M. Jean-Paul Mira sur des tests de vaccin contre le covid-19 en Afrique
Question de :
M. Vincent Ledoux
Nord (10e circonscription) - UDI, Agir et Indépendants
M. Vincent Ledoux alerte Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur les propos tenus par MM. Jean-Paul Mira et Camille Locht, respectivement chef de service au CHU Paris Centre - Hôpital Cochin et directeur de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), qui ont suggéré le mercredi 2 avril 2020 sur la chaîne de télévision LCI de réaliser des tests de vaccins contre le coronavirus en Afrique. Invoquant d'emblée un questionnement « provocateur », Jean-Paul Mira suggère à son confrère, qui approuve, de faire des essais sur le continent africain : « Si je peux être provocateur, est-ce qu'on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n'y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ? Un peu comme c'est fait d'ailleurs pour certaines études sur le sida. Chez les prostituées, on essaye des choses parce qu'on sait qu'elles sont hautement exposées et qu'elles ne se protègent pas ». « Vous avez raison, on est d'ailleurs en train de réfléchir à une étude en parallèle en Afrique », lui répond alors Camille Locht. Cet échange a déclenché l'indignation et la colère des Africains et de tous les humanistes. Certes, l'Inserm s'est expliquée en affirmant qu'une « vidéo tronquée faisait l'objet d'interprétations erronées sur les réseaux sociaux ». Rappelant que les tests seraient lancés dans plusieurs pays européens et en Australie, l'institut indique sur Twitter que « l'Afrique ne doit pas être oubliée ni exclue des recherches, car la pandémie est globale ». L'Inserm étant un organisme public de recherche français, il lui demande de bien vouloir faire toute la clarté sur cette affaire qui altère gravement la qualité des relations de la France à l'Afrique, à ses États mais aussi à leurs populations parmi lesquelles la défiance vis-à-vis des pays occidentaux gagne du terrain, attisée par des discours populistes et démagogiques. Par ailleurs, au-delà d'une explication de faits, il lui demande de bien vouloir dénoncer ces propos avec la plus ferme autorité et de prendre toute mesure visant à les sanctionner.
Réponse publiée le 29 décembre 2020
Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ont bien identifié cette polémique, de sorte que dès le mois d'avril 2020 des éléments d'explication ont été fournis aux médias et au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Ces éléments sont annexés à la présente réponse pour une complète information. Ces éléments présentent les collaborations entre les établissements français de recherche et les pays africains. Ils rappellent que ces collaborations relèvent de partenariats fondés sur la volonté commune d'œuvrer contre la pandémie de Covid19 et de renforcer la santé publique des populations, au niveau mondial et en particulier dans les États concernés par ces partenariats. Ces projets ont essentiellement été montés sur la base d'une sollicitation de la Société africaine de pathologie infectieuse (SAPI). Il s'agit d'ailleurs de projets de moyen-long terme, n'incluant aucun essai clinique, et donc a fortiori pas le projet ici discuté, à savoir une potentielle extension d'un essai clinique conduit par le Professeur Camille LOCHT sur l'effet d'un rappel au BCG dans la lutte contre la Covid-19. Ces éléments rappellent également les principes éthiques et règles internationales et françaises encadrant strictement la mise en œuvre d'essais cliniques, y compris ceux spécifiques dans le cadre de la crise sanitaire liée à la Covid19. Les projets de l'INSERM sont scrupuleusement soumis à ces règles avec une vigilance qui n'a pas fait défaut dans le cas considéré, et qui excluent absolument les dérives craintes à l'occasion de cette polémique. Ces éléments répondent enfin spécifiquement aux propos tenus au cours de cet entretien télévisé, et aux interprétations qui s'en sont suivies, en rappelant les conditions de cet entretien et la réalité des travaux menés par les chercheurs en question. Il convient ici d'ajouter que depuis le mois d'avril la France a mobilisé 1,2 Md€ pour lutter contre la propagation du SARS-Cov-2 dans les pays les plus vulnérables, dont la plupart sont en Afrique. La France a notamment accru ses contributions à différentes organisations luttant contre la pandémie : l'ONU, ses agences spécialisées et les programmes dédiés à la lutte contre la Covid19 (OMS, programme mondial pour l'alimentation…). La France est intervenue dans les forums multilatéraux en faveur du soutien à la lutte contre la Covid19 dans les pays africains (G7, G20, Union européenne). D'ailleurs la France était à l'origine de l'initiative internationale pour lutter contre l'impact de la Covid19 en Afrique lancée le 15 avril 2020 par 18 chefs d'Etats et de gouvernement africains et européens, dont le Président de la République Emmanuel MACRON. Cette initiative reposait sur quatre piliers dont l'un est le soutien à la recherche africaine. Ce pilier consiste essentiellement à allouer davantage de ressources aux institutions de recherche africaines et à renforcer les partenariats locaux, en particulier ceux du réseau des Instituts Pasteur, de l'IRD, de l'ANRS ainsi que de l'INSERM, du CNRS et des universités. Ces projets visent à comprendre les vecteurs épidémiques (zoonoses), à favoriser le développement de tests diagnostic, de traitements et de vaccins sûrs, équitables et accessibles universellement, mais aussi à analyser les phénomènes sociaux liés à la pandémie de manière à favoriser l'expertise et le conseil aux décideurs publics de ces pays. Annexe : essais cliniques en Afrique dans le cadre de la COVID-19 (INSERM, avril 2020) 1. Collaborations avec les pays africains dans le cadre de la lutte contre la COVID-19 Les collaborations de recherche et de renforcement de capacité en santé, notamment dans le cadre de la lutte contre COVID-19, entre les membres de l'Alliance AVIESAN et les partenaires africains émanent d'une volonté commune de ces partenaires et impliquent directement les gouvernements des pays africains concernés. Selon les informations disponibles, les collaborations actuelles entre les chercheurs français dans le cadre du consortium REACTing et les pays africains dans le cadre de COVID portent sur un projet de renforcement de capacité des systèmes de santé d'Afrique de l'Ouest appelé APHROCOV permettant d'assurer un diagnostic précoce et une prise en charge sécurisée des cas de COVID-19 dans 5 pays d'Afrique francophone : le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Gabon et le Sénégal [1]. La Société Africaine de Pathologie Infectieuse (SAPI) s'est mobilisée en sollicitant l'Inserm pour la mise en place du projet financé par l'Agence Française pour le Développement (AFD) et coordonné par REACTing et le programme PAC-CI. APHRO-Cov bénéficie d'un budget d'1,5 millions d'Euros financés par l'AFD pour une période d'un an de mars 2020 à mars 2021. Ce projet n'inclut aucun essai clinique et n'a aucun lien avec une potentielle extension d'un essai clinique conduit par le Professeur Camille Locht sur l'effet d'un rappel avec le vaccin BCG dans la lutte contre le COVID-19. 2. Principes éthiques pour les essais cliniques Règles générales applicables aux essais cliniques [2] Les textes clés de droit international en termes d'essais cliniques sont les suivants : - 1947 : le Tribunal international de Nuremberg a défini un code fait de dix règles (« Code de Nuremberg ») qui « reconnaît » que l'expérimentation sur l'homme « pour le bien de la société » est admissible et stipule que « le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel » (Article 1) et doit être préalable. - 1949 : le Code international d'éthique médicale, et en 1964, la Déclaration d'Helsinki dont l'objectif était de définir les bases de l'éthique dans la recherche biomédicale et de constituer un guide pour les médecins et chercheurs qui y participaient. Des précisions ont été apportées concernant la protection des individus, notamment celle des individus vulnérables. - Les textes de référence : les lignes directrices pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains en 1993 (UNESCO, révision en 2002) ; la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine du Conseil de l'Europe en 1997 ; les lignes directrices de l'OMS sur les comités d'éthique instaurées en 2000, puis les directives européennes en 2001 et 2004. Règles applicables dans le cadre de COVID A l'issue d'une rencontre de deux jours au Global Research and Innovation Forum, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en collaboration avec GLOPID-R [3], a établi en mars 2020 une feuille de route sur la R&D COVID, dans un esprit de lutte globale et coordonnée, utilisant comme cadre la stratégie R&D Blueprint établie lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest. La rencontre intégrait des scientifiques, des représentants des États membres, des professionnels de santé publique, des financeurs et des représentants du secteur privé dans l'objectif d'accélérer le développement d'innovations pour contrôler l'épidémie. Cette rencontre, et la feuille de route qui en est issue, ont inclus la définition de principes éthiques applicables à l'ensemble des recherches conduisant à des directives sur les aspects éthiques dans le cadre de COVID [4]. Essais cliniques en Afrique à date A ce jour, aucun essai clinique en lien avec les institutions françaises n'est en place. La France, à travers le consortium REACTing [5], coordonne l'essai clinique DisCoVery [6] soutenu par la Commission européenne et financé pour sa partie française par le Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation ainsi que le Ministère des Solidarités et de la Santé. Le consortium n'inclut que des pays européens (à ce stade, le Royaume-Uni, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Espagne). Cet essai clinique est une extension (essai « fille ») de l'essai clinique international de l'OMS baptisé Solidarity (essai « mère »). Dans des communiqués de presse datant du 18 et 20 mars 2020, l'OMS indique que l'Afrique du Sud a déclaré son intérêt à participer à l'essai clinique Solidarity aux côtés de l'Argentine, du Bahrein, du Canada, de l'Espagne, de la France, de l'Iran, de la Norvège, de la Suisse, et de la Thaïlande. L'ensemble des essais cliniques en cours est listé sur le site https://www.ukcdr.org.uk/funding-landscape/covid-19-research-project-tracker/. En perspective, des collaborations sur des essais cliniques pourraient être mises en place à la demande des pays africains. Ainsi, l'appel à projets européens European & Developing Countries Clinical Trials Partnership (EDCTP) [7] ouvert le vendredi 3 avril et se clôturant le 17 avril pourrait donner lieu à des projets déposés par des consortia de partenaires européens et africains. 3. Eléments de réponse sur la séquence LCI 1/Ce qui est faux : Il n'y avait aucune volonté de tenir des propos colonialistes, ou moralisateur ou racistes de la part de Camille Locht malgré ce que la séquence filmée sur LCI et les nombreux commentaires publiés depuis laissent sous entendre. Ce qui est vrai : Sur la forme, les propos du médecin réanimateur Jean Paul Mira étaient provocateurs et malheureusement les conditions de l'interview (en duplex lié au confinement) n'ont pas permis à notre chercheur Camille Locht d'être suffisamment vigilant pour contredire son interlocuteur. A ce moment précis, le chercheur de l'Inserm déroule le fil de sa pensée concernant l'intérêt du BCG contre le COVID19 et discute les essais qui se mettent en place dans différents pays Européens, ainsi qu'en Australie. Il affirme ensuite qu'il peut être intéressant de travailler avec des partenaires africains s'agissant du déploiement d'un essai clinique. Le seul but de son intervention était de confirmer que l'épidémie a une ampleur mondiale et que tous les pays doivent pouvoir bénéficier des fruits de la recherche, voire pouvoir y participer. 2/Ce qui est faux : Le BGC dont il est question dans l'échange n'est pas un nouveau vaccin que l'on voudrait tester sur des "cobayes africains". Ce qui est vrai : Il s'agit d'un vaccin universellement recommandé par l'OMS contre la tuberculose. Plus de 3 milliards de personnes ont été vaccinées. A ce jour, plus de 80% de la population Africaine est vaccinée à la naissance. Le design tel que proposé dans l'essai clinique dont parlait Camille Locht est de miser sur le fait qu'une dose de rappel pourrait booster son efficacité vers d'autres pathologies type le COVID19. Aucun essai clinique impliquant l'Inserm n'a démarré sur ce sujet en Afrique. Si un tel essai devait voir le jour, il respecterait l'ensemble des pratiques déontologiques et éthiques liées aux essais cliniques et à la recherche scientifique de manière générale. Il serait également mené en partenariat et sur demande des autorités des pays concernés. 3/ Ce qui est faux : Le projet Aphro-Cov n'a rien à voir avec les projets de recherches sur le BCG. Ce qui est vrai : Il s'agit d'un dispositif visant à améliorer la veille sanitaire et la prise en charge des cas suspects dans 5 pays d'Afrique, en collaboration avec les laboratoires hospitaliers, les CHU et les Instituts nationaux de santé publique locaux. [1] https://www.afd.fr/fr/actualites/clarification-sur-le-projet-aphro-cov-en-lien-avec-linserm [2]http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/6243/MS_2007_8-9_777.html?sequence=7#R13 [3] Global Research Collaboration for Infectious Disease Preparedness and Response (GloPID-R) est le réseau des organisations finançant la recherche pour la préparation et la réponse aux épidémies émergentes de maladies infectieuses. GLOPIDR inclut 27 membres. La Fondation Mérieux en assure le secrétariat. Yazdan Yazdanpanah, Directeur de l'Institut thématique multi-organismes Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie (I3M) et coordinateur de REACTing, en est le Directeur. Parmi les 6 objectifs, établir un programme stratégique pour la réponse en termes de recherche ; répondre aux défis scientifiques, légaux, éthiques et financiers ; mettre en contact les réseaux de recherche en maladies infectieuses ; impliquer les pays en développement. https://www.glopid-r.org/ [4] Ethical standards for research during public health emergencies : Distilling existing guidance to support COVID-19 R&D - https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/331507/WHO-RFH-20.1-eng.pdf?ua=1 [5] Le consortium multidisciplinaire et multi-institutionnel REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases) coordonné par l'Inserm et mis en place en juin 2013 permet d'apporter une réponse « recherche » aux crises sanitaires mondiales : https://reacting.inserm.fr/ [6] https://presse.inserm.fr/lancement-dun-essai-clinique-europeen-contre-le-covid-19/38737/ [7] http://www.edctp.org/call/mobilisation-of-funding-for-covid-19-research-in-sub-saharan-africa/
Auteur : M. Vincent Ledoux
Type de question : Question écrite
Rubrique : Recherche et innovation
Ministère interrogé : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Ministère répondant : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Dates :
Question publiée le 14 avril 2020
Réponse publiée le 29 décembre 2020