Déchéance de nationalité des terroristes
Question de :
M. Pierre-Henri Dumont
Pas-de-Calais (7e circonscription) - Les Républicains
M. Pierre-Henri Dumont attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le statut des individus reconnus comme terroristes et qui pourraient faire l'objet d'une déchéance de nationalité. Depuis 2015, 239 citoyens français ont perdu la vie dans les attentats perpétués par l'État islamique. Ces 12 attaques qui ont été commises sur le sol français ont, pour la plupart, impliqué des individus de nationalité française. En réponse aux attentats meurtriers du 13 novembre 2015 qui ont ensanglanté Paris, le Président de la République François Hollande a ainsi annoncé au Parlement, réuni en Congrès, sa volonté d'étendre la déchéance de nationalité aux individus binationaux nés français. Abandonnée à l'issue de longs mois de débats, la mesure ne concernait alors que les binationaux. À l'heure où la guerre contre l'État islamique touche à sa fin et qu'un certain nombre de djihadistes français ont été arrêtés en Syrie et s'apprêtent à être jugés ou rapatriés, se pose de nouveau la question de la déchéance de nationalité pour ces individus, qu'ils soient bi-nationaux ou non. Au Royaume-Uni, une Britannique partie rejoindre l'État islamique en Syrie s'est vue retirer sa nationalité britannique et refuser le droit de revenir sur le territoire national. Ne peut-on pas imaginer une sanction similaire pour les djihadistes français, de retour sur le sol national ? Si la Convention de New York des Nations Unies d'août 1961 et la Convention européenne sur la nationalité de 1997, qui ont toutes deux été signées par la France empêchent de créer des apatrides, elles n'ont toutefois jamais été ratifiées. À ce titre, la France n'est donc pas tenue d'en respecter les conditions. Ne relevant plus d'un problème d'illégalité, cette question relèverait-elle alors d'un manque de volonté politique ? Soucieux de voir les djihadistes français traités avec la plus grande fermeté, il l'interroge donc quant à l'orientation qu'entend prendre le Gouvernement en la matière.
Réponse publiée le 19 avril 2022
Afin de prévenir les actes de terrorisme sur son territoire, la France, à l'instar d'un certain nombre d'États membres du conseil de l'Europe, a adapté sa législation en permettant, sous le contrôle du juge administratif, la déchéance de nationalité des individus qui prennent part aux activités terroristes. Prévue par les articles 25 et 25-1 du code civil, elle ne peut avoir pour résultat de rendre une personne apatride. Ainsi, l'article 25 du code civil prévoit que « L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ». L'article 25-1 dispose quant à lui : « La déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé et visés à l'article 25 se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition. Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits. Si les faits reprochés à l'intéressé sont visés au 1° de l'article 25, les délais mentionnés aux deux alinéas précédents sont portés à quinze ans ». Il résulte de ces dispositions que seuls les Français ayant acquis la nationalité française depuis moins de 10 (ou 15 ans en cas de crime ou délit constituant un acte de terrorisme) et possédant une autre nationalité que la nationalité française peuvent donc faire l'objet d'une mesure de déchéance. Sur les vingt dernières années, quinze déchéances visant des Français condamnés pour avoir commis ou tenté de participer à des actes de terrorisme ont été prononcées. Etendre la déchéance de nationalité à des individus binationaux nés français ou ne possédant qu'une seule nationalité soulèverait des questions délicates : L'extension de la déchéance aux individus binationaux nés Français ou ne possédant qu'une seule nationalité requerrait une révision préalable de la Constitution, conformément à l'avis du Conseil d'Etat sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation du 11 décembre 2015, eu égard au risque d'inconstitutionnalité qui pèserait sur une loi ordinaire. Le Conseil d'Etat avait alors estimé que « La nationalité française représente dès la naissance un élément constitutif de la personne. Elle confère à son titulaire des droits fondamentaux dont la privation par le législateur ordinaire pourrait être regardée comme une atteinte excessive et disproportionnée à ces droits, qui, par suite, serait inconstitutionnelle ». Le Conseil d'Etat relevait aussi que si « la disposition envisagée n'était, par elle-même, contraire à aucun engagement international ou européen auquel la France est partie », elle heurterait les principes du droit européen qui imposent aux juridictions nationales de vérifier le respect du principe de proportionnalité entre la mesure envisagée et l'effet recherché. De surcroît, si le droit à une nationalité n'est pas garanti en tant que tel par la convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) ou ses protocoles, la cour européenne des droits de l'Homme vérifie que la déchéance de nationalité ne rend pas l'intéressé apatride (CEDH, 26 juin 2012, n° 26828/06, Kuric et a.c/Slovénie). Par ailleurs, si la déchéance devait aboutir à rendre apatride la personne qui en fait l'objet, il serait non seulement très difficile de l'éloigner, mais aussi obligatoire de la protéger en tant qu'apatride, ce qui n'est à l'évidence pas le but recherché. En effet, la France, en ratifiant la convention de 1954 relative au statut des apatrides qui interdit l'expulsion des apatrides résidant légalement sur le territoire d'un État partie, s'est attachée à conférer un statut juridique aux apatrides afin de leur garantir un certain nombre de droits fondamentaux.
Auteur : M. Pierre-Henri Dumont
Type de question : Question écrite
Rubrique : Terrorisme
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 7 mai 2019
Réponse publiée le 19 avril 2022