Sur l'opacité qui règne autour de la détention des djihadistes
Question de :
M. Bruno Bilde
Pas-de-Calais (12e circonscription) - Non inscrit
M. Bruno Bilde interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le déplacement de M. Jordan Bardella à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis le 23 janvier 2020. En effet, en sa qualité de parlementaire européen et comme son mandat l'y autorise, M. Jordan Bardella a souhaité visiter l'enceinte carcérale et y rencontrer les personnels pénitentiaires soumis à des conditions de travail de plus en plus dégradées et à un environnement de plus en plus dangereux. Vraisemblablement mal à l'aise, le comité d'accueil du ministère de la justice a refusé, sans raison valable, l'accès à un bâtiment où étaient détenus des terroristes islamistes au premier rang desquels le tristement célèbre Salah Abdeslam. Cette entrave contraire aux usages républicains interroge légitimement sur l'opacité qui règne autour de la détention des djihadistes à l'heure où quarante ennemis de la France vont être remis en liberté au cours de l'année 2020. Rappelons que près de 70 recrues de l'État islamique ont déjà été relâchées depuis 2018 au mépris de la sécurité élémentaire des Français. Quelles sont les conditions réelles de détention de ces bombes à retardement qui font peser une menace quotidienne sur les surveillants comme l'ont révélé les derniers attentats en prison ? Quel est l'état d'adaptation des établissements pénitentiaires pour accueillir ces détenus d'une dangerosité extrême au moment où Mme la garde des sceaux annonce le retour de 200 individus partis commettre des exactions et des massacres en Irak et en Syrie sous la bannière noire de Daech ? Qu'a-t-elle à dissimuler ? Les Français ont le droit de savoir comment vont être incarcérés les revenants du djihad qui sont l'avant-garde d'une idéologie responsable de 264 morts depuis 2012. Il souhaite donc connaître ses intentions sur ces questions.
Réponse publiée le 5 octobre 2021
Le Gouvernement a, sous cette mandature, considérablement renforcé la sécurité des établissements pénitentiaires et des personnels qui y travaillent. En 2022, le Gouvernement portera un plan ambitieux, historique et inégalé de près de 100 M€ de sécurisation "360" des établissements pénitentiaires (sécurisation périmétrique, lutte anti-drone, sécurisation des agents pénitentiaires). En particulier, dans la continuité de l'action du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme islamiste, l'administration pénitentiaire a adopté une stratégie globale face au défi de la radicalisation violente : d'abord la détection des détenus radicalisés, ensuite leur évaluation, et enfin leur orientation dans des quartiers adaptés afin d'individualiser leur prise en charge, qu'ils soient détenus écroués pour des faits de terrorisme islamiste (TIS) ou détenus de droit commun suspectés de radicalisation (DCSR). Au 1er juin 2021, la France compte 467 détenus TIS et 658 détenus DCSR. 45 détenus sont par ailleurs en cours d'évaluation. La prise en charge des personnes radicalisées en détention et la préparation de leur sortie sont des préoccupations majeures du garde des Sceaux, ministre de la Justice. En milieu fermé, la direction de l'administration pénitentiaire généralise actuellement les modalités de prise en charge spécifiques des personnes détenues radicalisées, terroristes ou de droit commun, expérimentées depuis 2015. Ces actions sont développées à travers plusieurs dispositifs consacrés par le plan national de prévention de la radicalisation : grilles de détection de la radicalisation, programmes de prévention de la radicalisation violente (19 plans réalisés sur 45 programmés en 2020 en raison de la crise sanitaire), quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) et quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR). En pratique, chaque établissement pénitentiaire procède en premier lieu à l'évaluation des détenus radicalisés, dans le cadre de commissions pluridisciplinaires uniques, instance pluridisciplinaire centrale dans le repérage, l'évaluation et la construction d'un plan d'accompagnement adapté. Les chefs d'établissement et les directeurs des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) peuvent toutefois solliciter, pour les situations les plus complexes qui nécessitent une évaluation plus fine et plus intensive, une évaluation en QER. L'objectif des QER est de mesurer le niveau de radicalité des détenus TIS et des détenus DCSR, et d'apprécier leur dangerosité afin de déterminer les modalités de prise en charge adaptées au profil de la personne détenue. En complément des trois QER de la région parisienne (maisons d'arrêt d'Osny-Pontoise et de Fleury Mérogis et centre pénitentiaire de Fresnes), la direction de l'administration pénitentiaire a procédé à l'ouverture de quatre QER au sein du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil depuis 2018. L'administration pénitentiaire dispose ainsi de sept QER, correspondant à une capacité d'évaluation annuelle de 273 personnes. En outre, un QER femmes sera ouvert en 2021 au centre pénitentiaire de Fresnes. Ayant évalué la quasi-totalité des personnes poursuivies ou condamnées pour des faits de terrorisme, l'administration pénitentiaire se concentre désormais sur l'évaluation des détenus radicalisés de droit commun et des détenus terroristes nouvellement écroués. Au cours de l'année 2020, 135 personnes ont été évaluées, soit 86 détenus DCSR et 49 détenus TIS. Les détenus évalués comme prosélytes et susceptibles de violence, et par ailleurs accessibles à une prise en charge collective, sont affectés dans des QPR. La création des QPR s'inscrit dans une double optique de cantonnement des personnes détenues radicalisées violentes et de déploiement du désengagement. A l'instar des QER, une équipe pluridisciplinaire formée à la gestion des personnes détenues radicalisées prosélytes et violentes est affectée à ces quartiers. L'administration pénitentiaire disposait au 31 décembre 2020 de quatre QPR au sein des établissements pénitentiaires de Paris-La Santé, Condé-sur-Sarthe, Lille-Annœullin et Aix en Provence, offrant une capacité de 151 places. 19 places supplémentaires ont depuis été ouvertes avec la création du QPR de Nancy-Maxéville le 19 janvier 2021. Après la livraison du QPR de Bourg-en-Bresse au deuxième trimestre 2021, l'administration pénitentiaire dispose d'une capacité de 188 places. En outre, un QPR femmes ouvrira prochainement à Rennes. En 2020, la direction de l'administration pénitentiaire a en particulier mis en œuvre un plan d'action visant à adapter le dispositif d'évaluation et de prise en charge aux femmes détenues radicalisées. Une formation spécifique intitulée « évaluation et prise en charge des femmes détenues radicalisées » a été organisée du 21 au 25 septembre 2020. Destinée aux équipes principalement concernées par l'accueil de détenues écrouées pour faits de terrorisme, cette formation pluridisciplinaire a réuni une centaine de participants dont 25 personnels en présentiel et 14 sites en visioconférence. Par ailleurs, une convention relative à l'accompagnement des détenues sujettes au stress post-traumatique a été signée le 2 janvier 2020 avec le centre Georges Devereux (Tobie Nathan). Les premières interventions ont été organisées auprès de femmes détenues revenues du théâtre irako-syrien. En milieu ouvert, outre le suivi rapproché développé par les services pénitentiaires d'insertion et de probation pour les personnes radicalisées sous main de justice, un programme d'accueil individualisé et de ré-affiliation sociale est déployé depuis 2016. Ainsi, des centres de prise en charge individualisée pour personnes radicalisées sous main de justice ont ouvert à Paris et Marseille en 2018 et à Lyon et Lille en 2019. Ces dispositifs permettent un accompagnement global et individuel vers le désengagement de l'idéologie violente en identifiant les facteurs ayant conduit au basculement ainsi que les points de rupture. Le dispositif offre ainsi un suivi global grâce à une prise en charge pluridisciplinaire (psycho-sociale, psychologique, socio-professionnelle, interculturelle et religieuse) et individualisée, en soutenant le public concerné par un accompagnement adapté à la personne (de 3h à 20h par semaine avec possibilité d'hébergement en diffus) et évolutive au cours du suivi. Pour les publics sous main de justice non suivis par ce dispositif, il y a lieu de favoriser la continuité de la prise en charge « dedans-dehors » et notamment l'accès aux dispositifs de droit commun en matière d'hébergement, de soin et d'insertion professionnelle. Ainsi, un dispositif expérimental, cofinancé par la direction de l'administration pénitentiaire et le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, est actuellement déployé sur le département du Val-de-Marne depuis le 1er juillet 2019. Les sortants bénéficient d'une prise en charge immédiate en logement et soins de la part de partenaires dans le cadre d'un financement dédié. S'agissant des personnes condamnées pour faits de terrorisme ayant purgé leur peine et qui ne font pas l'objet d'une mesure judiciaire à la sortie de prison, le SPIP compétent assure un passage de relais au sein de la cellule de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF) de la préfecture concernée. Les CPRAF ont pour objectifs d'assurer la prise en charge des personnes radicalisées et d'accompagner leurs proches. Elles mobilisent les services de l'Etat compétents (police, gendarmerie, éducation nationale, protection judiciaire de la jeunesse, Pôle emploi, mission locale), les collectivités locales (mairie, services sociaux), la caisse d'allocations familiales et les associations intervenant auprès des familles et des jeunes. Il s'agit d'organiser la mise en place d'un parcours personnalisé, en lien avec la famille de l'individu et sous la responsabilité d'un travailleur social. Les informations ainsi transmises par le SPIP garantissent la continuité du suivi entre la prise en charge assurée par l'administration pénitentiaire en détention et celle opérée par les acteurs coordonnés par la CPRAF. Les individus de retour du théâtre irako-syrien qui sont incarcérés, au nombre de 136 (dont 35 femmes) au 1er juillet 2021, font l'objet d'un suivi spécifique par le renseignement pénitentiaire. Depuis le 15 juin 2019, il est structuré sous la forme d'un service à compétence nationale, le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), placé sous l'autorité directe du directeur de l'administration pénitentiaire. Il est organisé en un réseau réparti selon trois échelons : un échelon central, dix cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire et des délégations locales du renseignement pénitentiaire en établissement. Le décret n° 2019-1503 du 30 décembre 2019 a élargi la possibilité de mettre en œuvre certaines techniques de renseignement à la prévention des mouvances extrêmes violentes (a, b et c de la finalité 5° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure). Afin d'assurer la continuité du suivi à la fin de peine, le SNRP prend l'initiative de diffuser systématiquement aux autres services de renseignement compétents (locaux et nationaux) une note de signalement en fin d'incarcération avant la libération de chaque détenu TIS. Ces notes contiennent l'ensemble des informations à la disposition du service susceptibles d'être utiles aux services de renseignement partenaires en cas de mise en œuvre d'une nouvelle surveillance à compter de la libération. A cet effet, cette note reprend notamment le parcours carcéral du détenu, les sélecteurs utiles le concernant (numéros de téléphone, adresses mail, etc.), les mesures judiciaires en vigueur à la sortie de l'intéressé en précisant, dès que cela est possible, le contenu des obligations et interdictions afférentes. Surtout, elle mentionne l'évaluation de la dangerosité du détenu réalisée par le SNRP. Elle permet ainsi une évaluation individualisée du niveau de menace que représente chaque condamné à sa libération. Toutes les notes sont versées au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), afin de permettre leur consultation à tout moment par les services qui ont besoin d'en prendre connaissance. Les éléments de cette note permettent également d'apprécier la nécessité de la mise en place d'une mesure administrative et, le cas échéant, d'éviter que le contenu d'une mesure administrative ne soit en contradiction avec une mesure judiciaire. Afin de justifier la mise en œuvre d'une mesure de police administrative (mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance ; visite administrative), certains services partenaires sollicitent directement le SNRP pour obtenir des informations complémentaires. Le SNRP est membre permanent des groupes d'évaluation départementale qui se tiennent dans les préfectures. Il est, par principe, le chef de file (responsable du suivi administratif d'un individu inscrit au FSPRT) des détenus TIS pendant leur incarcération. Deux mois avant la libération d'un TIS, un nouveau chef de file est désigné lors de la réunion du groupe d'évaluation départementale du lieu de détention et, s'il y a lieu, du futur lieu de domiciliation. Par ailleurs, sous l'égide de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste, se tient tous les mois une réunion d'échanges et de coordination permettant de dresser un tableau exhaustif, notamment des détenus TIS appelés à être libérés. Ces réunions, qui s'accompagnent de communications permanentes entre l'ensemble des services et administrations concernés (services de renseignement, services judiciaires spécialisés, entités administratives et de police du ministère de l'intérieur), permettent de consolider les éléments opérationnels en possession des différents partenaires et de lever les éventuelles ambiguïtés. En amont de ces réunions mensuelles, le SNRP transmet un tableau des détenus sortants ainsi que les notes de signalement susmentionnées. Enfin, le SNRP a mis en place un système d'alertes automatiques en cas de libération de tout détenu TIS. Effectif depuis fin octobre 2019, ce dispositif permet d'alerter les unités déconcentrées du SNRP, les services de renseignement partenaires et les services judiciaires, de la date et de l'heure de la libération de ces personnes. Un courriel d'alerte est automatiquement généré vers les boîtes structurelles des services partenaires compétents et les états-majors des cellules interrégionales. S'agissant enfin du droit de visite des prisons par les élus de la nation, l'article 719 du code de procédure pénale confère aux députés le droit de visiter à tout moment les établissements pénitentiaires. En vertu de ce droit protégé par la loi, le député Jordan Bardella s'est rendu à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis le 23 janvier 2020, afin de prendre connaissance des mesures mises en œuvre par l'administration pénitentiaire à l'égard des détenus radicalisés. Il a été accueilli conformément à la procédure, laquelle est encadrée par la note du directeur de l'administration pénitentiaire en date du 20 janvier 2017, relative à la visite des établissements pénitentiaires par les parlementaires et les journalistes accompagnant des parlementaires. Monsieur Bardella ayant annoncé préalablement sa volonté de découvrir le quartier d'évaluation de la radicalisation de l'établissement, le personnel de l'établissement l'a accompagné dans ce quartier. Sa demande de poursuivre la visite au sein du quartier d'isolement afin de voir le dispositif mis en œuvre pour Salah Abdeslam a été déclinée par la direction de l'établissement. Conformément à la note de la direction de l‘administration pénitentiaire du 20 janvier 2017, relative à la visite des établissements pénitentiaires par les parlementaires et les journalistes accompagnant des parlementaires, ce refus est justifié notamment au vu du trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, de la clôture de l'information judiciaire et de l'échéance prochaine du procès des attentats de novembre 2015. Cette décision n'est donc en rien contraire aux usages républicains. La détention des personnes détenues radicalisées et terroristes fait en effet l'objet d'une transparence totale de la part du ministère de la Justice.
Auteur : M. Bruno Bilde
Type de question : Question écrite
Rubrique : Lieux de privation de liberté
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 4 février 2020
Réponse publiée le 5 octobre 2021