15ème législature

Question N° 21076
de M. François Ruffin (La France insoumise - Somme )
Question écrite
Ministère interrogé > Europe et affaires étrangères
Ministère attributaire > Europe et affaires étrangères

Rubrique > politique extérieure

Titre > Sonia Jebali, voilà le visage du libre échange ?

Question publiée au JO le : 02/07/2019 page : 6007
Réponse publiée au JO le : 06/08/2019 page : 7379

Texte de la question

M. François Ruffin alerte M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la situation de Mme Sonia Jebali, qui observe une grève de la faim à Tunis. Son corps agonise lentement, sa voix faiblit de jour en jour, une situation aggravée par sa maladie auto-immune. C'est de l'autre côté de la Méditerranée, certes, mais la France a une responsabilité dans le drame de cette femme ; une femme qui, M. le député le pense, devrait rester dans l'histoire comme une héroïne, une héroïne qui s'est dressée face à une firme, une firme française. Qui est Sonia ? En mars 2011, avec sa collègue Monia, deux ouvrières, elles fondent un syndicat chez Latelec, une filiale de l'avionneur français Latécoère. Jusqu'alors, dans cette usine, les salariés survivaient dans la misère, main-d'œuvre peu coûteuse et corvéable. Dès lors, les conquêtes sociales se multiplient : encadrement des heures supplémentaires, quinze jours de congés payés, 30 % d'augmentation de salaire... Leur exemple menace alors d'être contagieux. Comment réagit Latécoère, fournisseur d'Airbus ? En relocalisant, très temporairement, la production à Toulouse, le temps de licencier par centaines les syndiquées. Les pièces purent revenir à Tunis, dans un site désormais nettoyé de tout syndicat. Sonia baissa-t-elle les bras ? Non, elle entreprit une longue marche pour sa réintégration, pour celle de ses camarades. Elle mena la bataille dans le monde entier, ralliant les soutiens depuis l'usine Dassault d'Argenteuil jusqu'aux filiales brésiliennes du groupe. Inédit en Tunisie, cet internationalisme permit le retour dans l'usine de six syndicalistes licenciées. Six sur dix. Mais pas elle, pas sa copine Monia, pas les deux fers de lance du combat. Elle se lança alors dans une grève de la faim, et après vingt-sept jours de jeûne, deux syndicalistes purent revenir. Mais pas elle, pas sa copine Monia. Pour elle et son adjointe, la firme n'offrit que des indemnités. Depuis cinq ans, malgré des recherches permanentes, Sonia n'a pas retrouvé de travail. Son nom est connu, son palmarès, gravé en lettres noires pour le patronat. Elle a perdu tout argent, et tout espoir. Depuis dix jours, Sonia, elle, ne s'alimente plus, poursuivant cette fabuleuse utopie : une embauche dans la fonction publique. La grave maladie auto-immune dont elle souffre accélère la dégradation de sa santé, la met d'ores et déjà en danger. Il est grand temps que la France prenne ses responsabilités. Il est temps que le Gouvernement interpelle Latécoère, sur le traitement infligé à son ex-ouvrière, ainsi qu'Airbus, dont l'État est actionnaire, sur les pratiques sociales de ses sous-traitants. Il est temps qu'il alerte ses homologues tunisiens, sur les libertés syndicales bafouées. Il est temps, enfin, que la France se préoccupe du sort d'une femme qui a sans relâche combattu pour l'humanité. À l'heure où les diplomates français négocient avec la Tunisie un « Accord de libre-échange complet et approfondi » (ALECA), faut-il voir dans le destin de Sonia Jebali un visage du libre-échange promu ? Tout le pouvoir aux multinationales, qui peuvent jongler entre les pays pour mieux écraser les femmes et les hommes qui se dressent face à leur puissance ? Il lui demande quelle est la position du Gouvernement sur ces questions.

Texte de la réponse

Mme Sonia Jebali, ancienne salariée de Latelec, filiale du groupe français Latécoère implantée en Tunisie, s'est engagée à partir de 2011 dans des activités militantes et sociales au sein de cette entreprise. En 2013, après qu'un accord entre l'entreprise Latelec et le syndicat de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) avait été trouvé pour mettre fin au conflit social, Mme Jebali, accusée de séquestration, a été licenciée pour faute grave. Elle a également été exclue du syndicat UGTT, qui ne l'a pas réintégrée depuis cette date. La France suit avec inquiétude l'évolution de l'état de santé de Mme Jebali depuis qu'elle a engagé une grève de la faim. Cette situation individuelle est profondément préoccupante, même s'il n'appartient pas à la France d'intervenir dans un litige privé, par respect pour la souveraineté de la Tunisie et pour l'indépendance de ses institutions. La France rappelle son profond attachement au devoir d'exemplarité des entreprises françaises et de leurs filiales à l'étranger. Les sociétés implantées sur le territoire français, comme à l'étranger, doivent appliquer les principes directeurs des Nations unies, ainsi que les principes directeurs de l'OCDE, qui demeurent la plus ancienne norme intergouvernementale définissant des principes de responsabilité sociale pour les entreprises. Les principes directeurs imposent aux entreprises de respecter les droits de l'Homme dans tous les pays avec lesquels elles travaillent. Les entreprises doivent aussi respecter les normes environnementales et les normes de travail, et disposer des processus de contrôle appropriés pour s'en assurer. La France s'est également dotée en mars 2017 d'une loi relative au "devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre". Ce texte législatif, pionnier en la matière, met en place une obligation d'identification des risques et de prévention des "atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement" pour les sociétés mères ou donneuses d'ordre, tout au long de leur chaîne d'approvisionnement. Par ailleurs, la France participe activement au sein des organisations internationales, en particulier au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour s'assurer du respect des droits humains par les entreprises, en France et à l'étranger, et limiter les risques de violations de ces droits fondamentaux. Enfin, s'agissant des négociations en cours en vue d'un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) entre l'Union européenne et la Tunisie, la France est attachée à ce que cet accord promeuve des normes sociales élevées, en particulier en engageant les parties à respecter et mettre effectivement en oeuvre les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) - notamment concernant la liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective. C'est le sens des textes proposés par la Commission européenne et disponibles publiquement.