15ème législature

Question N° 30843
de M. Loïc Prud'homme (La France insoumise - Gironde )
Question écrite
Ministère interrogé > Solidarités et santé
Ministère attributaire > Solidarités et santé

Rubrique > santé

Titre > Anses - cahier des charge étude glyphosate

Question publiée au JO le : 30/06/2020 page : 4546
Réponse publiée au JO le : 27/10/2020 page : 7520
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

M. Loïc Prud'homme alerte M. le ministre des solidarités et de la santé sur la manière dont l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a appliqué la saisine interministérielle pour l'évaluation du caractère cancérogène pour l'homme du glyphosate. Le 30 avril 2020, l'Anses a choisi un consortium de 7 laboratoires coordonné par le chef de service génotoxicologie de l'IPL (Institut Pasteur de Lille) afin que soit enfin éclaircie scientifiquement la question controversée de la cancérogénicité du glyphosate. La procédure qui a abouti à ce choix soulève de nombreuses questions au regard des exigences légitimes d'indépendance et de neutralité dont l'Anses devrait faire preuve. Pour rappel, en mars 2018, les ministres chargés de l'environnement, de la santé et de l'agriculture saisissaient l'Anses pour la réalisation d'études sur le potentiel cancérogène du glyphosate afin de clarifier diverses positions scientifiques divergentes entre certaines Agences réglementaires et le Centre international de recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la santé (CIRC). Suite à cette saisine, l'Anses publiait, plus d'un an plus tard, le 22 juillet 2019, le cahier des charges pour ces études. Les modalités de rédaction de ce cahier des charges et le choix du consortium qui en a découlé soulèvent les questions suivantes : 1- L'Anses a décidé de réunir un groupe d'expertise collective d'urgence (GECU) de cinq experts pour établir le cahier des charges de l'étude, plutôt qu'un groupe de travail (GT) d'un vingtaine de membres. Pourtant, les GECU sont dédiés aux situations d'urgence, ce qui ne semble pas être le cas vu le peu de célérité de la procédure. En effet, l'Anses, dans son communiqué du 19 juin 2020, a reconnu que bien que le GECU ait rendu son travail en décembre 2018, elle avait tardé à émettre son avis (mars 2019) pour ne le publier que le 22 juillet 2019. Par ailleurs, ce GECU était présidé par le chef de service génotoxicologie de l'IPL qui a ensuite déposé un dossier de candidature en tant que coordinateur d'un consortium, consortium impliquant par ailleurs deux autres rédacteurs de ce cahier des charges. 2- Le plus signifiant du caractère discutable de cet appel à candidatures se trouve dans la nature des analyses demandées dans ce cahier des charges : le type d'analyse ou d'accréditation demandé était tellement restrictif que seul un laboratoire pouvait y répondre, sans que cela ne soit exigé par les usages et normes en vigueur dans l'UE. En effet le cahier des charges stipule que les études de génotoxicité doivent être réalisées dans un laboratoire agréé aux bonnes pratiques de laboratoire (BPL), alors que les autres types d'études n'ont pas cette obligation, sans justification ni exigences de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA, cf. « Guidance on the Application of the CLP Criteria Guidance to Regulation (EC) No 1272/2008 on classification, labelling and packaging (CLP) of substances and mixtures Version 5.0 July 2017 ») ; une lignée cellulaire particulière exigée (TK6) est un outil expérimental privilégié de l'IPL ; le test de tumorigénicité cellulaire a été développé et est uniquement utilisé à l'Arpea (Agence pour l'environnement, la prévention et l'énergie d'Emilie Romagne - Italie) membre du consortium lauréat, dont la directrice est rédactrice du cahier des charges ; les méthodes d'analyses de cassures à l'ADN in vitro sont référencées par deux publications du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), membre du consortium financé, dont une autrice est rédactrice du cahier des charges ; une lignée cellulaire exigée est propriété de l'institut NuMeCan (Nutrition, métabolisme, cancer), membre du consortium lauréat. Ces éléments relèvent d'une situation de favoritisme programmé. 3- Cela va en contradiction avec l'impératif de mobilisation des laboratoires publics académiques annoncée par l'Anses du 19 juin 2020. D'ailleurs, le consortium retenu comporte plusieurs laboratoires qui ne sont ni académiques ni publics, tel l'Institut Pasteur de Lille (fondation privée) ou encore l'Arpea. Cette demande spécifique d'étude de génotoxicité réalisée par un laboratoire agréé BPL a concouru à favoriser le consortium coordonné par le chef de service génotoxicologie de l'IPL, de l'aveu de l'Anses elle-même. Enfin le cahier des charges a été validé en février 2019 par le Conseil d'expertise scientifique « Produits phytopharmaceutiques : substances et préparations chimiques » dont le rédacteur du cahier des charge, chef de service génotoxicologie de l'IPL, fait partie. Les éléments sont nombreux pour laisser penser que ce cahier des charges a été rédigé de manière à ce qu'un seul consortium puisse y répondre. Ce consortium bénéficiera d'environ 1,2 million d'euros pour réaliser ces études, hors de la passation d'un marché public. Il lui demande donc quelles mesures seront prises sans délai pour faire la lumière sur ces pratiques opaques de l'Anses et précisément quels éléments peuvent expliquer cette rédaction d'un cahier des charges hors de toutes exigences scientifiques, contredisant pour partie la saisine du Gouvernement et pour partie les exigences des standards de l'ECHA ? Il lui demande également quelle procédure a été mise en œuvre pour sélectionner le consortium choisi, si elle a impliqué la participation de rapporteurs académiques externes à l'Anses et, si oui, comment ils ont été choisis.

Texte de la réponse

Outre le plan d'action engagé par le Gouvernement pour la sortie du glyphosate, les ministères chargés de l'écologie, de l'agriculture et de la santé ont saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) en mars 2018 afin que des études toxicologiques pour améliorer les connaissances sur la cancérogénicité de cette substance soient menées. Cette démarche répond aux incertitudes qui persistent suite aux conclusions divergentes de différentes instances internationales sur ce point. Dans le cadre du processus de désignation lancé en août 2018 pour la réalisation des études, l'Anses a retenu deux équipes, dont un consortium coordonné par l'Institut Pasteur de Lille (IPL). Suite aux critiques dont a fait l'objet cette sélection, l'Anses a annoncé le 23 juillet dernier le retrait du consortium mené par l'IPL. Sollicitée sur le processus ayant conduit à la désignation de l'IPL, l'Anses apporte différents éléments de clarification. Il convient ainsi de rappeler que l'enjeu lié à cet appel à candidature était de disposer de données nouvelles à verser au dossier de réexamen de la substance glyphosate au niveau européen pouvant donc être confrontées aux données produites par les industriels. Le règlement des produits phytosanitaires (UE 283/2013) exige ainsi que les tests de génotoxicité in vivo (réalisés sur un modèle animal), qui sont des tests réglementaires bénéficiant de lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), doivent être conduits selon les principes des bonnes pratiques de laboratoire, justifiant la mention de ce critère dans le cahier des charges. Par ailleurs, la lignée cellulaire TK6 mentionnée est quant à elle utilisée dans les tests de génotoxicité in vitro conformément aux lignes directrices de l'OCDE ainsi que par le National Toxicology Program américain pour la réalisation de ses études complémentaires sur le glyphosate. Cette lignée était également proposée par le consortium concurrent de l'IPL. Enfin, le test de tumorigénicité, le CTA (essai de transformation cellulaire), est une méthode alternative aux tests sur animaux pour la détection du potentiel cancérigène utilisée depuis plus de 40 ans et fait l'objet d'une ligne directrice de l'OCDE (OECD 2017). Il figure parmi les méthodes acceptées pour l'évaluation des propriétés toxicologiques des produits chimiques dans le cadre du règlement REACH (UE, 2008). En 2007, l'Organisation de coopération et développement économique a proposé d'utiliser le CTA comme deuxième niveau de dépistage et comme test de dépistage de choix pour les cancérigènes non génotoxiques, qui ne sont pas détectés dans les essais de mutagénicité standard (OCDE, 2007). Ce test a fait l'objet de recommandations par de nombreux autres organismes notamment le Centre international de recherche sur le cancer, le National Cancer Institute, l'Environmental Protection Agency… Il est également pertinent de préciser que si les termes « d'appel d'offre » ou de « cahier des charges » ont été utilisés par commodité par l'Anses, le processus de consultation original mis en œuvre pour sélectionner des équipes ne relève pas du cadre des marchés publics. Le processus visait en effet à désigner les futurs signataires d'une convention de recherche et développement, un mode de conventionnement pour la réalisation de travaux de recherche couramment pratiqué par l'Anses pour soutenir la production de connaissances sur des sujets d'intérêt en termes d'évaluation des risques sanitaires. Ces conventions sont proposées et signées avec les équipes scientifiques identifiées, sans mise en concurrence. Du fait de la sensibilité du sujet glyphosate, l'Anses a préféré opter pour un appel à candidatures avec publicité internationale autour du processus, plutôt que de procéder à l'identification d'équipes scientifiques d'intérêt puis signatures de conventions de gré à gré. Malgré le retrait du consortium coordonné par l'IPL, le Gouvernement reste néanmoins déterminé à ce que les études qui permettront de faire progresser les connaissances sur les propriétés toxicologiques du glyphosate soient réalisées. Aussi, de nouvelles modalités de mise en œuvre de ces études sont en cours de réflexion.