15ème législature

Question N° 21292
de Mme Danièle Cazarian (La République en Marche - Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > lieux de privation de liberté

Titre > Politique de réinsertion en prison

Question publiée au JO le : 09/07/2019 page : 6307
Réponse publiée au JO le : 16/11/2021 page : 8346
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

Mme Danièle Cazarian attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'état des prisons et la politique de réinsertion en France. Depuis les années 1990, les prisons françaises sont en surpopulation à hauteur de 120 % et une quarantaine de maisons d'arrêt sont en surcapacité de plus de 150 %. Ainsi, beaucoup de détenus français n'ont pas de cellule individuelle, contrairement à la loi en vigueur qui l'exige. Depuis le début du quinquennat 2017-2022, plusieurs mesures ont été mises en place afin de pallier ce problème tels que de nouveaux aménagements de peines ou encore la création de 15 000 places de prison d'ici 2025. Force est de constater que la situation actuelle relève d'une extrême urgence. Le taux de suicide des détenus est dix fois supérieur à celle de la population dans sa globalité, ce qui illustre le mal-être qui y règne. En outre, si la vocation première des peines d'emprisonnement est bien évidemment punitive, une des principales missions confiées à la direction de l'administration pénitentiaire française est d'accompagner les détenus dans leur réinsertion et de prévenir la récidive, une mission essentielle au renforcement de la paix sociale. En France, le taux de récidive reste un des plus élevés en Europe : 60 % contre 20 % voire 15 % dans certains pays. Or trop peu de centres de détention ont les moyens de mettre en place de nouveaux programmes de réinsertion, dû à une surpopulation extrême. Les recommandations européennes en matière de conditions de détention (RPE), certes non contraignantes, ne sont toujours pas respectées selon de nombreux observateurs. La France pourrait faire face à de nouvelles condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l'Homme, quelques années après sa dernière condamnation pour « absence de recours permettant de faire cesser des conditions de détentions inhumaines et dégradantes ». Toutefois, certaines prisons ont pu mettre en place, à titre expérimental, des programmes très innovants. La prison de Mont-de-Marsan et son programme Respecto, où les détenus s'engagent contractuellement à respecter un règlement intérieur et à pratiquer 25 heures d'activités hebdomadaires et qui se voient offrir en contrepartie une certaine liberté de circulation, est un exemple. Ce programme a permis notamment une baisse significative du nombre d'agressions sur le personnel pénitentiaire, une amélioration psychologique chez les détenus ainsi qu'un taux de réinsertion quasi-total. Aujourd'hui, les programmes de réinsertion sont mis en place à la discrétion de la direction des centres pénitentiaires, qui manquent souvent de moyens. En conséquence, elle lui demande quel dispositif elle envisage de mettre en œuvre au niveau national afin de faire de la prison non plus seulement un outil punitif mais aussi un lieu efficace d'accompagnement et de réinsertion, un lieu respectueux de la dignité des détenus et des conditions de détention prévues par la loi.

Texte de la réponse

La lutte contre la surpopulation carcérale est l'une des priorités du ministère de la justice car elle porte des enjeux de dignité des personnes incarcérées mais aussi d'efficacité de la peine en termes de prévention de la récidive. Cette lutte s'appuie sur plusieurs leviers. Tout d'abord le programme immobilier pénitentiaires portant création de 15 000 places supplémentaires. Ce programme prévoit la mise en chantier d'ici 2022 de 7000 premières places, dont près de 2000 places ont déjà été mises en service et 120 places supplémentaires vont l'être avec l'ouverture du centre pénitentiaire de Lutterbach. Il prévoit 8000 places supplémentaires portant sur 16 opérations de construction lancées d'ici 2022, en vue d'une livraison entre 2025 et 2027. Cinq premières opérations ont été engagées en 2020, comme Tremblay en France, Saint Laurent du Maroni, Entragues, Muret et Rivesaltes, pour un total de 2750 places. Les nouveaux établissements sont construits sur les territoires où les besoins sont les plus importants au regard du nombre actuel de places de détention et de la projection à dix ans de la population pénale. La lutte contre la surpopulation carcérale passe également par une politique d'optimisation du parc immobilier pénitentiaire. Ainsi, depuis plusieurs mois, la direction de l'administration pénitentiaire assure un transfert accéléré des condamnés vers les établissements pour peine afin de limiter l'engorgement des maisons d'arrêt. Dans le même sens, le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire prévoit des dispositions permettant l'affectation de détenus ayant fait appel de leur décision, dans ces établissements pour peine. L'adoption de ces dispositions permettra d'aller plus loin dans cette régulation carcérale par le transfert. Cela permet d'assurer des conditions de détention plus favorable, et une prise en charge offrant de meilleures garanties contre le risque de récidive. Enfin, la lutte contre la surpopulation carcérale passe également par un recours plus important aux alternatives à l'incarcération, s'agissant des courtes peines. C'est le sens même de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Ce texte, dont l'un des objectifs est de donner sens et efficacité à la peine, interdit le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme inférieure ou égale à un mois et pose le principe d'un aménagement de peine ab initio pour les peines inférieures ou égales à un an. Il favorise, notamment par la systématisation de la libération sous contrainte, l'accompagnement de la sortie de prison et diversifie le panel des peines : sursis probatoire, détention à domicile sous surveillance électronique, peines de stage, travail d'intérêt général. Il facilite également le recours à l'assignation à résidence sous surveillance électronique avec pour objectif d'en accroître le prononcé comme alternative à la détention provisoire. La circulaire du garde des Sceaux du 20 mai 2020, portant sur la mise en œuvre des dispositions relatives aux peines de la loi du 23 mars 2019 préconise une politique volontariste de régulation carcérale. Elle invite à se saisir de la baisse inédite du nombre de détenus pour donner plein effet aux dispositions de cette loi, dont le volet relatif aux peines est entré en vigueur le 24 mars 2020. Elle met ainsi l'accent sur le choix des peines pour leur redonner sens et efficacité et promeut les alternatives à la détention lorsqu'elles sont envisageables. Entrée en vigueur au cœur de la crise sanitaire, elle n'a pas encore produit tous ses effets. Néanmoins, on constate déjà une hausse du nombre de personnes bénéficiant d'un aménagement de peine ou d'une libération sous contrainte puisqu'elles représentent 21,1 % de l'ensemble des personnes écrouées contre 18,4% avant la crise sanitaire. Les actions se poursuivent pour favoriser la mise en œuvre de ces dispositions, et plus globalement de toutes les actions visant à une meilleure régulation carcérale. Il s'agit notamment de la mise à disposition d'un outil de pilotage destiné à nourrir les échanges entre les chefs de cours et les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires, afin d'engager une politique de régulation carcérale par des données permettant de connaître le nombre, la nature et le quantum des peines prononcées par chaque tribunal judiciaire, afin d'en analyser les évolutions et leur impact sur le taux d'occupation du ou des établissements pénitentiaires du ressort. Ce « baromètre » constitue pour les chefs de juridiction un véritable outil de pilotage opérationnel, facilitant la conduite d'une politique volontariste en matière de prononcé des peines et de maîtrise de la population carcérale. En outre, le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire prévoit une libération sous contrainte de plein droit lors des trois derniers mois de la peine pour les détenus exécutant une peine inférieure ou égale à deux ans. Ce texte permet d'imposer un accompagnement par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, en dehors de l'établissement, sur ces trois derniers mois, sous la forme d'une surveillance électronique notamment. S'agissant de la prise en charge des détenus, le programme immobilier pénitentiaire prévoit la création de 15 000 nouvelles places de prison mais aussi la création de nouveaux types d'établissements pour adapter davantage les régimes de détention. Se développent ainsi les quartiers dits de respect ou de confiance, d'ores-et-déjà expérimentés au sein de 41 modules répartis dans 34 établissements, déployés dans neuf directions interrégionales des services pénitentiaires. Ils offrent une plus grande autonomie à la personne détenue en contrepartie d'une responsabilité accrue et du respect de règles de vie strictes. Leur effectivité repose donc sur un cadre strict, la participation active de la personne détenue dans le dispositif, l'autonomie plus forte dont elle bénéficie et l'implication des surveillants dans la prise en charge des personnes détenues. Par ailleurs, les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), créées par la loi du 23 mars 2019, sont des structures pénitentiaires, orientées vers la réinsertion et qui ont vocation à favoriser l'autonomisation et la responsabilisation des personnes détenues. L'action de l'administration pénitentiaire y est centrée sur la préparation de la sortie, notamment à travers l'implantation de programmes pilotés par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) favorisant l'octroi d'aménagements de peine ou de mesure de libération sous contrainte. Chaque SAS propose un programme de prise en charge globale et renforcée comprenant des interventions collectives et individuelles. La préparation à la sortie s'appuie sur une plateforme regroupant les différents partenaires et services compétents permettant l'accès des personnes détenues aux droits sociaux, à l'hébergement/logement et à l'emploi. Le projet InSERRE (Innover par des Structures Expérimentales de Responsabilisation et de Réinsertion par l'emploi), également initié par ce programme immobilier, s'inscrit dans cette même dynamique en visant à remettre l'emploi au cœur du parcours des personnes détenues, leur permettant de construire un véritable projet de sortie de nature à restreindre les risques de récidive. Trois prisons d'environ 100 places chacune, entièrement centrées sur la formation et le travail, seront ainsi chargées d'accueillir des condamnés et de construire des partenariats avec des entreprises locales et les collectivités territoriales. En outre, dans le cadre de la politique globale de lutte contre les violences en détention, des unités pour détenus violents (UDV) ont été créées afin d'héberger les personnes détenues majeures dont le comportement porte atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique. Elles bénéficient d'un programme adapté de prise en charge et sont soumises à un régime de détention impliquant des mesures de sécurité renforcée. Une formation spécifique à la prise en charge des personnes détenues violentes est préalablement dispensée aux personnels affectés au sein de ces unités. Le deuxième comité de pilotage qui s'est tenu le 30 juin dernier a relevé une baisse des incidents à la sortie d'UDV (-33 %) et salué l'appel à projets lancé par la direction de l'administration pénitentiaire afin de diversifier et consolider l'offre d'activités et de programmes de prise en charge visant le désengagement de l'agir violent (médiation animale, activités sportives, programmes de prise en charge collective, gestion du stress, etc.). L'ensemble de ces mesures témoigne de l'engagement du ministère à poursuivre sa mobilisation en faveur d'une baisse sensible de la population carcérale et de l'amélioration des conditions de détention. Au-delà de ces dispositifs, la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention a inséré dans le code de procédure pénale un article instituant une nouvelle voie de recours permettant à toute personne détenue de saisir le juge judiciaire lorsqu'elle estime subir des conditions de détention contraires à sa dignité, afin qu'il y soit mis fin. Ce recours a été créé afin de tirer les conséquences de plusieurs décisions juridictionnelles rendues au niveau européen et national. Ce nouveau recours devant le juge judiciaire est introduit sans préjudice de la possibilité pour la personne détenue de saisir le juge administratif en référé, et peut aboutir notamment à un transfert vers un autre établissement, voire à une remise en liberté dans certains cas. S'agissant des suicides en détention, le ministère de la Justice, particulièrement attentif à l'état de santé physique et psychologique des personnes détenues, a développé de nombreuses mesures préventives. Ainsi, des codétenus de soutien, formés dans 25 sites, ont pour mission de repérer et de soutenir les personnes détenues en situation de difficulté ou de souffrance, par leur écoute et leur proposition éventuelle de mise en relation avec les différents personnels et bénévoles. Dans la perspective du déploiement des codétenus de soutien, la formation continue des personnels pénitentiaires à la prévention du suicide a été renforcée, et des outils pédagogiques, visant notamment à améliorer l'échange d'informations entre les services, ont été transmis aux services déconcentrés. La généralisation de la dotation en coupe-liens pour les personnels de surveillance est, quant à elle, progressivement mise en œuvre depuis la fin 2019. L'utilisation de cet outil, de nature à répondre à l'urgence d'une tentative de suicide par pendaison, tout en étant compatible avec la sécurité en détention, a désormais été intégrée dans les pratiques opérationnelles en établissement pénitentiaire. L'administration pénitentiaire contribue également à un dispositif de surveillance épidémiologique des suicides des personnes détenues, mis en place depuis le 1er janvier 2017 par Santé publique France, dont l'objectif est d'identifier les causes de passage à l'acte suicidaire statistiquement significatives. Cette étude permet de déterminer la part des différents facteurs : sanitaires, psychologiques et pénitentiaires, dans les passages à l'acte des personnes détenues, afin d'améliorer l'efficience des modalités de prévention des suicides en milieu carcéral. Dans le prolongement de cette démarche, la feuille de route santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022, signée par les ministres de la Justice et des solidarités et de la santé le 2 juillet 2019, constitue la déclinaison opérationnelle de la stratégie santé en direction des personnes détenues, initiée en 2017 et dont un volet est consacré aux actions de prévention du suicide à destination des personnes détenues et au développement des actions spécifiques à cette population. De plus, la direction de l'administration pénitentiaire a souhaité soumettre à évaluation externe la pertinence et l'efficience de sa politique de prévention du suicide et a publié un marché public à cet effet en juin 2020. La société Planète Publique a remporté ce marché et a débuté les travaux d'évaluation qui doivent prendre fin en septembre 2021. Enfin, le garde des Sceaux avait annoncé le 21 août 2020 le lancement d'une inspection portant sur les suicides en milieu carcéral par l'inspection générale de la Justice et l'inspection générale des affaires sanitaires et sociales. Le rapport, rendu en juillet, fait l'objet d'une analyse par les services afin de déterminer un calendrier de mise en œuvre des recommandations.