Question de : M. Vincent Rolland
Savoie (2e circonscription) - Les Républicains

M. Vincent Rolland interpelle Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la situation des utilisateurs du Lévothyrox depuis le changement de formule du médicament. Durant de nombreuses années, le Lévothyrox a été un des seuls médicaments prescrit auprès de 3 millions de Français souffrant d'une défaillance ou d'une absence de thyroïde. Suite au lancement d'une nouvelle formule du médicament, nombreux sont ceux qui ont vu leur santé et leur quotidien se dégrader gravement : chutes entraînées par des vertiges, dépressions, prises de poids, Selon une étude menée notamment par un biostatisticien et un pharmacologue français, publiée dans la revue Clinical Pharmacokinetics en avril 2019, il semblerait que l'ancienne et la nouvelle formule du lévothyrox ne soient pas substituables, contrairement à ce qui avait été affirmé dans un premier temps. C'est une première victoire pour les milliers de patients dans la souffrance et auxquels a été expliqué injustement que les deux versions du médicament étaient parfaitement substituables. Par conséquent, il souhaite connaître l'avis du Gouvernement sur le sujet et les mesures qu'il compte prendre à l'aune de ces nouveaux éléments.

Réponse publiée le 27 août 2019

La lévothyroxine sodique est une hormone thyroïdienne de synthèse dite « à marge thérapeutique étroite » ce qui signifie que toute variation ou modification de la concentration de substance active dans l'organisme, même faible, peut conduire à des effets indésirables. L'ajustement posologique est individuel et nécessite un contrôle clinique et biologique attentif, dans la mesure où l'équilibre thyroïdien du patient peut être sensible à de très faibles variations de dose. Un arrêt de traitement peut engager le pronostic vital de certains patients, notamment ceux ayant subi une ablation de la thyroïde (thyroïdectomie). En 2010, du fait de notifications de cas de perturbation de l'équilibre thyroïdien des patients lors de la substitution d'une spécialité à base de lévothyroxine par une autre, une enquête de pharmacovigilance a été ouverte. Elle a conclu en 2012 que des différences de spécifications de teneur entre les spécialités génériques et LEVOTHYROX (spécialité de référence) pourraient expliquer la survenue de cas de déséquilibres thyroïdiens, ce raisonnement étant également applicable aux éventuelles variations de teneur en substance active pour une seule et même spécialité. A la suite de cette enquête, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a demandé aux titulaires des autorisations de mise sur le marché (AMM) des spécialités concernées de resserrer leurs spécifications, afin de pallier aux risques d'effets indésirables et de garantir une stabilité plus importante de la teneur en substance active tout le long de la durée de conservation du produit et d'un lot de fabrication à un autre. En conséquence, MERCK SANTE a déposé une demande de modification des excipients visant au remplacement du lactose par le mannitol (dépourvu d'effets notoires) et à l'ajout d'acide citrique, la substance active demeurant identique. En revanche, RATIOPHARM a demandé l'abrogation de ses AMM et BIOGARAN a arrêté, à partir d'octobre 2016, de commercialiser ses spécialités. La nouvelle formule a été mise sur le marché à partir de mars 2017, sachant qu'elle ne change ni l'efficacité ni le profil de tolérance du médicament. Les professionnels de santé et les patients ont été informés en amont de sa commercialisation, des informations récurrentes ayant été envoyées entre février et avril 2017. Par précaution et en tenant compte du domaine thérapeutique concerné, et bien que la bioéquivalence entre l'ancienne et la nouvelle formule soit démontrée (il existe entre les deux formules une équivalence de la vitesse et de l'intensité de l'absorption de la substance active dans l'organisme), l'ANSM a en outre recommandé, pour certains patients, de réaliser un dosage de l'hormone TSH quelques semaines après le début de la prise de la nouvelle formule. A compter de la mi-août, un afflux des déclarations de pharmacovigilance a néanmoins été constaté. Une première analyse a ainsi permis de vérifier dès septembre 2017 que la composition de la nouvelle formule (teneur en substance active, excipients) était bien conforme à celle mentionnée dans le dossier d'AMM et n'a relevé aucune impureté. Outre les études de bioéquivalence qui ont été fournies par MERCK SANTE à l'occasion du changement de formule, ont été mis en ligne les rapports de l'ANSM sur ces études, les analyses confirmant la qualité de la nouvelle formulation, ou encore les données disponibles sur les nouveaux excipients. Une analyse de janvier 2018, portant sur les différentes spécialités à base de lévothyroxine, a ensuite montré la présence de métaux à l'état de traces dans tous les médicaments analysés dont l'EUTHYROX (ancienne formule de LEVOTHYROX). La présence de traces métalliques dans des produits de santé ne représente pas en soi un défaut qualité ni un risque pour la santé, dans la mesure où les concentrations sont inférieures aux seuils de sécurité établis par la communauté scientifique au plan international pour les médicaments. Une autre analyse de février 2018 a confirmé l'absence de butylhydroxytoluène (BHT) dans les comprimés de LEVOTHYROX. Le BHT est un antioxydant couramment utilisé dans les produits d'alimentation animale, les denrées alimentaires destinées à l'homme, les produits cosmétiques ou encore les médicaments ou les produits phytopharmaceutiques. Enfin, l'ANSM a réalisé des analyses chromatographiques, dont les résultats ont été mis en ligne le 5 juillet 2018, portant sur des comprimés de 50, 100 et 150 microgrammes de LEVOTHYROX nouvelle formule et de 50, 100 et 150 microgrammes d'EUTHYROX. Les analyses démontrent la présence de quantités de lévothyroxine comparables entre l'ancienne et la nouvelle formule, laquelle n'est donc pas sous-dosée. Elles montrent également la présence de traces de dextrothyroxine, de l'ordre 0,1%, dans les deux formules. La présence à l'état de traces de dextrothyroxine est attendue pour ce type de substance et ne représente pas en soi un défaut qualité ni un risque pour la santé. Des résultats similaires ont donc été obtenus pour les deux formules quant à la quantité en lévothyroxine et en dextrothyroxine. Ces dernières analyses, comme celles réalisées précédemment dans les laboratoires de l'ANSM, confirment la bonne qualité de la nouvelle formule. En ce qui concerne l'article Levothyrox New and old formulations : are they switchable for millions of patients ? , publié le 4 avril 2019 par la revue Clinical Pharmacokinetics, il conteste l'approche qui a été suivie pour déterminer si l'ancienne et la nouvelle formule de LEVOTHYROX étaient bioéquivalentes en termes de concentrations plasmatiques en lévothyroxine dans l'organisme humain. L'étude de bioéquivalence produite par MERCK SANTE à l'appui de sa demande a consisté à administrer à des volontaires sains (sans maladie thyroïdienne) l'ancienne et la nouvelle formule, en respectant un temps de repos pour éviter toute accumulation. Plus précisément, les aires sous la courbe des concentrations obtenues chez chaque sujet de l'étude ont été analysées. Elles reflètent l'exposition au produit et sont une mesure classiquement utilisée dans les études de bioéquivalence. Dans la mesure où les sujets sains de l'étude avaient une sécrétion thyroïdienne intacte à laquelle venait s'ajouter le médicament, deux types de calculs ont été effectués, avec et sans correction sur les valeurs basales des concentrations en hormone. La méthode ainsi utilisée pour réaliser cette étude repose sur les lignes directrices validées par les autorités sanitaires européennes et internationales. Les auteurs de l'article plaident pour une approche de pharmacocinétique individuelle, estimant que plutôt que de comparer des moyennes entre deux groupes constitués des mêmes sujets (approche européenne et internationale sur laquelle l'analyse de l'ANSM s'est fondée), il aurait fallu étudier le seul échantillon des différences observées individu par individu pour tenter de prédire, chez un sujet donné, les variations que pourrait produire un changement de formulation. Or, les données recueillies pour la réalisation de l'étude de bioéquivalence ne permettent pas de réaliser une approche de bioéquivalence individuelle rigoureuse stricto sensu, ce que, d'ailleurs, les auteurs de l'étude soulignent dans leur publication. Par conséquent, il ne peut être conclu à la supériorité de l'approche individuelle sur l'approche par moyenne. D'ailleurs, l'approche individuelle n'est pas validée au niveau européen et international, les variations de concentration plasmatique en lévothyroxine étant dépendants de nombreux facteurs tels que le moment de la prise du médicament, les variations saisonnières ou d'autres paramètres inconnus (stress). Quant à la question de savoir si un déséquilibre symptomatique est induit par de telles différences à court terme, possiblement vite effacées par le caractère erratique de la variabilité, il convient de préciser que la lévothyroxine agit lentement, sa « demi-vie » étant d'une semaine environ, c'est-à-dire que l'équilibre thérapeutique n'est obtenu qu‘après plus d'un mois de prise quotidienne et reflète la moyenne des expositions journalières tout au long d'une longue période antérieure. Dans ces conditions, les variations instantanées ou étudiées sur deux expositions uniques au médicament ont peu de sens, d'où l'approche par moyenne. Cette approche, recommandée par les autorités de santé européennes pour conclure à une équivalence, est celle sur laquelle l'ANSM fonde sa conclusion, à savoir que l'ancienne et la nouvelle formule de LEVOTHYROX sont bien équivalentes sur le plan pharmacocinétique. L'étude de bioéquivalence produite par MERCK SANTE a depuis été évaluée dans le cadre d'une procédure européenne impliquant vingt et un Etats membres et qui a conduit aux mêmes conclusions et à l'adoption de la nouvelle formule dans ces pays. De plus, la nouvelle formule est également utilisée par de nombreux patients en Suisse et en Turquie depuis 2018, sans difficultés particulières. Enfin, dans le cadre de la surveillance des spécialités à base de lévothyroxine, l'ANSM a lancé en octobre 2017 une étude de pharmaco-épidémiologie sur la base des données de l'Assurance maladie. Les résultats de cette étude tels qu'ils ressortent du rapport final publié sur le site internet de l'agence le 12 juin dernier, ne fournissent pas d'argument en faveur d'une toxicité propre de la nouvelle formule mais reflètent plutôt les difficultés rencontrées par certains patients lors du changement de formule. Précisément, ils ne mettent pas en évidence d'augmentation de problèmes de santé graves (décès, hospitalisation, arrêt de travail d'au moins 7 jours) en lien avec la prise de LEVOTHYROX nouvelle formule. Les données de variation intra-individuelle existent pour une même formule de médicament chez une personne d'une prise à l'autre. C'est pour cette raison que l'ANSM a recommandé en mars 2017, pour chaque passage à la nouvelle formule, chez les patients les plus fragiles (enfants, femmes enceintes, patients ayant eu un cancer de la thyroïde, patients présentant des troubles cardiovasculaires) d'effectuer des contrôles cliniques et biologiques rapprochés.

Données clés

Auteur : M. Vincent Rolland

Type de question : Question écrite

Rubrique : Pharmacie et médicaments

Ministère interrogé : Solidarités et santé

Ministère répondant : Solidarités et santé

Dates :
Question publiée le 4 juin 2019
Réponse publiée le 27 août 2019

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