Question orale n° 236 :
Réforme de la justice - Devenir des TGI - TGI de Grasse

15e Législature

Question de : Mme Michèle Tabarot
Alpes-Maritimes (9e circonscription) - Les Républicains

Mme Michèle Tabarot appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les réformes annoncées dans le cadre des chantiers de la justice et sur leur impact concernant les tribunaux de grande instance (TGI), dont notamment celui de Grasse. Le rapport récemment remis au Premier ministre par MM. Philippe Houillon et Dominique Raimbourg préconisait une réforme d'ampleur de la carte judiciaire. Il était ainsi proposé de remplacer les TGI par des tribunaux judiciaires et de n'en conserver qu'un seul par département. Par exception, lorsque cela se justifiait notamment par le nombre de dossiers traités, plusieurs tribunaux judiciaires pouvaient coexister, mais un coordinateur départemental devait être désigné. Cette proposition a suscité une très vive inquiétude des magistrats, des greffiers, des avocats et des élus, dans de nombreux ressorts. Cela a été particulièrement le cas pour le TGI de Grasse qui couvre une population de plus de 570 000 habitants, 10 juridictions, avec 212 magistrats et fonctionnaires et 618 avocats inscrits au barreau. La perspective que le TGI de Grasse, qui est le 19ème de France en volume d'activité sur 173, soit placé sous la coordination d'un autre serait donc problématique au regard de l'importance de ce tribunal de premier plan dont il est essentiel de conserver l'autonomie et la plénitude de juridiction. Lors de la présentation des grands axes de la réforme de la justice, le Gouvernement a affirmé qu'aucun TGI ne serait supprimé et n'a pas évoqué le projet de mettre en place des coordinations départementales. Pourtant, à la lecture de l'avant-projet de loi, il apparaît que plusieurs dispositions pourraient malgré tout conduire à nommer des TGI « chefs de file » et à ôter des compétences majeures à d'autres tribunaux. Ainsi, pour les départements comptant plusieurs TGI, un simple décret en Conseil d'État permettrait de désigner spécialement un tribunal de grande instance pour connaître de l'ensemble de certains contentieux civils ou de certains délits et contraventions. Il est également envisagé de permettre au procureur général de confier un rôle de coordination dans la mise en œuvre de la politique pénale à l'un des procureurs de la République du département concerné. Enfin, certains TGI pourraient être privés de juge d'instruction, également par voie réglementaire. L'engagement de concertations préalables avec les juridictions locales, sous l'égide des premiers présidents et procureurs généraux des cours d'appels, ne semble pas être une garantie suffisante car elles ne seraient que consultatives et non décisionnelles. Dès lors, en l'état actuel de l'avant-projet de loi il serait extrêmement aisé de désigner des « chefs de file » départementaux dans de nombreux domaines et de vider d'autres TGI de leur substance en les privant d'une part importante de leur contentieux et attributions. Elle souhaiterait donc connaître ses intentions sur cette question.

Réponse en séance, et publiée le 4 avril 2018

AVENIR DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE GRASSE
M. le président. La parole est à Mme Michèle Tabarot, pour exposer sa question, n°  236, relative à l'avenir des tribunaux de grande instance.

Mme Michèle Tabarot. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice ; j'y associe le maire de Grasse, Jérôme Viaud, et de nombreux élus de l'ouest du département des Alpes-Maritimes ainsi que le barreau de Grasse. Elle porte sur la réforme de la justice et sur son impact sur les tribunaux de grande instance, que mon collègue Julien Dive vient d'évoquer.

Depuis le lancement du chantier de l'adaptation du réseau des juridictions, les professionnels du droit s'inquiètent de la possible disparition de certains TGI et du placement de certains autres sous une coordination départementale. L'engagement gouvernemental de ne supprimer aucun TGI en France n'a pas suffi à les rassurer. La mobilisation était d'ailleurs encore forte vendredi dernier, à Grasse et dans la France entière.

Le projet de loi de programmation de la justice comporte, en effet, plusieurs dispositions qui pourraient, à terme, conduire à vider certains tribunaux de leur substance. Ainsi, dans les départements qui comptent plusieurs TGI, un décret permettrait de désigner spécialement un tribunal pour traiter de l'ensemble de certains contentieux ; le procureur général pourrait aussi confier un rôle de coordination pénale à un seul procureur de la République ; des TGI pourraient être privés de juge d'instruction.

Si cette réforme est mise en œuvre, des tribunaux pourront donc être privés, d'un trait de plume, d'attributions et de compétences essentielles. Pourtant, dans certains départements, le maintien de plusieurs TGI de plein exercice se justifie sans hésitation. C'est le cas du TGI de Grasse, qui couvre une population de plus de 570 000 habitants, 10 juridictions comptant 212 magistrats et fonctionnaires et 618 avocats inscrits au barreau. Qui pourrait comprendre que le dix-neuvième TGI de France, en termes de volume d'activité, perde un jour sa plénitude de juridiction ?

Au regard de ces éléments, pouvez-vous me dire, madame la ministre, si le Gouvernement reviendra sur ces dispositions contestées, et m'indiquer vos intentions réelles concernant l'avenir du TGI de Grasse, qui doit conserver toute son autonomie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Nos intentions réelles, madame la députée, sont de maintenir l'ensemble des tribunaux de grande instance en tant que juridictions de plein exercice. Aucun tribunal de grande instance « chef de file » ne sera créé. Ainsi, le tribunal de grande instance de Grasse conservera son autonomie, avec à sa tête ses chefs de juridiction. Il conservera une plénitude de compétence et pourra, le cas échéant, se voir confier des compétences spécialisées.

Le projet de loi permettra aux juridictions qui le souhaitent, dans les départements où plusieurs tribunaux de grande instance sont implantés – ce qui est le cas du vôtre –, d'en désigner un par décret pour traiter de contentieux déterminés, qu'ils soient civils ou pénaux. Cela pourra constituer un moyen supplémentaire de renforcer l'efficacité de la justice en première instance. Les chefs de juridiction, associés aux chefs de cour, seront chargés de proposer, après concertation locale, l'organisation la plus performante afin d'adapter au mieux l'organisation judiciaire à la réalité du besoin de justice.

En matière pénale, un rôle de coordination pourra être confié à l'un des procureurs de la République. Cela pourrait permettre de renforcer la conduite de la politique pénale et partenariale dans le département, mais ne videra en rien les attributions juridictionnelles des autres procureurs de la République.

Comme vous le voyez, madame la députée, loin de pénaliser le tribunal de grande instance de Grasse, cette réforme le confortera. C'est bien à l'initiative des acteurs locaux – expression dont il faudra préciser le sens – que les structures juridictionnelles pourront être renforcées en compétences. Ce sont en effet ceux qui vivent dans les territoires qui, je le répète, les connaissent le mieux, et qui peuvent le mieux évaluer le besoin de justice. C'est bien l'ambition portée par le Gouvernement à travers ce projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Tabarot.

Mme Michèle Tabarot. Nous ne sommes toujours pas rassurés, madame la ministre. Il y a encore beaucoup de « pourrait » dans votre discours. Les acteurs locaux et tous les responsables du monde de la justice souhaitent participer, dans les plus brefs délais, à des séances de travail concrètes, afin de savoir ce qu'il adviendra des TGI sur chaque territoire.

Données clés

Auteur : Mme Michèle Tabarot

Type de question : Question orale

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 27 mars 2018

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