Entraves au travail des journalistes
Question de :
M. Éric Coquerel
Seine-Saint-Denis (1re circonscription) - La France insoumise
M. Éric Coquerel alerte M. le ministre de l'intérieur sur les entraves graves à la liberté de la presse exercées contre des journalistes. M. le député rappelle que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement ». Malgré les protections constitutionnelles et juridiques, dont la loi du 21 janvier 2008, de nombreux journalistes ont vu leur travail gravement entravé, notamment lors de la couverture de mobilisations sociales : confiscation de matériel, interdictions abusives de circulation, insultes. Deux cas en particulier révèlent d'atteintes graves à la liberté de la presse et d'un acharnement contre leur personne. M. Taha Bouhafs a été interpellé lorsqu'il couvrait l'occupation du centre Chronopost d'Alfortville, en juin 2019. Il est d'ailleurs poursuivi au tribunal suite à cette interpellation, comme s'il était responsable de s'être fait déboîter l'épaule (ce qui a entraîné 10 jours d'ITT et 3 semaines d'arrêt de travail). Plus grave encore, son téléphone a été mis sous scellé. C'est son outil de travail, celui qui a servi à filmer Alexandre Benalla lors de ses exactions du 1er mai 2018. Il s'agit d'une atteinte au secret des sources. D'autre part, tout justiciable doit pouvoir être en possession des pièces lui permettant d'établit son innocence. C'est le cas du smartphone de M. Bouhafs qui contient l'intégralité de la scène filmée de son interpellation. Il s'agit donc, en plus, d'un déni de droit. On ne compte plus les interpellations du journaliste Gaspard Glanz tant elles semblent être devenues un rituel antidémocratique. Lors de la manifestation des policiers du 2 octobre 2019, Gaspard Glanz est interpellé une première fois. Puis, une scène filmée montre qu'un organisateur le désigne explicitement auprès des effectifs de police. À cette désignation, le gendarme interpellé répond « Gaspard Glanz le gauchiste ? ». S'ensuit une incompréhensible deuxième interpellation du journaliste. Concrètement, M. Glanz n'a pas pu, ce jour-là, comme de nombreux autres jours, exercer son métier. Ces exemples sont malheureusement quotidiens, et significatifs de dérives extrêmement préoccupantes pour la liberté de la presse. En ce sens, il lui demande quelles mesures il compte adopter afin de faire respecter la liberté de la presse et un exercice serein de la profession de journaliste en France.
Réponse publiée le 11 février 2020
La France est un Etat de droit où la liberté de la presse est pleinement garantie, tant par le droit interne que par divers engagements européens et internationaux. Quant à l'action des forces de l'ordre, elle est encadrée tant par le droit national que par des normes européennes et internationales. Par ailleurs, elle est soumise à des contrôles internes et judiciaires ainsi qu'à ceux de divers autorités et organismes nationaux, européens et internationaux. S'agissant de l'action des forces de sécurité intérieure dans les missions de maintien de l'ordre, elle s'inscrit dans un cadre juridique fixé par la loi et le règlement, notamment par le code de la sécurité intérieure, pour garantir la liberté d'expression de tous mais également la sécurité des personnes et des biens. Il peut être utile à cet égard de rappeler que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après des sommations (article 431-4 du code pénal) ne comporte aucune exception au profit des journalistes. Dès lors qu'ils sont au cœur d'un attroupement, ils doivent comme n'importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants de la force publique en se positionnant clairement en dehors des manifestants devenus juridiquement des délinquants. Les risques juridiques et physiques pris par les journalistes lorsqu'ils couvrent une manifestation ne sauraient être reportés sur les forces de l'ordre. Par ailleurs, de nombreux journalistes tendent à revêtir des tenues et des dispositifs de protection qui se confondent totalement avec ceux des auteurs de violences. Or, le port d'un élément d'identification « Presse » n'est efficace que lorsqu'il est suffisamment visible et explicite pour que les forces de l'ordre puissent l'identifier comme tel. S'il revient aux policiers et aux gendarmes de faire preuve de discernement, il importe aussi que les journalistes fassent tout leur possible pour être identifiés. Il doit également être observé que de nombreux manifestants peuvent se déclarer « journalistes » du seul fait qu'ils filment les opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre avec un téléphone portable, comme d'autres s'improvisent « street medic » sans aucune connaissance médicale. Il importe donc que les journalistes puissent être distingués clairement des auteurs d'exactions dont ils documentent la confrontation avec les forces de l'ordre : - si possible en s'identifiant par une prise de contact directe avec les forces de l'ordre ; - à tout le moins par le port d'une inscription « presse » sur leur tenue, visible à grande distance ; - en se positionnant en marge des auteurs de violences pour ne pas être affectés par les mesures prises par les forces de l'ordre pour faire cesser leurs agissements. En tout état de cause, si des journalistes ont été affectés par un emploi de la force par des unités de police ou de gendarmerie qu'ils estiment illégitime, il leur appartient, comme à quiconque, de déposer plainte ou de procéder à un signalement, par exemple sur la plate-forme internet de l'Inspection générale de la police nationale prévue à cet effet. Il convient également de rappeler la politique d'ouverture et de communication des forces de l'ordre. Dans le cadre de l'amélioration des moyens de communication employés lors de la gestion de l'ordre public, la relation entre la presse et les forces de sécurité intérieure se modernise en effet régulièrement. Des chargés de communication des forces de sécurité intérieure peuvent par exemple être désignés. Ils encadrent et assurent la protection des médias pour lesquels un reportage en immersion a été validé. Afin d'être rapidement identifiés comme interlocuteurs privilégiés des médias, ces chargés de communication peuvent être porteurs des signes distinctifs « police / gendarmerie communication » et d'une chasuble spécifique. Des mesures ont également été prises pour développer la présence de journalistes embarqués et améliorer leur immersion dans des actions de gestion de l'ordre public. Il en est ainsi avant l'événement, via leur participation aux exercices de maintien et de rétablissement de l'ordre public pour leur expliquer les modes de fonctionnement des forces et les aider à se positionner pour réaliser leur travail en toute sécurité, et grâce à des explications sur les objectifs du dispositif et les messages à adresser à la population. Pendant l'événement, ponctuellement, des journalistes peuvent évoluer au côté des forces, sous réserve du port de protections (a minima casque, brassard « journaliste », carte de presse apparente, gilet pare-coups ou pare-balles). Ces mesures témoignent de la volonté de transparence, d'information et de pédagogie des forces de l'ordre. Il doit également être souligné que, dans le cadre de l'élaboration d'un nouveau schéma national du maintien de l'ordre, la gestion de la présence des journalistes au sein des opérations est bien sûr prise en compte afin de faciliter au mieux l'exercice de leur métier.
Auteur : M. Éric Coquerel
Type de question : Question écrite
Rubrique : Presse et livres
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 15 octobre 2019
Réponse publiée le 11 février 2020