Orientation scolaire et réforme de la haute fonction publique
Question de :
M. Jean-Christophe Lagarde
Seine-Saint-Denis (5e circonscription) - UDI, Agir et Indépendants
Question posée en séance, et publiée le 5 juin 2019
ORIENTATION SCOLAIRE ET RÉFORME DE LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE
M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le Premier ministre, en ce moment même, près de 800 000 élèves de seconde, qui essuient les plâtres de la réforme du lycée (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe LaREM), sont en train de choisir leurs spécialités dans la perspective de leur futur cursus dans l'enseignement supérieur. Ils se demandent quels seront les attendus des universités, des classes préparatoires et des grandes écoles de demain. Il est normal que ces élèves et leurs familles traversent une période d'hésitation en s'interrogeant sur la « bonne spécialité ».
Ceux qui veulent intégrer une école scientifique choisiront vraisemblablement toutes les matières scientifiques alors qu'on leur a annoncé davantage de diversité. Surtout, M. Frédéric Thiriez, choisi par le Gouvernement pour réformer l'ENA et la haute fonction publique, préconise une année de tronc commun pour un certain nombre de métiers de l'administration qui n'ont pas nécessairement grand-chose à voir les uns avec les autres, comme les directeurs d'hôpitaux, les directeurs territoriaux, les magistrats, les commissaires de police, les ingénieurs des Ponts. Cette formation pourrait demain avoir lieu au sein d'une même école.
Avant que l'on connaisse ce qui est exigé pour chaque métier, le croisement des deux problèmes que je viens de soulever peut concerner plusieurs générations. Celle des élèves des classes de seconde actuelles, et celles des élèves de seconde des trois prochaines années. Vous conviendrez que le contenu de la formation d'un magistrat ne peut pas être le même que celui d'un ingénieur des Ponts.
Nous nous faisons l'écho d'une véritable inquiétude en vous demandant que les élèves auxquels vont s'appliquer les nouvelles dispositions de la réforme du lycée ne se trouvent pas dans l'obligation de faire des choix alors même que l'on prévoit la fusion des écoles qu'ils souhaitent intégrer. Ces générations ne peuvent pas subir en même temps les conséquences des deux réformes. Monsieur le Premier ministre, je souhaite que vous nous rassuriez sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Lagarde, votre question comporte au moins quatre sujets différents…
M. Erwan Balanant. Au moins !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce sont quatre sujets très intéressants. (« Ah ! » sur plusieurs bancs.)
Vous posez tout d'abord la question du choix des « majeures » que doivent effectuer les élèves de seconde pour les classes de première et terminale. Tous les élèves de seconde concernés se posent des questions et leurs parents au moins autant qu'eux. Je peux témoigner.
M. Jean-Christophe Lagarde. Moi aussi !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous aussi probablement, monsieur le président ! Je peux témoigner, disais-je, que cette génération est inquiète, ce qui est bien légitime.
Vous avez ensuite posé la question de la réforme du baccalauréat, puis celle de l'orientation dans l'enseignement supérieur et, enfin, celle de la transformation du système de sélection et de formation des hauts fonctionnaires et agents de l'État dans le cadre de la réforme que nous avons demandé à M. Frédéric Thiriez de préparer.
Pour ce qui concerne les choix à effectuer en fin de classe de seconde, nous ne voulons pas créer un système qui impose aux lycéens de faire des choix qui conditionneraient ou qui prédétermineraient leur orientation dans l'enseignement supérieur ou dans le monde professionnel. Vous savez que l'ancien système, celui que vous et moi avons connu, consistait très souvent à demander aux jeunes gens de choisir très tôt entre la filière scientifique, la filière économique et la filière littéraire. Une fois ce choix effectué, ce système ne permettait que très marginalement une réorientation au moment de l'accès à l'enseignement supérieur. C'est notamment ce à quoi nous avons voulu mettre un terme en prévoyant des modules beaucoup plus variés. Cela nous semble à la fois plus intelligent pour le lycéen, et beaucoup plus intelligent pour l'étudiant futur, car nous avons constaté que la diversité des formations des lycéens constituait un gage de qualité de l'enseignement supérieur.
La plus grande diversité des matières choisies en classes de première et de terminale sera un gage de qualité accrue pour les professeurs et pour les formations de l'enseignement supérieur. Il ne s'agit donc pas du tout de prédéterminer, dès la fin de la seconde, des choix professionnels, mais, au contraire, d'ouvrir la possibilité de choix futurs.
Pour ce qui concerne le système de sélection et de formation des hauts fonctionnaires, vous avez raison : nous avons décidé de le transformer. Pourquoi ?
M. Fabien Di Filippo. Parce qu'il faut que tout change pour que rien ne change !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Parce que nous voulons faire en sorte que des jeunes gens d'une exceptionnelle qualité puissent venir servir l'État, mais nous voulons aussi faire en sorte que la diversité des talents recrutés soit plus grande. Nous voulons faire en sorte que la formation de ces futurs hauts fonctionnaires soit plus large. Nous voulons faire en sorte qu'un directeur d'hôpital, un magistrat, un futur préfet, qu'un ingénieur des Ponts et chaussées, s'il a vocation à servir l'État, puissent partager des moments en commun.
Non seulement il est bon qu'ils se connaissent, mais il nous semble qu'il existe un tronc commun de matières et de valeurs à partager pour pouvoir ensuite servir l'État dans des métiers qui ne sont plus du tout organisés en silos.
M. Fabien Di Filippo. Corporatisme !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Vous le savez très bien, monsieur le président Lagarde, on trouve un très grand nombre d'ingénieurs, d'ingénieurs des Ponts par exemple, au ministère des finances ou dans des ministères qui n'ont rien à voir avec le métier ou l'orientation professionnelle initiale des personnes concernées.
M. Fabien Di Filippo. C'est bien ça le problème !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Il nous semble donc utile que les magistrats, les préfets, les diplomates, l'ensemble de ceux qui ont vocation à servir l'État, puissent partager un moment et des formations en commun. Il s'agit d'ailleurs de l'esprit initial qui avait conduit à la création de l'ENA : une volonté de garantir une grande interministérialité dans la formation des agents de l'État. D'une certaine façon, le modèle initial s'est restreint et appauvri.
Nous voulons donc plus de diversité, toujours autant de talent, mais plus de formations en commun et plus de partage entre les différents services de l'État. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Bien entendu, monsieur le président Lagarde, les dispositifs d'orientation en classe de terminale, lorsque l'élève choisit les classes préparatoires ou l'université, autrement dit, sa formation dans l'enseignement supérieur, prendront en compte, le moment venu, les éléments de la réforme que nous adopterons.
J'ai donné jusqu'à la fin de l'année à M. Thiriez pour rédiger son rapport. Il est évidemment trop tôt, à ce stade, pour tirer des conséquences opérationnelles en matière d'orientation, mais on peut faire le pari, monsieur le président Lagarde, que, pour continuer à devenir un ingénieur des Ponts, il faudra bien maîtriser les mathématiques et la physique. Et l'on peut également faire le pari que pour devenir un grand magistrat, il sera utile de bien maîtriser le droit, donc un certain nombre d'éléments liés aux humanités. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Auteur : M. Jean-Christophe Lagarde
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Enseignement supérieur
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 juin 2019