15ème législature

Question N° 30980
de Mme Sabine Rubin (La France insoumise - Seine-Saint-Denis )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > ordre public

Titre > Dégénérescence du maintien de l'ordre en France

Question publiée au JO le : 07/07/2020 page : 4679
Réponse publiée au JO le : 16/02/2021 page : 1456
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

Mme Sabine Rubin appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les interventions policières à Paris et Nantes le 21 juin 2020. Depuis plusieurs années, la doctrine du « maintien de l'ordre » en France semble avoir délaissé le contrôle à distance des foules pour se recentrer sur la répression individuelle des personnes présentes dans l'espace public. Cela s'est d'abord observé lors des manifestations, avec l'emploi systématique d'armes comme les LBD et les mortiers, qui ont éborgné plusieurs dizaines de personnes durant ce seul quinquennat selon le décompte du journaliste David Dufresne. Depuis, cette doctrine s'étend à tous les rassemblements : il y a un an, lors de la fête de la musique, une charge policière a précipité Steve Maia Caniço dans la Loire, où il s'est noyé. Il est inquiétant de voir se reproduire des scènes similaires, à la même date, dans une période où le sujet des violences policières retient légitimement l'attention de tous. S'il fallait maintenir la distanciation sociale, alors il convenait d'interdire les rassemblements festifs du 21 juin 2020 ; le régime d'autorisations préalables qui s'applique aux manifestations jusqu'au 30 octobre 2020 montre que le Gouvernement n'écarte pas cette possibilité. Si, en revanche, M. le ministre comptait laisser se dérouler les festivités, alors la sécurité du public n'aurait pas dû être assurée par des centaines de policiers équipés pour la répression des émeutes, au risque de rappeler les débordements tragiques de l'année précédente, de pousser la foule à la faute et de discréditer encore davantage la police et l'État. Dès lors, avant qu'un autre drame se produise, elle lui demande quelles modifications il entend apporter à sa doctrine de « maintien de l'ordre ».

Texte de la réponse

Le maintien de l'ordre a profondément évolué ces dernières années sous l'effet de plusieurs phénomènes. De nouvelles formes de mobilisation sont observées depuis plusieurs années, ainsi qu'une radicalisation croissante des mouvements de contestation. Ce retour de la radicalité se conjugue avec des mobilisations caractérisées par leur imprévisibilité, l'absence fréquente de déclaration ou de service d'ordre et un refus de l'exercice codifié des manifestations tel qu'il a pu exister dans le passé. Ces évolutions mettent gravement en cause la liberté de manifester et la capacité de la garantir. Une rénovation des principes du maintien de l'ordre était nécessaire pour répondre à ce nouveau contexte. Après de premiers ajustements apportés aux techniques de maintien de l'ordre, une révision en profondeur de la doctrine a été engagée. Ce travail, qui a associé l'ensemble des services concernés du ministère et des personnalités extérieures, a abouti à l'élaboration d'un nouveau schéma national du maintien de l'ordre (SNMO), présenté par le ministre de l'intérieur le 11 septembre 2020. Plusieurs de ses mesures sont immédiatement applicables. D'autres seront mises en œuvre progressivement. Parallèlement, l'arsenal juridique a été renforcé, avec le décret du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique et la loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations. Le nouveau SNMO, commun aux différentes forces et accessible au public, développe une doctrine protectrice pour les manifestants et ferme avec les auteurs de violences. Il s'agit en effet de concilier deux objectifs prioritaires : permettre à chacun de s'exprimer librement dans les formes prévues par la loi et empêcher tout acte violent contre les personnes et les biens à l'occasion des manifestations. Il réaffirme la priorité à l'intervention face aux auteurs de violences (plus grande mobilité des forces) mais renforce également les conditions de la légitimité de l'action de l'Etat et les garanties du libre exercice du droit de manifester en dynamisant et modernisant les actions de communication et de prévention des tensions. Cette nouvelle doctrine porte en particulier les évolutions suivantes : - le développement de l'information des organisateurs et des manifestants ; - la reconnaissance de la place particulière des journalistes au sein des manifestations ; - une plus grande transparence dans l'action des forces de l'ordre ; - une modernisation des sommations ; - des moyens de dialogue avec le public renouvelés, y compris en s'appuyant sur les réseaux sociaux ; - un cadrage des techniques d'encerclement ; - une intégration plus formelle du dispositif judiciaire, sous l'autorité du Parquet ; - la confirmation de l'intérêt de l'emploi des moyens et armes de force intermédiaire, tout en adaptant leur emploi. Ce nouveau schéma doit donc aussi permettre de diminuer le nombre de blessés au cours des manifestations, afin de répondre à une attente légitime de nos concitoyens. Cette exigence ne doit toutefois pas conduire à mettre en danger les forces de l'ordre en réduisant leurs capacités d'action sur le terrain, mais à revoir certains matériels ou leurs conditions d'emploi. La nouvelle doctrine pérennise ainsi l'abandon des grenades lacrymogènes instantanées modèle F4 (à caractère explosif en raison de leur teneur en tolite), remplacées par la GM2L (la composition explosive que l'on trouvait dans la GLI F4 est dans cette munition remplacée par une simple composition pyrotechnique).Hors cas de légitime défense, un superviseur sera placé auprès de tout tireur équipé d'un lanceur de balles de défense au sein d'une unité constituée engagée au maintien de l'ordre. Un travail continu de recherche de solutions moins vulnérantes pour les armes utilisées au maintien de l'ordre est également engagé. Enfin, un référent chargé de l'appui aux victimes (qui n'ont pas pris part aux affrontements avec les forces de l'ordre et cherchent à obtenir réparation pour les dommages subis) sera mis en place auprès de chaque préfet. Il doit également être rappelé que l'action des forces de l'ordre relève d'un cadre légal républicain, fixé pour l'essentiel par le législateur, celui du code de procédure pénale et du code de la sécurité intérieure. La France étant un Etat de droit, les forces de l'ordre font naturellement l'objet de contrôles, internes, juridictionnels, nationaux et européens. Lorsque des incidents surviennent, lorsque l'usage légitime des armes ou de la contrainte est mis en doute, a fortiori lorsque des drames sont à déplorer, ils font systématiquement l'objet d'enquêtes administratives ou judiciaires. Le ministre de l'intérieur a eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises : l'exigence de professionnalisme et d'exemplarité qui s'impose à chaque instant à tout policier et gendarme est particulièrement importante dans le contexte du maintien de l'ordre. Si la légitimité intrinsèque de l'Etat et son autorité doivent toujours prévaloir, il n'en est pas moins essentiel que l'action des représentants de la force publique soit reconnue et comprise par nos concitoyens. Il en va du lien de confiance entre la police et la population, qui est un enjeu de démocratie mais aussi d'efficacité.