de mise en service, pour une nouvelle annonce en mars 2018 ! Par ailleurs, la gouvernance est inopérante : les élus locaux composant le conseil de surveillance n'ont pas été informés de la dérive des coûts alors que, selon le rapport de la Cour, le directoire de la SGP disposait depuis plusieurs mois d'éléments sur ce point. Le rapport pointe également le sous-effectif de la SGP : 210 salariés sont largement insuffisants pour mener ce chantier. En conséquence, ce sont des prestataires privés, assistants maîtres d'ouvrage, qui établissent les dossiers techniques. Ces prestataires ne se préoccupent pas de la maîtrise des coûts et la SGP a des difficultés à contrôler efficacement chacun d'entre eux. Il lui demande quelles sont les pistes possibles pour redimensionner le projet de Grand Paris Express. Ces pistes prennent-elles en compte la priorité qui est selon M. le député de désengorger les axes existants pour les trajets de domicile-travail de la population ou sont-elles soumises à d'autres impératifs tels les JO ou les liaisons entre les pôles de compétitivité ou entre les aéroports ? Est-ce que le nombre de gares prévues ne va pas en pâtir ? Il souhaite également savoir si une estimation des sommes perçues par les géants de la construction comme Vinci, Bouygues ou Eiffage dans du projet de Grand Paris Express a été réalisée. Dans la réévaluation des coûts totaux du projet, M. le député souhaite être informé sur la prise en compte des coûts éventuels liés au recours face à des appels d'offres mal ficelés. En novembre 2017, le journal Capital dénonçait des contrats juteux et mal ficelés juridiquement pour les géants du BTP dans le cadre de la SGP : 926 millions d'euros pour Vinci, 1,1 milliards pour Bouygues, 795 millions pour Eiffage. Il lui demande de le renseigner sur la façon dont le projet de Grand Paris Express a été piloté sous le précédent quinquennat et sur l'implication du Gouvernement. Enfin, dans le cadre d'une réforme de la gouvernance de la Société du Grand Paris, il lui demande si elle a envisagé un droit de regard de l'Assemblée pour un projet d'envergure nationale qui menace les comptes publics.

Réponse en séance, et publiée le 23 février 2018

MISE EN ŒUVRE DU PROJET GRAND PARIS EXPRESS
M. le président. La parole est à Mme Sabine Rubin, pour exposer la question n°  163 de M. Éric Coquerel, relative à la mise en œuvre du projet Grand Paris Express.

Mme Sabine Rubin. La question de M. Éric Coquerel s'adresse à Mme la ministre chargée des transports.

La Cour des comptes a récemment tiré la sonnette d'alarme concernant la Société du Grand Paris. Cette société, chargée de mettre en œuvre le Grand Paris Express et ses 200 kilomètres de lignes de métro supplémentaires, s'est engagée à ce que l'ensemble du réseau soit en service en 2030 avec une ouverture des lignes dès 2019.

Or le rapport de la Cour des comptes sur la Société du Grand Paris, paru en janvier dernier, tire l'alarme sur trois aspects qui font redouter le pire aux habitants de la petite couronne parisienne et aux élus : une dérive importante des coûts, un calendrier qui ne sera pas tenu et une gouvernance plus ou moins douteuse.

S'agissant des coûts, l'estimation des dépenses totales liées au projet est en constante augmentation, passant de 22 milliards en 2010 à 38,5 milliards en 2017, soit une augmentation de 75 %. Compte tenu des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, la Société du Grand Paris a décidé de faire primer les objectifs de délais sur la maîtrise des coûts. Et, bien que le COJO – comité d'organisation des Jeux olympiques – nous ait garanti que le budget ne serait pas dépassé, nous pouvons constater que la perspective des jeux aggrave indirectement la dépense publique.

En ce qui concerne les délais, le Gouvernement a confirmé le 26 janvier que le calendrier ne sera pas tenu, tout en assurant que les lignes seront bien construites. Soit, mais nous n'avons toujours pas de dates claires de mise en service de ces lignes.

Enfin, pour couronner le tout, les élus locaux composant le conseil de surveillance n'ont pas été informés de la dérive des coûts, alors que, selon le rapport, la Société du Grand Paris disposait d'éléments sur ce point depuis plusieurs mois. C'est la conséquence du sous-effectif de la Société du Grand Paris, laquelle est contrainte de faire appel à des prestataires privés qui établissent les dossiers techniques sans se préoccuper de la maîtrise des coûts.

La question est simple : quelles pistes la ministre chargée des transports envisage-t-elle de suivre pour, d'une part, redimensionner le projet du Grand Paris Express en maîtrisant les coûts entraînés par les contrats juteux des géants du bâtiment et des travaux publics que sont Vinci, Bouygues et Eiffage et, d'autre part, réformer la gouvernance en incluant des parlementaires sur un sujet d'envergure nationale ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la députée, vous avez interrogé la ministre chargée des transports, que je représente ce matin, sur la situation financière de la Société du Grand Paris et sur la réalisation du Grand Paris Express, à la suite notamment du récent rapport de la Cour des comptes sur le sujet.

Tout d'abord, je vous confirme que ce projet, indispensable au développement et à l'attractivité de l'Île-de-France, sera intégralement réalisé. Il a vocation à améliorer les dessertes et les transports du quotidien des Franciliens, auxquels le Gouvernement est particulièrement attaché, comme vous le savez, madame la députée. Il n'est d'ailleurs pas exclusif d'autres projets menés parallèlement en Île-de-France – je pense par exemple au projet Éole, à l'extension de la ligne 11 de métro, à la construction de la ligne 12 Express du tramway ou encore aux schémas directeurs des RER.

Si le Gouvernement entend bien traiter l'ensemble des défis rencontrés dans le cadre du Grand Paris, il veut le faire avec sincérité et transparence envers l'ensemble des acteurs concernés, c'est-à-dire sans occulter les réalités techniques, humaines et financières auxquelles il est confronté pour mener à bien ce projet dont vous conviendrez, madame la députée, du caractère hors norme.

En particulier, la complexité technique du projet nécessite une validation objective des risques quant aux délais et aux coûts des différentes lignes ; nous devons en effet nous engager sur des délais de livraison robustes et conformes à la réalité. Je pense, madame la députée, que vous approuvez cette méthode qui se veut sincère, transparente et réaliste. Cette réévaluation, liée notamment à la prise en compte de contraintes géotechniques désormais mieux identifiées, est bien un élément qui a conduit le Gouvernement à réfléchir à un rééchelonnement du calendrier des différentes sections. Nous nous trouvons donc confrontés à certaines réalités techniques.

La question de la soutenabilité économique à long terme du projet ainsi que celle de l'adéquation des ressources humaines de la Société du Grand Paris doivent aussi être examinées. Ce sont des questions importantes, sur lesquelles nous nous penchons. Un groupe de travail a été créé à cet effet, sous l'égide du député Gilles Carrez, et devrait rendre ses conclusions à l'été 2018.

Enfin, les entreprises de travaux publics que vous avez mentionnées et qui travaillent sur ce projet percevront les sommes convenues dans les marchés passés après mise en concurrence, dans le cadre d'appels d'offres ouverts, transparents et légaux, dans le respect de toutes les règles en vigueur.

Données clés

Auteur : M. Éric Coquerel

Type de question : Question orale

Rubrique : Aménagement du territoire

Ministère interrogé : Transports

Ministère répondant : Transports

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 13 février 2018

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