Politique judiciaire
Question de :
M. Antoine Savignat
Val-d'Oise (1re circonscription) - Les Républicains
Question posée en séance, et publiée le 9 juillet 2020
POLITIQUE JUDICIAIRE
M. le président. La parole est à M. Antoine Savignat.
M. Antoine Savignat. Monsieur le ministre de la justice, de longue date je me félicite de partager la même vision que vous de notre système judiciaire et, sans aller jusqu'à qualifier de barbouzes les magistrats du parquet, je dois admettre qu'il y a matière à réflexion. Mais sachez qu'ici, nous sommes très seuls : l'oralité judiciaire n'a plus lieu d'exister, on modernise, on informatise, on automatise – bref, on déshumanise la justice.
Les défenseurs des cours criminelles sont légion et nous sommes peu nombreux à nous être élevés contre cette terrible expérimentation. Donc, monsieur le ministre, bienvenue dans l'opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Vos déclarations passées ne peuvent que réchauffer nos cœurs, tant il est vrai que depuis deux ans et demi nous nous sentons seuls dans l'appréhension de ce que devrait être notre justice.
Mais auparavant, pourriez-vous nous éclairer ? Vous ne deviez jamais occuper ce fauteuil, et vous êtes là ! Vous ne deviez jamais avaler de couleuvre, et vous avez retiré votre plainte pour cette atteinte inadmissible à votre vie privée et au secret professionnel.
M. Michel Herbillon. Eh oui !
M. Antoine Savignat. Monsieur le ministre, vos actions futures seront-elles en adéquation avec vos déclarations passées, ou pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes MODEM, LT et Agir ens.)
M. Michel Herbillon. On n'est pas au spectacle, ici !
M. Pierre Cordier. La gauche n'applaudit pas.
M. le président. Un peu de silence, je vous prie.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous avez raison, nous ne sommes pas au spectacle,..
M. Pierre Cordier. C'est sûr !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. …et je vais répondre à la question que m'a posée M. le député.
Vous savez tous que, lorsqu'on est un avocat pénaliste libre, on n'a pas la même parole que lorsqu'on représente l'État. Cela n'échappe à personne. Avez-vous toujours dit la même chose ? Il est vrai que j'ai dit, un jour, que je n'accepterai pas cette tâche – il doit y avoir une dizaine ou une quinzaine d'années. (Rires et exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) Je vous en prie. Cette première est déjà compliquée pour moi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ainsi que sur plusieurs bancs du groupe MODEM.). – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Michel Herbillon. Vous n'étiez pas obligé d'accepter cette tâche…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J'ai un sens aigu du contradictoire et du respect de la parole de l'autre. J'aimerais que vous me laissiez au moins m'exprimer. Monsieur le député, on ne juge pas des hommes sur des a priori, vous me jugerez sur ce que j'ai fait, quand je l'aurai fait. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Pierre Cordier. Et aussi sur ce que vous aurez dit.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quand on est au café du commerce, on ne s'exprime pas comme un avocat. Quand on est avocat, on ne s'exprime pas comme un ministre. Moi, au café du commerce, je ne porte pas de cravate, mais j'en mets une pour venir à l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM, ainsi que sur de nombreux bancs du groupe LR.)
Plusieurs députés du groupe GDR . Répondez à la question !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je vais vous répondre… Les interruptions sont-elles décomptées, monsieur le président ?
M. le président. Elles ne sont pas décomptées, monsieur le ministre. On souffre en silence. (Rires et applaudissements sur tous les bancs.) Il serait bon, toutefois, que je ne sois pas obligé de faire un nouveau rappel à l'ordre. Cela fait déjà le troisième !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ma parole a été celle d'un homme libre. Ma parole sera celle d'un ministre de ce gouvernement. Je remercie le Président de la République et le Premier ministre de la confiance qu'ils m'accordent. Je veux travailler avec vous tous, députés de la majorité comme députés de l'opposition.
M. Stéphane Peu. Répondez plutôt à la question !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . Encore un mot : je sais que c'est possible, parce que l'idée qu'on se fait de la justice…
Plusieurs députés du groupe GDR . 3, 2, 1, 0 !
M. le président. Mais non ! Poursuivez, monsieur le ministre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. …l'idée, monsieur le député, qu'on se fait de la justice, vous me l'accorderez, transcende les clivages. (Exclamations sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
Plusieurs députés du groupe SOC . Son temps de parole est achevé !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J'ai vécu la commission d'enquête parlementaire chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau : à ma gauche, il y avait, si vous me permettez ce mauvais jeu de mots, les députés Alain Marsaud, Philippe Houillon, André Vallini, dont les sensibilités politiques étaient différentes. Cette commission a débouché sur quatre-vingt-deux propositions : nous pouvons tous travailler ensemble. Voilà ma réponse. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et Agir ens.)
M. Fabien Di Filippo. Il a eu du mal, le garde des sceaux !
M. le président. La parole est à M. Antoine Savignat.
M. Antoine Savignat. Votre réponse, monsieur le ministre, me laisse un peu sur ma faim. J'entends votre appel à travailler tous ensemble : j'espère que vous n'oublierez pas non plus les juridictions civiles, commerciales, prud'homales, administratives, ainsi que le rôle du Conseil d'État dans nos institutions – tout cela est important.
Comme vous l'avez souligné à juste titre, l'exercice ici change, il n'est pas si simple. Ici, les mots ne sont plus rien. Les Français ont besoin d'action. Ils jugeront vos actes. Je vous souhaite d'être très bon. Bon courage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Auteur : M. Antoine Savignat
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 juillet 2020