Implication de navires français dans le conflit au Yémen
Question de :
M. Alexis Corbière
Seine-Saint-Denis (7e circonscription) - La France insoumise
M. Alexis Corbière attire l'attention de M. le Premier ministre sur l'implication de la France dans le conflit en cours au Yémen. Ce matin, la cellule investigation de Radio France, en partenariat avec le média Disclose, a révélé, preuves visuelles à l'appui, l'implication de frégates françaises dans le blocus maritime au Yémen. Ces navires ont été vendus par la France à l'Arabie saoudite et leur maintenance continue d'être assurée par Naval Group, entreprise française dont l'État est actionnaire majoritaire. En bloquant l'acheminement de l'aide humanitaire, ces bateaux aggravent la situation de famine aiguë dans laquelle sont plongés 22 millions de Yéménites dont 5 millions d'enfants. Déjà, en mai 2019, deux cargos saoudiens devaient embarquer, au Havre et à Marseille, des canons caesar de fabrication française et leurs munitions avant que les dockers ne parviennent à faire échouer ces embarquements. Dès septembre 2018, une note classée « confidentiel défense » publiée par Disclose dévoilait aussi la carte des populations civiles menacées et la présence de 48 canons caesar participant des massacres. Par ces livraisons d'armes à la coalition militaire menée par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, la France se rend complice des exactions commises dans ce conflit. Depuis plus de quatre ans, la situation au Yémen ne fait qu'empirer et génère, selon l'ONU, la « pire crise humanitaire au monde ». Face à cela, les déclarations gouvernementales oscillent entre cynisme et hypocrisie. La ministre des armées admet les exportations tout en affirmant que ces armes seraient d'une « utilisation défensive ». Les éléments apportés par les médias d'investigation prouvent pourtant le contraire. La France a pourtant ratifié le traité sur le commerce des armes (TCA) des Nations Unies. Son article 6 précise que les exportations d'armes sont prohibées si elles sont susceptibles de « servir à commettre un génocide, des crimes contre l'humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ». Il lui demande donc de dévoiler les mesures qu'il entend prendre pour que la France respecte ses engagements internationaux. Il en va de la responsabilité de l'État à garantir le bon respect des droits de l'Homme.
Réponse publiée le 18 février 2020
Tout d'abord, il convient de rappeler que c'est le Conseil de sécurité des Nations Unies, par sa résolution 2216 adoptée le 14 avril 2015, qui a instauré un embargo sur les armes à destination des Houthis et de leurs alliés (en l'occurrence le clan de l'ancien président Saleh, aujourd'hui décédé). Tous les Etats membres, et en particulier les Etats voisins du Yémen, doivent inspecter les chargements à destination du Yémen en cas de soupçons de non-respect dudit embargo. Ainsi, il n'est pas anormal que la Coalition ait mis en place des inspections des flux de marchandises à destination du Yémen, notamment sur la façade ouest du pays (port d'Hodeïda) dont certaines parties restent sous contrôle houthi. Le processus d'inspection des marchandises à destination du Yémen reste très long. La France le regrette et en a fait part à de nombreuses reprises aux membres de la Coalition. En outre, la lutte contre les trafics d'armes qui viennent alimenter le conflit en permettant la fourniture d'armes aux houthis et à leurs alliés correspond à une finalité défensive des pays participant à la Coalition. Face à cette situation, l'une des actions de la France a été de proposer de fluidifier ces opérations de contrôle en renforçant le processus UNVIM (UN verification and inspection mechanism) et en le plaçant sous responsabilité onusienne. La création de la mission des Nations unies en appui à l'accord sur Hodeïda (MINUAAH) doit répondre à cet objectif. Par ailleurs, la France reste attentive à tout risque d'incident relatif à l'emploi qui sera fait des armes exportées. C'est la raison pour laquelle, à partir d'une évaluation in concreto, elle apprécie, avant toute autorisation, s'il existe un risque "prépondérant", selon les termes du Traité sur le Commerce des Armes, que les matériels de guerre soient utilisés pour commettre des violations graves des droits de l'homme ou du droit international humanitaire. Cette appréciation in concreto implique, d'une part, une connaissance précise, acquise par un dialogue avec l'État importateur et grâce à des capacités de renseignement nationales ou d'États partenaires, de l'utilisation que pourraient faire les forces de l'État importateur des matériels livrés et de la façon dont les forces, si elles sont effectivement engagées dans un conflit armé, appliquent les principes de distinction, de proportionnalité, de nécessité et de précaution qui sont au fondement du droit international humanitaire sur les théâtres concernés. D'autre part, elle inclut le choix de mettre en place d'éventuelles mesures de remédiation du risque de violation des droits de l'Homme ou du droit international humanitaire. Ces mesures incluent notamment des actions de formation, dont des modules en droit international humanitaire, de l'accompagnement à l'appropriation des méthodes et doctrines d'emploi du matériel, des restrictions d'usage ainsi que des démarches diplomatiques.
Auteur : M. Alexis Corbière
Type de question : Question écrite
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Armées
Dates :
Question publiée le 24 septembre 2019
Réponse publiée le 18 février 2020