Privatisation de Aéroport de Paris
Question de :
M. Stéphane Peu
Seine-Saint-Denis (2e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. Stéphane Peu interroge Mme la ministre, auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, sur l'annonce de la vente de la participation de l'État dans Aéroports de Paris.
Réponse en séance, et publiée le 28 mars 2018
PARTICIPATION DE L'ÉTAT DANS AÉROPORTS DE PARIS
M. le président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour exposer sa question, n° 199, relative à la participation de l'État dans Aéroports de Paris.
M. Stéphane Peu. Ma question s'adresse à Mme la ministre des transports.
Un chiffre d'affaires de 3,6 milliards d'euros en 2017, en progression de 22,7 % par rapport à 2016. Un géant économique qui pèse 570 860 emplois directs et indirects, soit 2,2 % de l'emploi en France et 8 % de celui de l'Île-de-France, et qui représente aussi 1,4 % du PIB de la France et 42 % du produit intérieur brut de la Seine-Saint-Denis.
Je présume, madame la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, que vous savez que ces très saines données économiques sont celles d'Aéroports de Paris. J'ajoute, pour compléter le tableau, que l'avenir est encore plus radieux, si l'on considère que le trafic aérien mondial doit doubler dans les vingt prochaines années.
Les dividendes versés aux actionnaires d'ADP atteignent 261 millions d'euros, et l'État empoche 50,6 % de cette somme, à hauteur du capital qu'il détient. L'entreprise constitue la cinquième source de dividendes pour l'État.
ADP est un patrimoine et un savoir-faire remarquables, que l'État a pourtant décidé de brader. Vous voulez non plus seulement diminuer la part de l'État, comme l'avait fait François Hollande en 2013 lorsqu'il avait déjà cédé 13 % d'ADP à Vinci et à une filiale du Crédit agricole, mais aussi vous désengager en totalité.
Si cette volonté n'a aucune justification industrielle, elle comporte, en revanche, plusieurs dangers. Le premier est géostratégique, puisque Roissy-Charles-de-Gaulle est la première frontière de France. Nous devons conserver la maîtrise publique de nos aéroports quand ils ont cette dimension de frontière.
Le second concerne Air France, puisque notre compagnie aérienne nationale peut être totalement ligotée. Étant en situation de monopole, ADP pourra en effet imposer des conditions et des tarifs qui mettront cette compagnie dans les plus grandes difficultés, sans qu'elle puisse s'en dégager.
Plus de trente ans après le processus de privatisation des autoroutes, qui s'est soldé en 2006 par une grande braderie, offrant une véritable machine à cash à Vinci, vous voulez repaître à nouveau son gros appétit en 2018.
Les syndicats aéroportuaires, notamment la CGT, par la voix de son secrétaire Daniel Bertone, alertent sur une situation de quasi-monopole, qui donnerait à Vinci la possibilité de dicter à l'État ses choix en matière de transport aérien, sans que celui-ci ne puisse plus réguler.
Bien entendu, les députés communistes sont totalement défavorables à ces visées de privatisation, comme nous l'étions déjà au début des années 2000, notamment par la voix de mon prédécesseur, François Asensi.
La privatisation est néfaste pour cinq raisons majeures. Elle est néfaste pour l'emploi et le modèle social d'ADP ; pour les investissements aéroportuaires, qui seraient sacrifiés sur l'autel de la rentabilité à court terme ; pour l'unité et la complémentarité du système aéroportuaire parisien, avec un possible démantèlement d'ADP ; pour la maîtrise du foncier, avec le risque d'une spéculation nocive pour les communes alentours et leurs habitants ; pour la maîtrise de la sûreté nationale, avec le contrôle de la première frontière française sous pilotage privé.
En conclusion, madame la ministre des transports – pardon : madame la secrétaire d'État, non pas madame la ministre des transports, malheureusement (Sourires) –, je souhaite vous poser une question à double détente.
Vous apprêtez-vous à céder totalement ADP pour le laisser tout entier dans la corbeille du privé, afin de réconforter de grands groupes comme Vinci ? Est-ce, de la part du Gouvernement, une compensation accordée à Vinci après l'arrêt définitif du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ?
Avez-vous décidé d'enlever à la nation ce fleuron stratégiquement décisif et économiquement rentable pour l'unique raison qu'après trente années de privatisations en cascade, il ne reste que des actifs stratégiques à livrer au capital ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Peu, je ne suis effectivement pas la ministre des transports, et j'en suis désolée pour vous, mais je vous réponds à sa place puisqu'elle n'a pu être présente aujourd'hui.
Je vous rassure immédiatement : l'État n'est absolument pas en train de comploter avec Vinci dans le dos des Français. Vous le savez, aucune décision relative à des cessions d'actifs n'a été prise pour l'instant par le Gouvernement. Le Premier ministre et le ministre de l'économie et des finances ont indiqué que le fonds destiné à financer l'innovation de rupture, qui vient d'être créé, serait progressivement doté de 10 milliards d'euros, issus de produits de cessions de participations. Plusieurs scénarios sont à l'étude mais, je le répète, aucune décision n'a été prise pour le moment, qu'il s'agisse d'Aéroports de Paris ou d'autres actifs.
En admettant qu'une décision soit prise, et si le Gouvernement décidait que l'État se retire en tout ou partie du capital de la société Aéroports de Paris, une loi devrait être soumise au Parlement. En toute hypothèse, cette loi prévoirait les dispositions nécessaires pour renforcer les leviers qui sont à la main de l'État en matière de régulation, de contrôle des investissements et de qualité du service aéroportuaire – c'est tout simplement la loi, monsieur le député. Par ailleurs, l'État conserverait évidemment ses prérogatives en matière de surveillance de la sécurité et de la sûreté des plateformes, de contrôle aérien et d'attribution des créneaux horaires. Enfin, les tarifs des redevances aéroportuaires demeureraient naturellement soumis au contrôle du régulateur indépendant.
Vous le voyez, monsieur le député, en aucun cas il ne s'agit de laisser libre cours à des intérêts privés qui voudraient nuire à l'économie française et aux Français. Je le répète, aucune décision n'a été prise.
Auteur : M. Stéphane Peu
Type de question : Question orale
Rubrique : Transports aériens
Ministère interrogé : Transports
Ministère répondant : Transports
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 mars 2018