Question au Gouvernement n° 1677 :
luttre contre l'antisémitisme

15e Législature

Question de : M. François Pupponi
Val-d'Oise (8e circonscription) - Libertés et Territoires

Question posée en séance, et publiée le 20 février 2019


LUTTE CONTRE L'ANTISÉMITISME

M. le président. La parole est à M. François Pupponi, et à lui seul.

M. François Pupponi. Monsieur le Premier ministre, samedi dernier, la France, abasourdie, a découvert le visage de la haine antisémite, avec ce déferlement d'injures contre Alain Finkielkraut. Malheureusement, je n'ai pas été surpris par ces images : j'ai été maire de Sarcelles pendant vingt ans et, pour bien connaître la communauté juive de France, je sais que les insultes et les agressions constituent son lot quotidien, et que trop de drames surviennent en France, où des juifs sont tués parce qu'ils sont juifs.

Non, la France n'est pas antisémite. Oui, la France a un problème avec l'antisémitisme. Oui, il y a des antisémites en France ; ils sont de plus en plus nombreux, viennent d'horizons de plus en plus divers et sont de plus en plus actifs, parfois dans l'indifférence et l'impunité ; dans l'impunité, car notre législation n'est plus adaptée.

J'ai l'honneur de compter parmi mes amis Eva Sandler, qui a perdu son mari et ses deux garçons dans l'attentat de Toulouse, et Yaël Cohen, dont le fils a été tué à l'Hyper Cacher. Toutes les deux sont parties vivre en Israël, car la France n'a pas su protéger leurs familles. Quel échec pour un pays de voir partir ses enfants car ils ne croient plus en lui ! Après chaque drame nous nous sommes indignés, nous avons dénoncé, organisé des manifestations, élaboré des plans, et il y aura une grande marche tout à l'heure. Même si tout cela est indispensable, les derniers événements montrent que la situation ne fait qu'empirer.

Certains sont encore en train de disserter pour savoir de quel antisémitisme nous parlons. Pour moi, les choses sont claires : aujourd'hui, la haine du juif et la haine d'Israël sont intimement liées. Cette haine porte le même nom : l'antisémitisme. J'ai acquis l'intime conviction que, tant que la France sera dans une forme de déni, tant qu'elle ne comprendra pas les causes de ce mal, elle ne pourra pas apporter de solutions efficaces pour lutter contre la bête immonde.

Monsieur le Premier ministre, l'heure est grave ; elle est historique. Soit vous êtes, soit nous sommes capables d'un sursaut de lucidité et d'efficacité pour sauver les juifs de France, donc pour sauver la France et sa République, soit nous n'en sommes pas capables. Dans ce dernier cas, les juifs de France continueront à souffrir et à partir, et la France sombrera.

Malgré nos différences politiques, nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à être prêts à vous soutenir si vous êtes capable, avec votre gouvernement, d'imaginer et de mettre en œuvre les mesures efficaces pour lutter contre l'antisémitisme. Nous sommes prêts aussi à participer à une grande réflexion sur la nature de ces mesures. Nous le ferons, car c'est la survie de l'idéal républicain, celui qui nous unit, qui est en jeu. Ma question est simple : quand et comment provoquerons-nous enfin ce sursaut national salutaire et indispensable ? (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. J'entends votre colère et votre indignation, monsieur Pupponi ; j'entends aussi votre appel à l'action, votre insatisfaction justifiée face à ce combat ancien, mais d'un acuité croissante, et face à l'accumulation, depuis quelques semaines, des actes dont nous parlons. Ils existaient déjà, vous avez eu raison de le dire, et, s'ils sont parfois invisibles, ils n'en sont pas moins choquants.

Je vous rejoins très volontiers sur le constat que vous avez dressé, et sur la multiplicité des causes de l'antisémitisme, sur la multiplicité de ses branches intellectuelles, peut-être. On peut vouloir comprendre, comme les scientifiques, ou expliquer, comme les historiens, ou encore saisir, comme les citoyens que nous sommes, la complexité de ce phénomène ; mais la vérité est là : l'antisémitisme est profondément enraciné dans la société française, et il prend des formes incroyablement variées.

Je ne suis pas sûr que nous puissions dire qu'il est l'apanage d'un tel ou d'un tel. Je crains, hélas, qu'il soit largement partagé, sous des formes diverses : je le dis avec préoccupation, mais parce que je le crois. La lutte contre l'antisémitisme est l'affaire de tous, c'est une évidence. Nous devons le dénoncer, même si nous ne pouvons nous satisfaire d'une dénonciation. Nous le ferons ce soir, à nouveau, avec beaucoup d'humilité quant à l'impact de cette dénonciation, mais aussi avec beaucoup de détermination, car nous ne pouvons pas ne pas dénoncer.

Vous m'avez interrogé aussi sur les moyens de compléter notre arsenal juridique afin de sanctionner. La sanction, je l'ai dit car je le crois, est indispensable, et l'éducation l'est tout autant : j'entends par là la formation des agents publics, qui contribuent à l'identification, à l'instruction et, le cas échéant, à la punition de ces actes. Beaucoup de formations sont indispensables au sein de la police, de la gendarmerie, de la magistrature.

Elles le sont aussi dans l'éducation nationale. Il faut beaucoup accompagner les agents de ce ministère, les professeurs, qui, très souvent confrontés à ces situations, ne savent pas – et ce n'est nullement remettre en cause leur engagement et leurs convictions que de le dire – toujours quelles sont la bonne réponse, la bonne attitude à adopter eu égard à l'environnement dans lequel ils enseignent. Vous et moi le savons : il ne faut pas le nier.

Il faut aussi, bien entendu, un volet répressif. À la suite du rapport remis par votre collègue Mme Avia, j'ai insisté sur l'utilité de renforcer notre arsenal juridique de sanction des gestionnaires de réseaux sociaux, qui ne font pas tout ce qu'ils doivent pour empêcher et interdire la publication, sur leurs pages, de propos très profondément antisémites.

Vous connaissez l'adage : dans l'antisémitisme, on commence toujours par la parole et on finit par le crime. Il faut donc lutter contre la parole, y compris celle qui s'exprime sur les réseaux sociaux, et y compris lorsque, hébergés dans d'autres pays que le nôtre, ils permettent à des gens de se cacher derrière l'anonymat. Nous devons mettre en cause la responsabilité de ces réseaux sociaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM et UDI-Agir.)

Il n'est pas pensable, monsieur le député, de réprimer sévèrement une inscription sur un mur tout en laissant totalement impunis certains propos sur les réseaux sociaux : tel est l'objectif des dispositions que nous inscrirons dans la loi – via un projet ou une proposition de loi : il nous faut trouver le bon vecteur –, je l'espère avant la fin de l'année car, j'en suis d'accord avec vous, il y a urgence.

Vous l'avez dit sans intention polémique, monsieur le député, mais, très souvent, des parlementaires, des responsables politiques, des hommes et des femmes nous le disent : malgré les dénonciations, l'antisémitisme est toujours là. Il menace toujours et, à certains égards, continue de prospérer. J'ai parfaitement conscience que le combat contre l'antisémitisme doit nous inciter à beaucoup d'humilité et beaucoup de détermination : beaucoup de détermination, car il est l'affaire de tous, et l'antisémitisme est inacceptable ; beaucoup d'humilité car, s'il était facile de le combattre cela se saurait, et cela ferait longtemps que nous aurions eu des résultats à la hauteur de l'enjeu qu'il représente.

Nous devons donc lutter, lutter, lutter encore et nous battre : vous pouvez compter sur nous pour le faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, LT et UDI-Agir, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.)

Données clés

Auteur : M. François Pupponi

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Droits fondamentaux

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 février 2019

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