15ème législature

Question N° 26358
de M. Bruno Bilde (Non inscrit - Pas-de-Calais )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > religions et cultes

Titre > Sur la liberté de critiquer les religions

Question publiée au JO le : 04/02/2020 page : 740
Réponse publiée au JO le : 04/05/2021 page : 3936
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

M. Bruno Bilde interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur sa réaction à l'affaire Mila, cette jeune fille menacée de mort pour avoir critiqué l'islam sur ses réseaux sociaux. Mercredi 29 janvier 2020, invitée de la matinale d'Europe 1, Mme la garde des sceaux a déclaré : « L'insulte à la religion, c'est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c'est grave. » Ces propos sont tout simplement ahurissants, graves et choquants. Ces propos sont ahurissants, car ils révèlent l'incompétence manifeste de Mme la garde des sceaux qui méconnaît le droit constitutionnel français et ses principes les plus élémentaires. En effet, le délit de blasphème n'existe pas dans la législation et ce depuis la Révolution française qui a inscrit la liberté d'expression dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Critiquer ou injurier une religion, insulter ses textes, ses symboles et ses figures, n'entre pas du tout dans la catégorie des atteintes à la liberté de conscience. La lycéenne Mila n'a pas empêché quiconque de croire ou de pratiquer un culte, mais elle a formulé son opinion sur une religion ce qui ne tombe pas sous le coup de la loi française. Il est essentiel de rappeler que les croyances sont des opinions qui peuvent être soumises à la critique même si cette dernière est acerbe ou vulgaire. Ces propos sont graves, car ils légitiment et avalisent implicitement les innombrables menaces de mort et les insultes adressées à une jeune fille de 16 ans dont la vie est devenue un enfer en devenant une cible pour tous les islamistes, les communautaristes, les homophobes et les sectaires de France. Par cette prise de position aussi ambiguë qu'invraisemblable, Mme la garde des sceaux, ministre de la République, pourrait demain servir de caution à d'éventuels agresseurs de Mila. En refusant de défendre clairement la seule et unique victime de cette affaire, elle vient de la mettre en danger. Ces propos sont choquants, car les Français ont pu entendre les arguments ignobles et la propagande liberticide de la Ligue islamique mondiale dans la bouche d'un membre du Gouvernement. Ils font écho aux déclarations scandaleuses du délégué général du Conseil français du culte musulman, Abdallah Zekri, qui disait dernièrement au micro de Sud Radio : « Maintenant, elle (Mila) assume les conséquences de ce qu'elle a dit » ajoutant « qui sème le vent récolte la tempête ». Mme la secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, avait très justement qualifié ces déclarations de « criminelles ». Le même Abdallah Zekri qui avait déjà demandé aux « hommes politiques de fermer leur gueule » sur l'islam. Il est choquant que Mme la garde des sceaux vienne ainsi sur le terrain des islamistes qui militent par tous les moyens, de la victimisation à l'intimidation en passant par la violence, pour l'interdiction stricte du blasphème et de toute critique de l'islam, du Coran, de la charia ou du voile islamique. Il faut observer que cette improbable « atteinte à la liberté de conscience » n'a pas été dégainée par Mme la garde des sceaux quand « l'humoriste » Frédéric Fromet chantait le 10 janvier 2020 sur France inter : « Jésus est pédé ». Deux poids, deux mesures. Certaines religions seraient donc moins sacrées que d'autres ? Il lui demande si elle compte retirer ses propos et présenter des excuses à la jeune Mila, ou si elle préfère trahir les valeurs françaises en sacrifiant « Je suis Charlie » au profit de « Je suis Charia ».

Texte de la réponse

Le garde des Sceaux entend rappeler l'attachement indéfectible de la France à la défense de la liberté d'expression, ainsi que l'engagement du ministère de la justice dans la lutte contre toutes les formes de haine. La liberté d'expression ne saurait en effet souffrir d'autres restrictions que celles prévues par la loi. S'agissant de l'affaire particulière évoquée présentement, et qui a été largement relayée par les médias, il est nécessaire de préciser qu'en application de l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013, il n'appartient pas au ministre de la justice de donner quelque instruction que ce soit aux parquets dans le cadre de dossiers individuels, ni d'interférer dans les procédures judiciaires, en raison des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. Il est toutefois possible d'indiquer que le procureur de la République de Vienne a classé sans suite les poursuites à l'encontre de Mila du chef de provocation à la haine. En effet, la jurisprudence française opère une application stricte du délit de provocation publique à la haine ou à la violence prévu par l'article 24, 7° de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de sorte qu'en l'absence de propos incitant à discriminer, à commettre des violences ou incitant à la haine à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes, aucune poursuite ou condamnation pénale n'est possible. En posant cette limite permettant de garantir le débat public, la Cour de cassation s'assure que le droit à la liberté d'expression de chacun est préservé et que le délit de blasphème, supprimé de notre droit pénal, ne soit pas réintroduit dans les faits. L'évolution des modes d'expression des actes et propos haineux, à la faveur notamment du développement de l'internet et des réseaux sociaux a, de manière générale, entraîné une nécessité d'adaptation des dispositifs judiciaires. La lutte contre la haine en ligne constitue ainsi l'un des piliers du plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme pour la période 2018-2020. Son traitement nécessite une centralisation des acteurs, tant judiciaires que policiers, indispensable dans ce contentieux très technique. Le ministère de la justice a d'ailleurs diffusé une circulaire de lutte contre les discriminations, les discours et comportements haineux le 4 avril 2019 pour appeler l'attention des procureurs sur la nécessité d'apporter à ces faits une réponse pénale ferme et empreinte de pédagogie. Par ailleurs, la loi Avia a conféré à la juridiction parisienne une compétence nationale concurrente à celle des autres juridictions pour les délits de harcèlement sexuel ou moral, aggravés par le caractère discriminatoire dès lors qu'ils sont commis par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne, et font l'objet d'une plainte en ligne. Outre ce dispositif, la circulaire du garde des Sceaux du 24 novembre 2020 a institué un pôle national de lutte contre la haine en ligne au tribunal judiciaire de Paris. Ce pôle centralise depuis le 1er janvier 2021 le traitement des affaires significatives de cyber-harcèlement, de haine en ligne, de provocation et d'apologie du terrorisme, selon des critères de saisine tenant à la complexité de la procédure ou au fort trouble à l'ordre public engendré par les faits. La loi du 23 mars 2019 a consacré la plainte en ligne qui nécessite encore des développements techniques préalables. Une équipe dédiée au développement de la plainte en ligne, composée de représentants de la police nationale, de la gendarmerie nationale et du ministère de la justice a été constituée au mois de février 2020. Enfin, le projet de loi confortant les principes de la République, en cours d'examen au Parlement, dans son article 18, crée un délit de mise en danger par diffusion et informations personnelles. Ce délit incrimine plus particiculièrement les propos haineux tenus sur les réseaux sociaux qui, sans constituer des provocations directes d'un crime ou d'un délit poursuivent en réalité les mêmes objectifs.