15ème législature

Question N° 1659
de M. David Lorion (Les Républicains - Réunion )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Agriculture et alimentation
Ministère attributaire > Agriculture et alimentation

Rubrique > outre-mer

Titre > Quel avenir pour la filière canne-sucre-énergie à La Réunion ?

Question publiée au JO le : 25/01/2022
Réponse publiée au JO le : 02/02/2022 page : 1336

Texte de la question

M. David Lorion attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur l'avenir de la filière canne-sucre-énergie à La Réunion. Cette filière représentant quelque 18 000 emplois doit absolument pérenniser son activité car elle a atteint un très haut niveau de productivité et de qualité, elle contribue grandement à l'export et au développement de l'agriculture locale et elle sert à produire de l'énergie verte (biomasse) et des produits dérivés qui font la renommée de l'île. La recherche-développement de haute technicité conduit déjà à une diversification multi-domaines des produits de la canne à sucre, qui devient une matière première primordiale à La Réunion. Une nouvelle convention canne-sucre doit être négociée dès le premier trimestre 2022 et signée avant le début de la prochaine campagne sucrière par les partenaires de l'interprofession (industriels, planteurs). Elle doit permettre de préserver un juste équilibre financier au sein de cet écosystème entre tous ceux qui bénéficient de cette production de qualité. Malheureusement, cet équilibre est une fois encore menacé. La fin des quotas sucriers, l'ouverture du marché européen et certains des accords ACP permettent aux pays extra-européens, notamment ceux ayant des coûts salariaux et sociaux faibles, de concurrencer la production réunionnaise de sucre sur la base de prix faussés à la baisse. Pour préserver ce pivot de l'agriculture réunionnaise, le Gouvernement doit prendre sur le long terme des engagements forts permettant à la filière d'affronter cette concurrence déloyale qui met en danger sa survie. Il convient de garantir dans le temps aux industriels et aux agriculteurs, une juste rémunération de leur travail et des capitaux engagés sur les investissements. Selon des études réalisées par les professionnels sur l'évolution de la filière à horizon 2027, il faut un soutien public annuel supplémentaire exceptionnel de 35 millions d'euros (20 millions d'euros pour soutenir les planteurs et la relance agricole, 15 millions permettant aux industriels de continuer à accéder au marché européen, à maintenir les sucreries et les investissements sur les sucres spéciaux). Sans cet effort, la filière canne-sucre risquerait de disparaître avec toutes les conséquences désastreuses en termes économiques, sociaux, d'aménagement du territoire et des paysages, pour ce territoire et une partie de sa population. Le comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre de La Réunion et le conseil départemental doivent être entendus et leurs propositions examinées par l'État et l'Europe. Il lui demande de prendre rapidement des initiatives, dès ce premier semestre 2022, y compris au plan européen, pour soutenir et encourager cette filière vitale pour l'économie, l'équilibre social et environnemental de l'île et réaliser un vrai plan durable spécifique conformément aux engagements pris par le Président de la République lors de ses déplacements à La Réunion les 25 mars 2017 et 23 octobre 2019.

Texte de la réponse

FILIÈRE CANNE-SUCRE-ÉNERGIE À LA RÉUNION


M. le président. La parole est à M. David Lorion, pour exposer sa question, n°  1659, relative à la filière canne-sucre-énergie à La Réunion.

M. David Lorion. Madame la ministre, je vous apporte en quelque sorte le dessert puisque ma question est relative au sucre.

En réalité, au-delà du sucre, je veux appeler votre attention sur l'avenir de notre filière canne-sucre-mélasse-rhum-énergie en outre-mer, notamment sur l'île de La Réunion. Cette filière, qui représente 18 000 emplois, soit plus de 12 % de l'emploi privé agricole, constitue un pivot, aussi bien en matière de diversification agricole que d'environnement, d'énergie – notamment à travers sa biomasse, qui produit de l'électricité – ou de protection du sol.

Aujourd'hui, l'équilibre de cette filière est rompu, ce qui met à mal tout le modèle agricole réunionnais, car, avec l'accumulation des concessions prévues par les multiples accords signés par l'Union européenne, les droits de douane, notamment pour les pays d'Amérique latine, ont été supprimés. Ces pays ont multiplié par trois ou quatre leurs exportations de sucre de spécialité pour acquérir plus de 28 % de part du marché européen. Actuellement, plus de 70 % du marché européen des sucres de spécialité, dits sucres roux, est détenu par des pays non européens.

La part du marché pour les DROM, les départements et régions d'outre-mer, ne cesse de se réduire – cette baisse ayant atteint les 20 %. La situation est catastrophique pour La Réunion qui était leader sur le marché européen pour les sucres spéciaux.

La réponse doit être double. Il faut d'une part actualiser la clause de sauvegarde multilatérale et d'autre part apporter une aide de 35 millions d'euros supplémentaires pour assurer la survie de cette filière.

Il est urgent de prendre des décisions car la convention quinquennale de la canne actuelle arrive à échéance en 2022. Tous les acteurs réunis autour de la table doivent signer une nouvelle convention pour que la coupe de la canne, dans le cadre de la campagne sucrière de 2022, puisse débuter. L'absence d'accord juste entraînerait la mort lente de tous les agriculteurs réunionnais.

Madame la ministre, depuis plusieurs années, tous les agriculteurs – ceux qui produisent de la canne à sucre mais aussi ceux qui assurent l'alimentation locale, qu'on ne doit pas opposer aux premiers – doutent de la volonté de votre gouvernement d'accompagner dans la durée ce modèle agricole. Que pouvez-vous leur dire pour les rassurer, à quelques mois de la signature de la nouvelle convention canne-sucre-mélasse-énergie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Votre question, qui s'adresse au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, porte sur la filière canne-sucre-rhum-énergie, laquelle constitue un pilier de l'agriculture à La Réunion mais aussi un pilier de notre souveraineté alimentaire. À cet égard, vous avez eu raison de rappeler que cette question touchait aussi des enjeux liés à l'importation.

Cette filière est pourvoyeuse de 18 000 emplois, incluant notamment 2 700 planteurs. Vous le savez, le préfet de l'île a piloté sept réunions plénières du comité local de transformation agricole, à l'issue desquelles des orientations consensuelles ont été définies pour l'avenir de la filière, l'idée étant d'augmenter la valeur ajoutée des produits issus de la canne.

D'autre part, une mission de l'inspection générale a donné lieu à un rapport sur l'avenir de la production de sucre outre-mer en 2021. On peut y lire la confirmation – je tiens à vous le dire solennellement – que, pour l'État, il est important d'apporter son soutien à la poursuite des activités d'une filière structurante pour les territoires.

La convention fixant les conditions de la production et de l'acquisition des cannes par l'industriel sucrier est arrivée à échéance fin 2021. Le Gouvernement a mandaté le préfet de La Réunion afin qu'il engage, en lien avec le conseil régional et le conseil départemental, une démarche de concertation locale en vue de la négociation de la prochaine convention.

Ce mandat confirme la volonté du Gouvernement de maintenir un soutien public fort à la filière puisqu'il prévoit que cette aide doit s'élever à au moins 133 millions d'euros par an en crédits européens et nationaux destinés à La Réunion. Nous élaborons actuellement la notification indiquant à Bruxelles notre volonté que cette aide soit maintenue à son niveau actuel, conformément à ce qui a été prévu dans la loi de finances.

Vous évoquez la nécessité d'une hausse exceptionnelle des soutiens publics en vue de la prochaine convention canne. La question du niveau et des modalités de ces soutiens doit être abordée sous l'égide du préfet de La Réunion, ce qui permettra de recueillir tous les éléments de justification susceptibles d'être discutés avec les autorités communautaires européennes chargées de la gestion des aides d'État. La discussion est donc ouverte et notre soutien à la filière est total.

Parallèlement, s'agissant des importations – une question importante que vous avez mentionnée –, le Gouvernement, en particulier bien sûr son ministre de l'agriculture et de l'alimentation, a fait valoir, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, la priorité que nous donnons au dossier dit des clauses miroirs pour que les produits originaires des pays tiers, qui ne répondent pas aux mêmes normes environnementales que celles que nous appliquons en Europe – en l'occurrence sur l'île de La Réunion et sur l'ensemble du territoire français – ne faussent pas la concurrence. Notre ambition est de recréer le cadre d'une concurrence loyale fondée sur le respect réciproque de normes que nous appliquons à nos propres produits et qui doivent donc aussi s'appliquer aux produits que nous importons.

Vous le voyez, monsieur le député, nous apportons un soutien financier qui s'accompagne d'un soutien stratégique à notre souveraineté, en posant un regard lucide sur les conditions des échanges internationaux au sein de cette filière, primordiale à nos yeux.

M. le président. La parole est à M. David Lorion.

M. David Lorion. Je vous remercie de votre réponse. La présidence française du Conseil de l'Union européenne nous offre une occasion unique. Nous devons être certains que la concurrence des pays qui exportent les sucres spéciaux eu Europe n'annihilera pas purement et simplement l'économie de l'outre-mer, qui, contrairement à ces pays tiers, n'a pas d'autre possibilité d'exportation. Nous espérons donc mettre à profit cette période cruciale pour soutenir les producteurs de sucre de canne de La Réunion, culture pivot de notre modèle agricole, et éviter de compromettre toute la structuration de la filière, ce qui se produirait si nous perdions la possibilité d'exporter vers l'Europe.<