Indépendance de l'autorité judiciare
Question de :
M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise
Question posée en séance, et publiée le 25 juin 2020
INDÉPENDANCE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE
M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis. Madame la ministre de la justice, lors des auditions de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire, que je préside, il nous a été indiqué que les remontées d'informations se justifiaient, notamment dans les affaires individuelles sensibles, par la nécessité pour la garde des sceaux de répondre de la politique pénale devant la représentation nationale. C'est ce que nous allons voir dans un instant !
Les faits sont particulièrement troublants, d'aucuns pourraient parler d'affaire d'État. Le 30 juin dernier, Éliane Houlette, procureure nationale financière, est partie à la retraite. Le 1er juillet, Muriel Fusina a été désignée par la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault, pour assurer l'intérim de Mme Houlette, contre l'avis de cette dernière. La même Mme Champrenault est mise en cause pour les pressions hiérarchiques qu'elle a exercées sur Mme Houlette dans l'affaire Fillon.
M. Fabien Di Filippo. Il défend les innocents, lui !
M. Ugo Bernalicis. Le même 1er juillet, Emmanuel Macron a joint au dossier MSC une lettre écrite de sa main, visant à disculper Alexis Kohler des chefs d'accusation dont il faisait l'objet.
M. Thibault Bazin. Quel scandale !
M. Fabien Di Filippo. On n'en peut plus de ces magouilles !
M. Ugo Bernalicis. Le 18 juillet, le procès-verbal de synthèse des policiers a été modifié en conséquence, et le 21 août, alors que l'intérim au parquet national financier se poursuivait, un classement sans suite a été prononcé,…
M. Thibault Bazin. Quel scandale !
M. Ugo Bernalicis. …alors qu'il n'y avait pas d'urgence dans cette affaire et que le nouveau procureur n'avait pas été nommé.
Madame la garde des sceaux, étiez-vous au courant de cela grâce à la remontée d'informations dans les affaires sensibles ? Étiez-vous au courant que le Président de la République, censé être garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, au titre de l'article 64 de la Constitution, était directement intervenu dans un dossier individuel ? Êtes-vous prête à ouvrir une enquête de l'inspection générale de la justice ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI, sur plusieurs bancs des groupes LR et GDR, quelques bancs des groupes SOC et UDI-I, ainsi que parmi les députés non inscrits.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Fabien Di Filippo. Ministre de l'interventionnisme !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Votre question englobe plusieurs éléments auxquels il est très difficile de répondre clairement en quelques minutes… (Protestations sur les bancs des groupes FI et LR.)
M. Marc Le Fur. Elle avoue, c'est scandaleux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . …car le rapprochement des divers éléments que vous avez cités ne produit que de la confusion.
M. Pierre Cordier. Répondez à la question !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . Je répondrai donc en deux points, très clairs, qui fondent l'organisation du parquet à la française.
Premier point : nous avons en effet un parquet hiérarchisé, s'agissant des instructions de politique pénale générale, dès lors que le garde des sceaux, membre du Gouvernement, est responsable devant la représentation nationale.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça, on le sait, madame ! Allez donner vos cours ailleurs !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . Nous sommes responsables politiquement ; il est donc logique que la politique pénale s'applique partout sur le territoire français, et que nous puissions, de ce point de vue, donner des instructions générales.
Second point : s'agissant des remontées d'information que vous avez évoquées, la loi, sur ce point, est également très claire. L'une de mes prédécesseurs a clairement fixé les choses.
M. Thibault Bazin. Donnez son nom !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . Certaines remontées d'information sont possibles, dans des cas très précis, s'il s'agit soit de répondre à des éléments de communication, soit d'avoir connaissance d'éléments de fait relatifs à une politique publique que nous voulons nommer – ou plus précisément porter –, telle que la lutte contre les violences faites aux femmes, soit… (« Lapsus ! » sur les bancs des groupes LR et FI.)
Je ne vois pas pourquoi vous vous excitez devant mon hésitation entre les verbes « porter » et « mener », mais soit !
Parfois, il importe que nous ayons connaissance d'éléments d'appréciation – par exemple dans le cas des situations de violence que nous avons récemment connues à Dijon.
M. Thibault Bazin. Étiez-vous au courant ?
M. Ugo Bernalicis. Répondez plutôt sur l'affaire Kohler !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . J'achèverai mon propos en vous rappelant, monsieur Bernalicis, que le Conseil constitutionnel, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne, ont reconnu que le parquet à la française, ainsi organisé, répondait aux exigences d'indépendance et d'impartialité de la justice. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous allez bientôt partir : bon débarras !
M. Pierre Cordier. Elle essaye de noyer le poisson !
M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis. Madame la ministre, ma question était tout à fait claire ; elle portait sur l'affaire des liens d'Alexis Kohler avec MSC, sur la position adoptée à ce sujet par le parquet général, placé sous votre autorité, et sur la désignation du magistrat chargé d'assurer l'intérim après le départ de Mme Éliane Houlette. Vous faites semblant de ne pas l'avoir comprise. Les Françaises et les Français en tireront les conclusions qui s'imposent. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI, LT, UDI-I et LR, ainsi que parmi les députés non inscrits.)
Auteur : M. Ugo Bernalicis
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 juin 2020