Question au Gouvernement n° 2263 :
Usage de données personnelles par l'administration fiscale

15e Législature

Question de : M. Philippe Latombe
Vendée (1re circonscription) - Mouvement Démocrate et apparentés

Question posée en séance, et publiée le 9 octobre 2019


USAGE DE DONNÉES PERSONNELLES PAR L'ADMINISTRATION FISCALE

M. le président. La parole est à M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, le projet de loi de finances pour 2020 marque la volonté de lutter contre les fraudeurs fiscaux, et je veux saluer au nom du groupe MODEM et apparentés cette aspiration, d'autant plus louable que la lutte contre la fraude fiscale a valeur constitutionnelle.

On ne peut que se réjouir de l'efficacité du prélèvement à la source, qui a déjà permis de collecter 2 milliards d'euros supplémentaires, ramenant en douceur dans le giron accueillant de Bercy les égarés fiscaux et autres phobiques administratifs.

En revanche, ce qui me perturbe grandement, monsieur le ministre, c'est le mode opérationnel que vous envisagez pour parvenir à vos fins. Je m'interroge en particulier, et je ne suis pas le seul, sur l'article 57 du projet de loi de finances. Si l'on peut parler d'« aspiration », s'agissant de ce projet d'article, c'est surtout de l'aspiration de nos données personnelles. L'administration serait ainsi autorisée « à collecter en masse et exploiter […] les données rendues publiques des réseaux sociaux et des plateformes de mises en relation par voie électronique ». En bref, on envisage de passer à la moulinette, à l'aveugle et de façon algorithmique, les données personnelles des citoyens. Bémol appréciable à vos ardeurs, vous avez renoncé à la reconnaissance faciale… Ouf ! la France n'est tout de même pas la Chine.

Depuis 2014, votre ministère a déjà la possibilité de détecter automatiquement les fraudeurs en scannant une vingtaine de bases de données de l'État. Pourquoi, dès lors, cette volonté impérieuse d'étendre la collecte aux réseaux sociaux et aux plateformes de commerce en ligne, ce qui est illégal car attentatoire aux libertés individuelles, elles aussi de valeur constitutionnelle ? La CNIL ne s'y est d'ailleurs pas trompée puisque, dans sa délibération du 12 septembre dernier, elle a émis de fortes réserves quant à la mise en œuvre d'une telle mesure.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer comment vous comptez concilier la nécessaire lutte contre la fraude avec l'exigence du respect des libertés fondamentales, si chère à notre pays ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe MODEM. – Mme Valérie Rabault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.

M. Sébastien Jumel. Et de la réorganisation des centres des finances publiques !

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. L'article 57 du projet de loi de finances concrétise précisément les demandes de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, monsieur le député. Je l'avais saisie l'année dernière, suite à un débat que nous avions eu en commission des finances lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude – j'en profite pour saluer sa rapporteure, Mme Cariou, qui nous a beaucoup aidés dans ce travail législatif très important, notamment s'agissant de la fin du verrou de Bercy.

La disposition que vous évoquez, et sur laquelle nous avons demandé à la CNIL de se prononcer, existe dans de nombreuses démocraties parlementaires très respectueuses des libertés individuelles – je pense notamment à la Grande-Bretagne, mais aussi aux démocraties du sud de l'Europe. Elle concerne plus particulièrement les fraudeurs fiscaux les plus importants, ceux qui, quand ils déclarent leurs revenus, prétendent passer plus de six mois par an à l'étranger. Aujourd'hui, nous n'avons pas les moyens de vérifier la véracité de leurs affirmations. Pour confondre les fraudeurs, il faudrait, comme en Grande-Bretagne, pouvoir constater que les contribuables concernés satisfont aux conditions requises pour déclarer une résidence fiscale en France. On ne peut à la fois réclamer une lutte plus forte contre la faute et ne pas donner à ceux qui sont chargés de l'empêcher les moyens nécessaires pour le faire.

La CNIL nous a autorisés à mettre en place la disposition que vous évoquez en posant comme condition son approbation par le législateur. C'est pourquoi nous avons transmis le texte de l'article 57 au Conseil d'État, juridiction protectrice de nos libertés, qui l'a validé. Bien que le Conseil ait estimé que cette disposition relevait du niveau réglementaire et non législatif, j'ai donné raison à la CNIL en l'intégrant dans le projet de loi de finances. Il reviendra donc au Parlement de l'adopter ou non, et donc de décider si, oui ou non, la lutte contre la fraude fiscale est une priorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Monsieur le ministre, la fin ne justifie pas forcément les moyens. Vous dites que la CNIL sera à nouveau saisie, mais son avis n'est pas contraignant. Quant au Conseil d'État, il lui est arrivé d'estimer constitutionnelles des mesures qui, finalement, ne l'étaient pas – je pense à certaines dispositions de la loi de programmation et de réforme pour la justice. Enfin, le 14 juin dernier, le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans le cadre d'une question préjudicielle de constitutionnalité sur un sujet très proche, celui de la fraude sociale…

M. le président. Je vous remercie, monsieur le député. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si je puis me permettre, monsieur le député, vous démontrez une légère incompréhension des avis rendus par le Conseil d'État, par le Conseil constitutionnel sur la fraude, mais aussi par la CNIL. Cette dernière a estimé que ces questions relevaient du champ des libertés fondamentales et devaient donc être traitées par le législateur. Elle a par conséquent indiqué qu'elle émettrait de fortes réserves si cette mesure faisait l'objet d'un simple arrêté ministériel. J'ai donc évidemment soumis ce point au vote du Parlement, par le biais de l'article 57 du projet de loi de finances.

Le Conseil d'État n'y a pas trouvé à redire. Or, me semble-t-il, le Conseil constitutionnel suit souvent – même s'il lui arrive de les censurer – les dispositions adoptées par le Parlement sur lesquelles le Conseil d'État s'était prononcé favorablement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Données clés

Auteur : M. Philippe Latombe

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Administration

Ministère interrogé : Action et comptes publics

Ministère répondant : Action et comptes publics

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 octobre 2019

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