Question au Gouvernement n° 2276 :
Laïcité à l'école

15e Législature

Question de : M. Jean-Louis Masson
Var (3e circonscription) - Les Républicains

Question posée en séance, et publiée le 16 octobre 2019


LAÏCITÉ À L'ÉCOLE

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. L’ambiguïté entretenue par votre Gouvernement sur le sujet de la laïcité est particulièrement inquiétante. Alors que le communautarisme menace des quartiers entiers, alors que l’islam politique et son idéologie mortifère n’ont jamais été aussi influents, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas transiger avec la laïcité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

La liberté religieuse est bien sûr fondamentale, mais elle doit s’exercer dans le strict respect des lois de la République. Or, votre discours, et surtout votre action, laissent perplexe, en particulier en ce qui concerne la laïcité à l’école. J’en veux pour preuve le scandale des affiches de la Fédération des conseils de parents d'élèves.

M. Pierre Cordier. Il a raison !

M. Jean-Louis Masson. Ces affiches publicitaires, qui flattent ostensiblement le communautarisme en encourageant le port du voile des accompagnateurs de sorties scolaires, ont profondément choqué l'opinion. (Approbations sur les bancs du groupe LR.)

Votre ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse les a d'ailleurs condamnées, mais votre majorité reste tétanisée sur le sujet de fond des signes religieux ostentatoires dans la sphère publique.

Je souligne d’ailleurs que l’amendement Ciotti a déjà posé ce problème lors de l’examen de la loi sur l’école de la confiance. Il y a quinze ans, Jacques Chirac a eu le courage d’interdire le port du voile à l'école. Mais comment accepter que ce qui est interdit à l’école puisse être autorisé dans des sorties scolaires qui relèvent justement du temps scolaire ? (Protestations sur plusieurs sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Plusieurs députés du groupe LaREM . Non ! C'est la sphère publique !

M. Jean-Louis Masson. Monsieur le premier ministre, les Français attendent de la clarté. Alors que vos ministres ont multiplié les prises de positions contradictoires, nous vous demandons de sortir de l’ambiguïté : seriez-vous prêt, oui ou non, à interdire le port du voile dans les sorties scolaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et de plusieurs députés non-inscrits.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

Un député du groupe LR . Et le ministre de l'éducation nationale, à quoi sert-il ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. La France est une république qui a progressivement placé la laïcité au cœur de ses valeurs. L'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, du 26 août 1789 affirme - je ne crois pas qu'il soit inutile d'en rappeler les termes dans cette Assemblée - : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, UDI-Agir et SOC, et sur quelques bancs des groupes GDR et FI.)

D'autre part, vous le savez comme moi, la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État, rappelle le principe de liberté de conscience puis prévoit que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

M. Ugo Bernalicis. Sauf en Alsace-Moselle !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . La laïcité suit donc un double principe : la liberté des citoyens de croire ou de ne pas croire et la neutralité absolue des pouvoirs publics s'agissant de faits religieux.

M. Raphaël Schellenberger. Nous sommes bien avancés !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . En application de ces textes, le droit – c'est-à-dire la loi qui s'applique – est très clair. S'agissant des agents du service public, ils sont astreints à un strict devoir de neutralité, qui leur interdit de manifester leurs croyances religieuses, comme leurs convictions politiques, par des signes extérieurs, notamment vestimentaires.

Quant aux usagers, ils ne sont pas soumis à l'exigence de neutralité, sauf exception prévue par la loi. Il en existe une, très importante, résultant de la loi du 15 mars 2004, qui a posé un principe très clair : « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

Cette interdiction, vous le savez parfaitement, monsieur le député, ne s'applique pas aux parents d'élèves, non plus qu'aux étudiants. C'est la loi. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.)

M. Boris Vallaud. C'est la loi !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . On peut porter un voile quand on accompagne une sortie scolaire, mais on n'a pas le droit – vous le savez également – de faire de prosélytisme ; si tel est le cas, les autorités peuvent et doivent intervenir.

M. Marc Le Fur. Que dit M. Jean-Michel Blanquer ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Tel est l'état du droit. Je ne crois pas inutile, au sein de l'Assemblée nationale, de rappeler ce qu'est le droit, ni de rappeler ce qu'est la loi ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Il pourra appartenir à ceux qui le souhaitent de la modifier, mais permettez au Premier ministre que je suis de rappeler la loi qui s'applique à tous les citoyens.

M. Sébastien Leclerc. Changeons-la !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Je ne pense pas, pour ma part - mais nous serons peut-être en désaccord, monsieur le député -, que l'enjeu aujourd'hui soit de voter une loi sur les accompagnants scolaires. (Mme Valérie Boyer proteste.)

M. Éric Ciotti. Soumission !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . L'enjeu – je crois que ce point peut nous réunir – est de combattre efficacement, avec le soutien de l'ensemble de nos concitoyens, les dérives communautaires.

M. Pierre Cordier. Comment ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Il s'agit d'éviter que des enfants échappent à l'école en raison des convictions religieuses pouvant relever du communautarisme ou de l'islam politique de leurs parents. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Ma ligne est le combat pour la défense de la laïcité ; c'est celle que nous tenons dans l'éducation nationale, avec l'équipe nationale et les équipes académiques « laïcité et fait religieux », qui agissent au quotidien pour qu'aucun enseignant ne reste seul face à un problème de cet ordre.

Ma ligne est de mener sans faiblesse la lutte contre la radicalisation islamiste qui menace notre société.

Mme Valérie Boyer. Et que faites-vous ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Nous ne voulons pas laisser cette menace prospérer ; c'est pourquoi nous avons éloigné, depuis 2017, 363 ressortissants étrangers qui étaient inscrits au fichier des personnes radicalisées.

M. Éric Ciotti. Sur 4 000 !

M. Sébastien Leclerc. Combien dans la police ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Cette radicalisation nous défie chaque fois que l'unité de la République est mise en balance avec des préceptes religieux.

C'est la raison même pour laquelle vous avez voté une loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat – loi no 2018-266 du 13 avril 2018 – : parce que nous pensons que le danger de la déscolarisation est bien plus immense que l'expression d'une liberté reconnue par la loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Nous avons ainsi renforcé le contrôle de l'instruction à domicile, parce que nous savons que certains cherchent à utiliser ces régimes d'éducation, et les libertés afférentes le cas échéant, pour organiser la sécession au sein de la République. Nous ne nous laisserons pas faire !

M. Franck Marlin. Ce n'est pas vrai !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Quinze écoles se sont vu opposer un refus d'autorisation, 130 contrôles d'enfants déscolarisés ont été effectués.

Ma ligne, monsieur le député, puisque vous m'interrogez, est de me battre contre les dérives communautaires sans naïveté, y compris politique : je sais qu'à l'approche des élections municipales, certains candidats brandiront les dangers qu'elles recouvrent. (Protestations sur les bancs du groupe LR.)

M. Éric Ciotti et Mme Michèle Tabarot . Montrez-le alors !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Nous devons réfléchir aux moyens d'éviter la menace qu'elles représentent,…

M. Pierre Cordier. Il faut arrêter de réfléchir, il faut agir !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . …mais je le répète : la laïcité à laquelle vous et moi tenons, à laquelle tous ici nous tenons, suit un principe de liberté et de neutralité. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM et sur quelques bancs du groupe SOC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Je vous sens mal à l'aise, monsieur le Premier ministre !

Au-delà du port du voile islamique, c'est la montée des tensions identitaires qui doit nous interpeller. Comment pouvez-vous définir une stratégie générale sans fracturer votre majorité qui parle avec des voix dissonantes, comme deux macronismes irréconciliables ? Voilà les limites de l’ambiguïté et du « en même temps » ! Voilà les limites de votre politique, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Louis Masson

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Laïcité

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 octobre 2019

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