Démarches administratives des étrangers vivant en France
Question de :
M. Cédric Villani
Essonne (5e circonscription) - Non inscrit
M. Cédric Villani attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la dématérialisation des demandes de renouvellement ou d'obtention de titre de séjour a certes conduit à l'effacement des interminables files d'attente matinales devant les préfectures. Mais tous les problèmes ne sont pas résolus, loin de là ! Les demandeurs se heurtent maintenant bien trop souvent à l'impossibilité totale de déposer leurs dossiers. Le dispositif est complètement engorgé ! C'est ce qui est constaté pour la préfecture de sa circonscription, en Essonne. Dans d'autres départements, l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous via internet, même en réitérant les efforts durant de longues semaines, est tel qu'un marché noir des inscriptions s'est mis en place. Quand le blocage est complet, il ne subsiste aucune autre solution que de passer par le tribunal administratif, pour qu'il force des préfectures à accorder un rendez-vous ou de solliciter tel ou tel élu ayant l'oreille de l'administration. Les conséquences de ces blocages peuvent être très graves : les personnes qui n'ont pas obtenu un récépissé à l'expiration de leur titre vont, dans leur majorité, perdre tous leurs droits, en particulier leur travail. La précarité, le dénuement, parfois la perte du logement et des aides sociales, les frappent ainsi que leur famille. Pour certains, c'est l'impossibilité même de retrouver un emploi. En Essonne, c'est aujourd'hui dans cet état d'engorgement généralisé que se retrouvent les guichets destinés aux étrangers. La préfecture, à Évry, se place implicitement dans l'illégalité par son incapacité à traiter des situations que la loi exige de traiter en temps et en heure. Parfois, c'est un demandeur dont la loi exige la régularisation comme pour les mères d'enfants français qui ont les plus grandes difficultés à renouveler leur titre et ont pour conséquence de mettre des enfants français en rupture de droits. Parfois, c'est un employé actif, dont le travail fait honneur à son entreprise et à la France, qui se retrouve abruptement en situation irrégulière ou encore, une entreprise qui peine à faire venir un employé, dont les compétences sont vitales pour l'activité, simplement parce que les services n'ont pas répondu à temps à sa demande, pourtant déposée bien en avance. Qu'on en juge : à l'heure actuelle, les dossiers de première demande déposés début 2021 n'ont pas encore été traités et force les requérants à faire renouveler leur récépissé tous les trois mois dans cette attente. À la sous-préfecture de Palaiseau, ce sont aujourd'hui plusieurs centaines personnes qui sont en rupture de droit. Devant ce tableau consternant, il lui demande quels sont les moyens mis à disposition des préfectures et quelle stratégie il compte adopter pour que les requérants puissent être traités dignement, pour qu'ils ne soient plus placés par la lenteur de la réponse administrative dans des situations humaines insupportables et absurdes.
Réponse en séance, et publiée le 2 février 2022
DÉMARCHES ADMINISTRATIVES POUR LES ÉTRANGERS
M. le président. La parole est à M. Cédric Villani, pour exposer sa question, n° 1674, relative aux démarches administratives pour les étrangers.
M. Cédric Villani. La dématérialisation des demandes de renouvellement ou d’obtention de titre de séjour a certes effacé les interminables files d’attente matinales devant les préfectures, mais tous les problèmes ne sont pas résolus, loin de là. Désormais, les demandeurs se heurtent bien trop souvent à l'impossibilité totale de déposer leurs dossiers. Le dispositif est complètement engorgé. C’est ce qu'on constate par exemple à la préfecture de ma circonscription, en Essonne. Dans d’autres départements, l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous sur internet, même en réitérant les efforts durant de longues semaines, est telle qu’un marché noir des inscriptions s’est mis en place.
Quand le blocage est complet, il ne subsiste aucune autre solution que de saisir le tribunal administratif pour qu’il force les préfectures à accorder un rendez-vous, ou de solliciter tel ou tel élu ayant l’oreille de l’administration. Les conséquences de ces blocages peuvent être très graves : perte d’emploi ou de droit au travail, précarité, dénuement voire perte de logement et des aides sociales, pour les personnes concernées et pour leur famille.
La préfecture se place implicitement dans l'illégalité par son incapacité à faire avancer des dossiers que la loi exige de traiter en temps et en heure afin d'éviter que ne soient considérées comme étant en situation irrégulière les personnes ayant déposé une demande, notamment des mères d'enfants français ou des employés actifs dont le travail fait honneur à leur entreprise et à la France. Qu'on en juge : à l'heure actuelle, les dossiers de première demande déposés début 2021 n'ont toujours pas été pris en compte et l'on force les requérants à renouveler leur récépissé tous les trois mois en attendant.
À la sous-préfecture de Palaiseau, par exemple, ce sont aujourd'hui plusieurs centaines de personnes qui sont en rupture de droits. Je citerai certains cas dont j'ai eu connaissance : Abdelkader, aux précieuses compétences, dont l'employeur désespéré redoute de voir son entreprise péricliter si la procédure de renouvellement n'est pas enclenchée ; Soumia, mariée à un Français, que son chef de service s'apprête à soumettre à un arrêt de travail si elle ne reçoit pas de rendez-vous pour renouveler son visa ; Zhou, universitaire de classe internationale travaillant en France pour un prestigieux organisme d'enseignement supérieur, déboutée il y a deux ans de sa demande de naturalisation au motif futile qu'elle a participé à un colloque international et dont le recours n'est pas examiné ; Chahid, qui attend lui aussi depuis deux ans que soit traité son dossier de regroupement familial afin que son épouse désormais enceinte le rejoigne.
Devant ce tableau consternant, quels sont les moyens mis à disposition des préfectures ? Quelle stratégie comptez-vous adopter pour que les requérants soient traités dignement et qu'ils ne soient plus placés, du fait de la lenteur de la réponse administrative, dans des situations humaines absurdes et insupportables ? (M. Hubert Wulfranc applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté. En tant que ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur chargée des questions d'asile, d'intégration et de naturalisation, c'est moi qui vais répondre à votre question, monsieur Villani.
Vous venez de citer des situations qui méritent bien sûr d'être examinées mais notre politique en matière d'intégration, d'accueil, d'asile et de naturalisation ne peut pas se résumer à cela. Il importe de rappeler qu'avec le gouvernement de Jean Castex, nous avons décidé de naturaliser les travailleurs de première ligne qui ont fait tenir le pays pendant les confinements en accélérant le traitement de leurs demandes. Ce sont désormais nos compatriotes et l'aboutissement de ces parcours exemplaires mérite, je crois, d'être salué.
Afin de fluidifier l'accueil du public, notamment dans le contexte sanitaire actuel, les préfectures ont mis en place un service de rendez-vous en ligne, sujet sur lequel j'ai déjà été interrogée de nombreuses fois lors des séances de questions orales sans débat et sur lequel je vous réponds bien volontiers à nouveau aujourd'hui. Les difficultés ont été clairement identifiées et le Gouvernement, avec les préfectures, travaillent à les résoudre.
Depuis plusieurs années, le ministère de l'intérieur renforce les effectifs des préfectures. En 2020, il a ainsi attribué à leurs services dédiés aux étrangers l'équivalent de 610 postes de contractuels pour faire face aux pics d'activité et, en 2021, le Gouvernement a validé un plan de renfort de 150 ETPT – équivalent temps plein travaillé –, dont 122 ont été directement fléchés vers leurs services « séjour » pour les désengorger.
Afin d'assurer au mieux l'accompagnement des usagers étrangers dans la dématérialisation des procédures, un plan de renfort de 570 emplois a été arbitré pour la période allant de 2022 à 2024 : 190 emplois supplémentaires chaque année permettront d'augmenter l'offre d'accueil en réduisant les délais de rendez-vous, souvent trop longs, et d'optimiser les délais d'instruction.
À court terme, le problème des rendez-vous en ligne sera résolu par la montée en charge du projet « Administration numérique pour les étrangers en France », lancé en 2019. Il porte déjà sur plusieurs procédures, celles concernant les visiteurs, les étudiants ainsi que les passeports talent, dispositif que nous avons eu l'occasion de présenter avec mes collègues Cédric O et Franck Riester. Fin 2022, toutes les démarches liées au séjour des étrangers en France bénéficieront d'une procédure en ligne pour le dépôt des dossiers.
Dans ce cadre, le ministère de l'intérieur a prévu un dispositif pour que les personnes qui ne sont pas en mesure d'effectuer elles-mêmes le dépôt en ligne de leur demande bénéficient d'un accueil et d'un accompagnement pour accomplir cette formalité. Ainsi, les préfectures et sous-préfectures concernées mettent à disposition des points d'accueil numérique (PAN).
La préfecture de l'Essonne s'inscrit pleinement dans l'ensemble de ces démarches. Elle a ainsi remplacé le système de prise de rendez-vous en ligne, le 15 novembre 2021, par un dépôt de dossier par l'intermédiaire du service « démarches simplifiées » pour ce qui concerne l'ensemble des renouvellements de titres de séjour – ce qui renvoie aux cas que vous évoquiez – mais également pour les demandes d'admission exceptionnelle au séjour. Une fois leurs demandes déposées en ligne, tous les usagers se voient proposer un rendez-vous. Un guichet d'urgence est également ouvert chaque jour et traite entre 5 et 10 % des dossiers de primo-demande et le point d'accueil numérique consacré aux étrangers, ouvert lui aussi chaque jour, reçoit quotidiennement soixante-dix usagers pour traiter leurs demandes au mieux, dans les meilleures conditions de dignité.
M. le président. La parole est à M. Cédric Villani.
M. Cédric Villani. Merci, madame la ministre déléguée, pour ces éclaircissements. Sans l'efficacité, aucun pays ne saurait prétendre être une grande nation. Il semble nécessaire de légiférer plus souvent pour donner les moyens aux administrations de vraiment répondre aux situations d'urgence sur le terrain.
Auteur : M. Cédric Villani
Type de question : Question orale
Rubrique : Étrangers
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 janvier 2022