15ème législature

Question N° 264
de Mme Danièle Obono (La France insoumise - Paris )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > lieux de privation de liberté

Titre > Santé mentale des personnes incarcérées

Question publiée au JO le : 10/04/2018
Réponse publiée au JO le : 18/04/2018 page : 2987

Texte de la question

Mme Danièle Obono interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la considération et la prise en charge de la santé mentale des personnes incarcérées. Il apparaît évident que les problématiques de santé mentale et les politiques carcérales sont intimement liées. Les chiffres sont parlants : 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques, 8 hommes détenus sur 10 présentent au moins un trouble psychiatrique. Vingt-quatre ans après la réforme de la santé en prison, de nombreux dysfonctionnements (parfois très graves) persistent ou se sont intensifiés. À cela s'ajoute l'accroissement continu de la population incarcérée. Elle souhaite donc l'interroger sur les politiques envisagées en matière de santé mentale pour les personnes placées sous main de justice.

Texte de la réponse

SANTÉ MENTALE DES PERSONNES INCARCÉRÉES


M. le président. La parole est à Mme Danièle Obono, pour exposer sa question, n°  264, relative à la santé mentale des personnes incarcérées.

Mme Danièle Obono. Madame la ministre de la justice, vingt-quatre ans après la réforme de la santé en prison, il apparaît que de nombreux dysfonctionnements, parfois très graves, persistent ou se sont intensifiés. À cela s'ajoute l'accroissement continu de la population incarcérée. Si le récent mouvement des personnels de surveillance des prisons a fait connaître au grand public leur situation particulière, elles et ils ne sont pas les seuls à alerter sur la profonde dégradation des conditions de vie en prison, notamment sur la question de la santé.

Je ne vous parle pas là seulement de l'hygiène impossible avec la douche hebdomadaire, des invasions de nuisibles – rats, puces, poux, punaises – ou de la vétusté du bâti, qui a conduit à ce que plusieurs plaintes soient déposées contre la France pour traitement dégradant jusque devant la Cour européenne des droits de l'homme. Je vous parle de la santé physiologique où le ou la surveillante et les antalgiques remplacent des personnels spécialisés croulant sous le nombre de patients et patientes et de pathologies, menant une médecine d'urgence dans des conditions d'exercice insupportables.

Je vous parle de la santé mentale, quasiment absente des programmes de formation des surveillantes et surveillants, jugez-en : six heures sur l'ensemble du cursus ! Les agentes et agents sont démunis alors qu'ils sont en première ligne des accès de démence qui sont autant d'insécurité et cause de tant d'agressions entre détenus et à l'encontre des personnels. Les chiffres sont parlants : 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques, huit hommes détenus sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique.

Je vous parle enfin de l'absence de protocole dans la lutte contre la dite « radicalisation » en milieu carcéral, alors que vous vous apprêtez à ouvrir 1 500 places « étanches » pour ces détenus, alors que les binômes éducateurs-agents de probation intervenant au sein des quartiers d'évaluation de la radicalisation n'ont à ce jour aucune formation psychologique ou clinique et interviennent trop souvent sans concertation avec les équipes médicales.

Je voudrais aujourd'hui porter ici la voix de tous ces personnels qui exercent une mission indispensable de service public, parmi les plus difficiles et les moins gratifiantes. Je veux également réaffirmer la dignité à laquelle chaque citoyenne et chaque citoyen a droit au sein de notre République, y compris lorsqu'elles ou ils sont en détention.

Ma question sera donc simple : que comptez-vous faire concrètement, madame la ministre, pour mettre un terme à la déshérence sanitaire qui règne au sein de nos prisons et répondre à cette question urgente de la santé dans nos établissements carcéraux ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, vous soulevez une question à laquelle j'attache la plus grande importance.

Depuis la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge sanitaire des personnes incarcérées est assurée par le service public hospitalier. Il existe de réels besoins en ce domaine, je m'en aperçois régulièrement lorsque je me rends dans les établissements pénitentiaires. La population accueillie en milieu carcéral cumule en effet des besoins de santé importants liés à ses caractéristiques sociodémographiques et à une prévalence élevée des maladies psychiatriques et des addictions. Des initiatives ont été prises par le ministère de la justice pour soutenir le recueil de données à l'entrée en détention par l'intermédiaire des observatoires régionaux de la santé.

Le ministère de la justice est très investi dans le cadre de la stratégie nationale de santé 2018-2022 pour prendre en considération les besoins des détenus. Plusieurs mesures ont été adoptées au bénéfice des personnes placées sous main de justice. Une enquête de prévalence des différents troubles mentaux doit être réalisée en population générale avec un volet détention afin d'évaluer notamment le nombre de personnes présentant des troubles de santé mentale à leur entrée en détention, de généraliser le recueil de ces données au niveau régional par l'intermédiaire des observatoires régionaux de la santé.

Avec ma collègue Agnès Buzyn nous allons également déployer des modalités supplémentaires de prise en charge des détenus présentant une fragilité psychologique.

Nous souhaitons également renforcer la continuité de la prise en charge à la sortie par trois mesures : le renforcement du lien avec les secteurs de psychiatrie et la médecine de ville, en particulier en lien avec les centres médico-psychologiques ; le développement du recours aux aménagements de peine pour raison médicale, aujourd'hui sous-utilisés. La direction de l'administration pénitentiaire a piloté l'élaboration d'un guide méthodologique à destination des professionnels relatif aux aménagements de peine et à la mise en liberté pour raison médicale, élaboré avec la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi que le ministère des solidarités et de la santé.

Nous souhaitons enfin développer l'accès à l'hébergement et au logement des personnes atteintes d'une pathologie mentale, par une meilleure coordination avec les acteurs du logement, les services intégrés d'accueil et d'orientation, les directions départementales de la cohésion sociale, les partenaires associatifs, qui nous appuient dans l'élaboration de ce dispositif.

Votre commission des lois a examiné cette question et je remercie tout particulièrement le député Stéphane Mazars pour la qualité des travaux qui ont été menés dans ce cadre. Je suis sûre que nous aurons un débat à ce sujet lors de l'examen du projet de loi de programmation pour la justice.