15ème législature

Question N° 215
de M. Philippe Huppé (La République en Marche - Hérault )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Agriculture et alimentation
Ministère attributaire > Agriculture et alimentation

Rubrique > eau et assainissement

Titre > Problématiques d'irrigation

Question publiée au JO le : 20/03/2018
Réponse publiée au JO le : 28/03/2018 page : 2115

Texte de la question

M. Philippe Huppé attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur les problématiques croissantes d'irrigation sur le territoire français. La plupart des experts qui analysent le réchauffement climatique sont formels : la Méditerranée est particulièrement sensible au changement climatique et ils prédisent une hausse de la température de 4 à 5° dans les prochaines années. Aussi, les besoins en eau pour l'agriculture et la viticulture notamment se font déjà sentir de façon très prégnante et cette préoccupation est quotidienne pour les viticulteurs du sud de la France. Les projets d'irrigation sont d'une extrême complexité, alors que 4 % du vignoble français est irrigué, contre 26 % en Italie à titre d'exemple et 90 à 100 % dans les nouveaux pays viticoles comme les États-Unis ou l'Argentine. Aussi, toujours à l'étranger, en Australie, en Espagne, en Israël ou en Californie, les eaux usées traitées constituent une source d'eau fiable pour l'irrigation des cultures et des espaces verts, il apparaît opportun d'étudier dès à présent les potentialités locales de réutilisation des eaux usées, dans le domaine viticole notamment. Sur le territoire, la réutilisation des eaux usées est une question qui a déjà fait l'objet d'expérimentation. Un programme nommé Irri Alteau a été mis en place entre 2013 et 2015 sur le Narbonnais pour tester les effets de l'irrigation en viticulture à partir d'eaux traitées issues de station d'épuration. Sur ce territoire, un manque de pluviométrie est constaté et le bilan hydrique est toujours négatif depuis plus de 15 ans. L'objectif de ce programme est de favoriser le développement du recyclage des eaux traitées de qualité maîtrisée pour l'irrigation des vignes en levant trois verrous : technique, social et économique. Des irrigations d'essais en goutte à goutte ont été réalisés. Plusieurs eaux ont été testées (eau potable, eau brute de surface, classe B et classe C). Les eaux traitées sont désinfectées (traitement UV) avant distribution. Des analyses ont été effectuées à toutes les étapes (eaux traitées, sol, nappe, fruits, vin). Une molécule (carbamazépine) a été suivie comme indicateur. L'irrigation n'a eu aucun effet sur la qualité (des milieux, du produit). Seul un effet millésime normal a été constaté. Les résultats sont donc très encourageants. Ainsi, il lui demande s'il serait prêt à modifier la loi afin que l'eau issue des stations d'épuration puisse compléter utilement l'eau de pluie.

Texte de la réponse

UTILISATION DES EAUX DES STATIONS D'ÉPURATION POUR L'IRRIGATION


M. le président. La parole est à M. Philippe Huppé, pour exposer sa question, n°  215, relative à l’utilisation des eaux des stations d'épuration pour l'irrigation.

M. Philippe Huppé. Ma question s'adressait à M. le ministre de l'agriculture.

« L'eau est le sang de la terre. » Par cette citation, vous aurez compris que je souhaite appeler son attention sur l'irrigation. Depuis quelques années, les épisodes de sécheresse se multiplient, notamment autour de la Méditerranée, ce qui nuit à la production agricole, et particulièrement à la viticulture. C'est un élu de l'ouest héraultais, essentiellement viticole, qui vous parle.

Depuis plusieurs années, la production viticole est en baisse et les viticulteurs sont affolés, car ils ne voient pas de solution. On leur propose des moyens d'irrigation, par les lacs, par des bassins de rétention ou des retenues collinaires, mais cela ne suffit pas et ne saurait constituer une solution durable. En outre, certains climatologues nous annoncent, à court terme, une augmentation de la température qui pourrait atteindre 4 degrés en Méditerranée. Dans ces conditions, si nous n'irriguons pas ces terres, si nous ne leur donnons pas la vie, c'est toute la viticulture qui va disparaître.

Je voulais donc interroger M. le ministre de l'agriculture sur la problématique de l'eau usée. Certains pays recourent déjà à l'eau usée pour irriguer leurs terres : c'est le cas, par exemple, de la Californie ou d'Israël, qui ont pris ce problème à bras-le-corps. Dans ma région, une expérimentation a été menée, notamment à Sigean, sur 80 hectares, et elle a donné des résultats très positifs : grâce à un procédé technique, l'eau a été parfaitement traitée et ni la terre, ni les plantes, ni les fruits n'ont subi la moindre pollution. L'agglomération de Béziers Méditerranée est en train de tenter, et j'y prends part, le même type d'expérimentation sur des dizaines d'hectares, et je pense que l'extension de ce procédé serait utile à la viticulture.

J'ai été maire d'Adissan, et la station d'épuration de ma commune traitait 130 mètres cubes d'eau par jour. Je me dis qu'il aurait mieux valu diriger vers les vignes cette grande quantité d'eau, qui partait dans les fossés. Il s'agit non pas seulement d'irriguer, mais de compenser le manque de pluie.

Ma question est simple : pensez-vous qu'il soit envisageable d'assouplir la réglementation actuelle, afin d'utiliser l'eau usée, qui peut sauver la viticulture dans le Midi de la France, notamment dans cette partie de l'Hérault dont je suis député ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Huppé, vous appelez l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, qui regrette sincèrement de ne pouvoir être présent ce matin, sur l'inégale répartition des ressources en eau dans le temps et dans l'espace, laquelle peut expliquer des situations locales de pénurie ou de surexploitation des nappes. Les agriculteurs de ma circonscription en font, hélas, eux aussi l'expérience.

Ces éléments peuvent justifier l'intérêt de la réutilisation d'eaux usées traitées comme ressource en eau supplémentaire ou de substitution. C'est en tout cas une solution alternative que nous étudions sérieusement. Néanmoins, comme vous le savez, les principes de la réglementation française se fondent principalement sur les travaux d'expertise qui ont été menés par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments – AFSSA – et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ANSES – au cours des dernières années. Ce sont ces agences qui statuent sur l'utilisation des eaux usées et nous avons donc l'obligation de travailler étroitement avec elles.

L'arrêté du 2 août 2010, modifié par l'arrêté du 4 juillet 2014, s'applique aux stations d'épuration d'eaux usées urbaines. Seule l'irrigation de cultures ou d'espaces verts y est autorisée. Conformément aux avis et rapports de l'ANSES, l'arrêté définit des contraintes d'usage, de distance et de terrain, en fonction du niveau de qualité sanitaire des eaux usées traitées. Il impose la mise en place d'un programme de surveillance de la qualité des eaux usées traitées et de la qualité des sols, ainsi que la traçabilité des opérations d'irrigation.

Les ministères en charge de ce dossier – à savoir le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de la transition écologique et solidaire et celui de l'agriculture et de l'alimentation – se sont accordés sur la nécessité de modifier certaines prescriptions de cet arrêté. Des travaux ont donc été engagés depuis 2014 avec les parties prenantes afin de modifier les prescriptions de l'arrêté. Le projet d'arrêté issu de ces travaux devra obligatoirement faire l'objet d'un avis de l'ANSES – je l'ai déjà dit, mais j'y insiste.

La Commission européenne a par ailleurs lancé en décembre 2015, dans le cadre du paquet économie circulaire, des travaux qui visent à définir, par le biais d'une directive ou d'un règlement, des critères minimaux de qualité pour la réutilisation d'eaux usées traitées, pour l'irrigation et la recharge de nappe. Tout cela est très encadré, vous le voyez. La Commission prévoit de faire une proposition de règlement qui devra être soumise à la discussion avec les États membres et le Parlement européen – tout cela prendra du temps. Un groupe de travail national se penchait sur ces questions mais, pour des raisons de coordination entre les différents niveaux de gouvernance, il a été contraint de suspendre la concertation qu'il avait engagée.

Sachez en tout cas que la question de la gestion quantitative de la ressource en eau fait l'objet d'une attention particulière de la part de nos ministères et qu'une cellule d'expertise sur la gestion de la ressource en eau dans le domaine agricole, pilotée par le préfet Pierre-Étienne Bisch, a été mise en place en novembre 2017. Placée sous l'autorité conjointe du ministre de l'agriculture et du ministre de la transition écologique et solidaire, elle a pour mission d'examiner les projets en cours, notamment sur le stockage de l'eau, mais aussi d'identifier des solutions susceptibles d'améliorer le dispositif général, la qualité des projets et surtout d'accélérer leur réalisation. Je vous invite donc – même si je suis sûre que vous l'avez déjà fait – à vous rapprocher des ministères concernés, pour voir concrètement comment travailler de concert et accélérer la mise en œuvre de solutions.

M. le président. La parole est à M. Philippe Huppé.

M. Philippe Huppé. Je remercie Mme la secrétaire d'État de sa réponse claire, qui rassurera les viticulteurs. Il faut toutefois accélérer la procédure. Par ailleurs, je le répète, d'autres solutions existent.