15ème législature

Question N° 2955
de M. Thierry Benoit (UDI, Agir et Indépendants - Ille-et-Vilaine )
Question au gouvernement
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > crimes, délits et contraventions

Titre > Responsabilité pénale des employeurs et des élus dans le cadre du déconfinement

Question publiée au JO le : 06/05/2020
Réponse publiée au JO le : 06/05/2020 page : 3031

Texte de la question

Texte de la réponse

RESPONSABILITÉ PÉNALE DES EMPLOYEURS ET DES ÉLUS DANS LE CADRE DU DÉCONFINEMENT


M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Madame la garde des sceaux, alors que le déconfinement se dessine, chacun de nous doit être pleinement mobilisé pour relancer la France. Il s'agit de remettre notre pays en état de marche et plus que jamais, dans un contexte aussi particulier, nous avons besoin de souplesse et de pragmatisme, en un mot : de bon sens.

La vie économique doit reprendre, mais elle a pour cela besoin de confiance et non d'une suspicion généralisée. Aussi, il est indispensable et nécessaire de veiller à faire respecter les règles sanitaires et les gestes barrières ; mais la possibilité d'intenter des actions en justice pendant l'urgence sanitaire pose question. La notion de faute non intentionnelle doit être prise en compte.

Madame la garde des sceaux, de nombreux acteurs ayant des responsabilités – chefs d'entreprise, chefs d'établissement scolaire, artisans, commerçants, maires, présidents de département, présidents de région – formulent aujourd'hui une crainte : celle d'engager leur responsabilité civile et pénale en raison d'un virus que non seulement ils n'ont pas choisi, mais contre lequel ils luttent de toutes leurs forces.

Il est aujourd'hui urgent de sécuriser la relance économique et de limiter l'incertitude juridique. La directive européenne du 12 juin 1989 précise, en son article 5, que les États membres peuvent prévoir l'exclusion ou la diminution de la responsabilité des employeurs dans des circonstances exceptionnelles.

Madame la garde des sceaux, quelles dispositions le Gouvernement entend-il activer pour répondre à la question de la sécurité juridique ? Je crois que les personnes ayant des responsabilités, entrepreneurs aussi bien qu'élus, ont besoin aujourd'hui de la réponse la plus précise possible de la part du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement partage bien entendu votre approche : il est essentiel, comme vous l'avez souligné, que nous puissions pleinement mobiliser l'ensemble de nos ressources, c'est-à-dire également celles de nos décideurs, qu'ils soient chefs d'entreprise, responsables associatifs ou élus. Tous ces acteurs doivent participer au déconfinement – une phase assez singulière qui suppose beaucoup d'énergie partagée – avec le plus de sérénité juridique possible.

Je tiens toutefois à souligner que quels que soient les textes, nous n'empêcherons jamais – et d'une certaine manière, c'est heureux, car c'est le principe de la démocratie – que des procédures soient déclenchées. C'est une autre chose que de savoir si elles peuvent aboutir.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure, en réponse à M. Cubertafon – je ne reprends pas mon raisonnement –, la responsabilité pénale est assez stricte et complexe à engager, pour les raisons que j'ai indiquées. Les règles du code pénal ne permettent pas de mettre en jeu aisément la responsabilité. J'ai souligné toutefois que nous étions disposés à travailler sur cette question.

Vous évoquez également la responsabilité civile du chef d'entreprise vis-à-vis de ses salariés. Là encore, j'avais eu l'occasion de répondre à une question similaire, ici même je crois, en disant que depuis la jurisprudence dite Air France de 2015, les choses étaient stabilisées du point de vue du droit. Cela a été réaffirmé par l'assemblée plénière de la Cour de cassation en 2019 : il est jugé désormais de manière constante que l'employeur qui a pris les mesures de prévention nécessaires respecte ses obligations légales et peut donc s'exonérer de sa responsabilité civile.

Vous évoquez aussi la directive de 1989 relative à l'amélioration de la santé des travailleurs, qui permet à l'employeur de voir sa responsabilité limitée pour des faits dus à des causes qui lui sont étrangères ou en cas de circonstances exceptionnelles. Cette directive permet une exonération, mais elle ne l'impose pas ; il me semble qu'il vaut mieux donc s'en tenir à la jurisprudence Air France dont je parlais tout à l'heure. Au fond, il n'y a pas de suspicion généralisée de ce point de vue, mais nous sommes prêts, je l'ai dit, à accompagner tout débat qui apparaîtrait nécessaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)