15ème législature

Question N° 1754
de Mme Valérie Rabault (Socialistes et apparentés - Tarn-et-Garonne )
Question au gouvernement
Ministère interrogé > Premier ministre
Ministère attributaire > Premier ministre

Rubrique > politique économique

Titre > privatisation d'Aéroports de Paris

Question publiée au JO le : 14/03/2019
Réponse publiée au JO le : 14/03/2019 page : 2215

Texte de la question

Texte de la réponse

PRIVATISATION D'AÉROPORTS DE PARIS


M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le Premier ministre, vous cherchez entre 200 et 250 millions d'euros par an pour les investir dans l'innovation de rupture. Pour cela, il suffisait de faire une chose : modifier la loi afin de flécher les 160 millions d'euros de dividendes d'Aéroports de Paris et les 90 millions de La Française des jeux vers cet objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.)

Au lieu de quoi, vous montez une usine à gaz sans précédent, et ce faisant, vous commettez trois erreurs magistrales.

Première erreur, vous détournez le pouvoir que vous ont confié les Français en matière d'aménagement économique du territoire national et de Paris. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.)

Aéroports de Paris n'est pas une entreprise comme les autres, elle ne fait pas uniquement de la gestion de centre commercial comme l'a dit l'un de vos secrétaires d'État. C'est une entreprise stratégique. Dans tous les autres pays de l'Union européenne, hormis le Royaume-Uni, c'est vrai, le capital des aéroports est détenu majoritairement par la puissance publique.

Deuxième erreur, vous dépossédez les Français de leur patrimoine. Qu'ils utilisent ou non les aéroports, ils ont le sentiment qu'on leur vole quelque chose – ils l'ont dit pendant le grand débat.

Troisième erreur, vous rabaissez l'État qui, chaque fois qu'il a dû négocier avec le privé, a perdu la main.

M. Gilles Carrez. Exactement ! Regardez les autoroutes !

Mme Valérie Rabault. L'exemple le plus criant est celui de l'aéroport de Toulouse : en 2015, Emmanuel Macron l'a vendu à des investisseurs chinois. Depuis, c'est un fiasco permanent, à tel point que le rapporteur public de la cour d'appel de Paris recommande désormais de déclarer nulle la privatisation.

M. Fabien Di Filippo. Rends l'argent, Macron !

Mme Valérie Rabault. Monsieur le Premier ministre, vous ne savez plus ce que vous voulez faire. D'abord, vous vouliez privatiser ; mardi, il était question d'une privatisation partielle ; ce matin, le ministre de l'économie et des finances évoque une concession.

Monsieur le Premier ministre, il est encore temps : soyez gaulliste, ne privatisez pas Aéroports de Paris ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR, FI, LT et LR ainsi que parmi les députés non inscrits.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame Rabault, vous m'invitez à un gaullisme militant. Je vous en remercie. Je n'ai toutefois pas le sentiment qu'il m'ait fait défaut.

Plusieurs députés du groupe LR . Oh que si !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Je veux pour ma part vous inviter à un socialisme militant. Pourquoi ?

Nous souhaitons pour Aéroports de Paris passer d'une exploitation par une entreprise dont l'État détient un peu plus de 50 % du capital à une exploitation sous forme de concession. Ce n'est pas moi qui ai inventé la concession de service public – ni le général De Gaulle, d'ailleurs. Il s'agit d'un vieux régime juridique qui permet à l'État de proposer à une entreprise privée l'exploitation d'une infrastructure publique dans les conditions qu'il définit, pour une période donnée, à l'issue de laquelle il reprend la propriété de l'infrastructure.

Je vous renvoie, madame Rabault, aux brillantes conclusions formulées par Léon Blum en 1910 sur l'arrêt Compagnie générale française des tramways, (Applaudissements sur certains bancs du groupe LaREM .- Exclamations sur les bancs du groupe SOC)…

M. Thibault Bazin. Quel culot !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . …dans lequel est défini très exactement le degré de contrôle que l'État peut exercer sur le gestionnaire de l'infrastructure publique.

M. Stéphane Peu. Comme pour les autoroutes !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Autrement dit, nous voulons faire en sorte que la propriété totale de l'infrastructure revienne à intervalles réguliers à l'État et que la capacité de contrôle et de régulation de l'État sur le fonctionnement d'Aéroports de Paris soit renforcée.

M. Sébastien Leclerc. C'est faux !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je pourrais vous dire, madame Rabault, ce que nous savons tous et dont nous ne sommes pas vraiment fiers : le fonctionnement actuel d'Aéroports de Paris est largement perfectible – vous le savez, tout le monde le sait. Je n'attaque personne en disant cela.

M. Jean-François Parigi. Mais oui !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Nous savons que la qualité de service, le montant des investissements, l'organisation du hub et la coopération avec certaines grandes compagnies aériennes, y compris la compagnie nationale, ne sont pas satisfaisantes aujourd'hui.

Mme Valérie Rabault. Vous n'avez pas besoin de privatiser pour y remédier !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le fait de détenir la majorité du capital de l'entreprise qui gère Aéroports de Paris n'est pas nécessairement – la preuve en a été fournie – la garantie d'une prise de contrôle réelle, ni d'une régulation satisfaisante du service par la puissance publique.

M. Fabien Di Filippo. Vous n'avez qu'à vous en occuper !

Mme Valérie Rabault. Cela relève de votre pouvoir.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je souhaite qu'Aéroports de Paris, qui est un actif stratégique, se développe.

M. Aurélien Pradié. Faites-le, alors !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Notre contrôle sera renforcé par une régulation accrue…

Mme Valérie Rabault. C'est faux !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …, par la mise en concurrence, et par le recouvrement par l'État de la propriété entière de l'infrastructure au terme de la concession. Cela permettra de libérer du capital public utile à l'investissement dans le fonds pour l'innovation et l'industrie.

M. Stéphane Peu. À quel prix ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Enfin, madame Rabault, vous évoquez le rendement des actions. Je suis heureux de vous entendre, d'une certaine manière, défendre et faire l'apologie du rendement des actions.

M. Éric Straumann. C'est l'esprit Rothschild !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Depuis quelques années, le rendement des actions d'Aéroports de Paris augmente – c'est vrai. Mais vous savez comme moi que le rendement d'une action n'est jamais garanti ; vous savez que ce qui peut monter pendant quelques années peut – je ne le souhaite pas – diminuer ensuite…

M. Sébastien Jumel. C'est vrai en politique aussi !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . …à la suite d'un risque, d'une mauvaise gestion, de nombreux événements.

Il est donc utile de libérer du capital public et d'accroître le contrôle de l'État sur la régulation de l'infrastructure pour financer ce dont nous avons besoin et pour quoi nous manquons de capitaux, c'est-à-dire l'innovation de rupture, celle qui prépare l'industrie de demain, celle qui prépare la croissance et l'emploi de demain. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.– M. Claude Goasguen applaudit également.)