15ème législature

Question N° 32447
de M. Ugo Bernalicis (La France insoumise - Nord )
Question écrite
Ministère interrogé > Europe et affaires étrangères
Ministère attributaire > Europe et affaires étrangères

Rubrique > administration

Titre > Lanceuse d'alerte au ministère des affaires étrangères

Question publiée au JO le : 29/09/2020 page : 6583
Réponse publiée au JO le : 13/04/2021 page : 3289

Texte de la question

M. Ugo Bernalicis alerte M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les mécanismes mis en place par son ministère concernant les lanceurs d'alerte. La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a donné un cadre commun et harmonisé le dispositif relatif aux alertes, remplaçant ainsi la plupart des dispositifs spécifiques ou sectoriels qui avaient été auparavant instaurés, notamment dans le secteur public. Le législateur a souhaité reconnaître l'intérêt des signalements pour dissuader et prévenir des actes répréhensibles, qu'ils soient ou non constitutifs d'une infraction pénale, et éviter le maintien de situations préjudiciables à l'intérêt général. Les dispositions de la loi s'appliquent tant au secteur public qu'au secteur privé. Le III de l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016, dont le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 porte application, impose notamment aux administrations de l'État et aux établissements publics en relevant d'établir une procédure de recueil de signalements. Ces organismes sont tenus d'en assurer la diffusion par tout moyen, de manière à la rendre accessible à leurs agents et collaborateurs extérieurs ou occasionnels. En outre, il appartient aux administrations concernées de protéger les agents publics qui lancent une alerte sur le plan juridique. En principe, ces articles offrent des garanties et protections communes aux agents faisant un signalement soit au titre de la procédure autonome, déjà prévue en matière de crime et délit par le second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, soit au titre de la procédure prévue par l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016 précitée, qui précise les modalités du signalement concernant l'ensemble des faits susceptibles d'en faire l'objet. Cependant la réalité est tout autre dans les administrations de l'État. Dans son rapport annuel d'activité pour l'année 2019, le Défenseur des droits détaille les failles du dispositif adopté dans le cadre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi « Sapin 2 ». Le Défenseur des droits estime que ce dispositif doit être renforcé. Celui-ci est mal connu des employeurs publics et privés, car seulement 255 dossiers ont été enregistrés en trois ans par l'institution. Le dispositif serait aussi insuffisamment sécurisé pour les citoyens. Selon le Défenseur des droits, le parcours du lanceur d'alerte demeure très « difficile » car « la législation est complexe, et les conditions à remplir pour bénéficier du régime de protection sont nombreuses ». Par exemple, un lanceur d'alerte peut perdre le bénéfice du régime de protection s'il ne respecte pas la procédure d'alerte interne. C'est aussi le cas si la confidentialité des informations qu'il détient n'est pas garantie. Aussi, à l'aune de la future transposition de la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union du 25 septembre 2019, M. le député souhaiterait savoir quelles sont les dispositions spécifiques mises en place par le ministère des affaires étrangères pour assurer la protection effective des lanceurs d'alerte. En outre, M. le député souhaiterait disposer de statistiques sur la gestion par le ministère des dossiers des lanceurs d'alerte : nombre de lanceurs d'alerte, délai de traitement, quelles suites ont été données ? Au-delà de ces questions structurelles, M. le député interroge le ministre sur la situation de Mme Françoise Nicolas, fonctionnaire du ministère des affaires étrangères affectée à l'ambassade de France de Cotonou au Bénin de 2008 à 2010, au sein du service d'action et de coopération culturelle (SCAC) en charge des bourses d'études, des stages, des missions, des invitations et de l'organisation d'examens. Cette situation est à la fois particulière et révélatrice d'un dysfonctionnement au sein du ministère des affaires étrangères et de la fonction publique. Mme Nicolas a alerté en 2009 sa hiérarchie de l'existence de dossiers vides, imputés sur le budget de l'État, signalant ainsi des dysfonctionnements qui engageaient sa responsabilité de chef de service et dans le but de revenir à un mode de fonctionnement normal. Depuis, cette fonctionnaire déclare avoir subi un harcèlement typique d'une lanceuse d'alerte, allant de pressions hiérarchiques à une placardisation et des agressions physiques. Son récit, qu'elle a retracé dans un entretien pour un média sur internet (https://mondafrique.com/nathalie-loiseau-tuer/), est en ce sens édifiant et tend à démontrer un système défaillant dans la protection effective des agents publics au ministère des affaires étrangères. Dans son droit de réponse (https://mondafrique.com/droit-de-reponse-de-nathaie-loiseau-ministre-affaires-europeennes/), Nathalie Loiseau, alors directrice des ressources humaines du ministère, déclare : « Lorsque j'exerçais les fonctions de directrice des ressources humaines du ministère des affaires étrangères, je n'ai jamais été informée directement ou indirectement par Mme Françoise Nicolas d'erreurs de gestion commises dans le poste où elle était affectée. Je n'ai donc été en possession d'aucun élément permettant de la qualifier de "lanceuse d'alerte", contrairement à ce qu'affirme votre article sans la moindre preuve ». Or, en plus d'avoir de manière continuelle alerté sur les faits en cause, Mme Nicolas affirme avoir en vain réclamé ce statut de lanceuse d'alerte dès le vote de la loi Sapin fin 2016, auprès de toutes les autorités possibles, et notamment les autorités du ministère (la directrice des ressources humaines, le médiateur, le référent déontologue, un inspecteur général des affaires étrangères), afin de protester contre le traitement qu'elle subissait. Est-ce à dire que la direction des ressources humaines ne dispose d'aucun registre des signalements et que la question des lanceurs d'alerte n'est toujours pas traitée au sein de ce ministère ? En outre, M. le député souhaiterait connaître les modalités d'accès et de refus de la protection fonctionnelle à un agent du ministère des affaires étrangères. Dans la situation de Mme Françoise Nicolas, sa demande de protection fonctionnelle aurait fait l'objet d'un refus pour des raisons diplomatique car l'État français ne devrait pas prendre parti « pour l'un de ses agents expatriés au détriment d'un agent de droit local ». Cette position, si elle est généralisée, tend à réduire considérablement le bénéfice de la protection fonctionnelle pour les agents publics expatriés. M. le député souhaiterait avoir des précisions sur ce point. Enfin, devant les juridictions administratives, Mme Françoise Nicolas s'est vu systématiquement déboutée de ses demandes au titre de la raison d'État. Cette raison d'État, selon laquelle un gouvernement est autorisé à violer le droit au nom d'un critère supérieur, a raison du but d'ordre politique qui avait déterminé le Gouvernement à le faire ou à donner l'ordre à l'un de ses agents de le faire. Il souhaite avoir la doctrine d'usage de cette notion par le ministère des affaires étrangères et précisément dans la situation d'un agent comme Mme Françoise Nicolas.

Texte de la réponse

La loi du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin 2 » a introduit la possibilité pour un agent public de signaler un dysfonctionnement au sein de son administration. Elle vise ainsi à l'amélioration du fonctionnement de l'administration par la correction d'errements dûment constatés et participe de la lutte contre la corruption. En donnant une définition et en prévoyant une protection du lanceur d'alerte, le législateur a voulu encourager le signalement, dans les entreprises comme dans les administrations. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a chargé le référent déontologue de recueillir, en tant que référent alerte, à partir du 1er janvier 2018, comme l'exigeait la loi, les signalements qui peuvent être émis de façon confidentielle par les membres du personnel du ministère, qu'ils soient fonctionnaires, fonctionnaires stagiaires, agents contractuels, agents de droit local, volontaires internationaux, étudiants stagiaires, ainsi que par l'ensemble de ses collaborateurs occasionnels (consuls honoraires par exemple). Les agents de deux opérateurs sous tutelle du ministère, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et Expertise France, peuvent également accéder à cette procédure. L'arrêté ministériel précisant la procédure définitive a été soumis au Comité technique ministériel (CTM) et signé le 29 juin 2018. Tous les agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ont été prévenus de la mise en place d'un dispositif de recueil d'alerte par un message personnel du ministre et par une information publiée sur l'intranet du ministère, qui a été doté d'une nouvelle rubrique « Lanceurs d'alerte ». La même information a été mise à disposition sur le site web du ministère, France Diplomatie, à destination des agents et collaborateurs sans accès à l'intranet. La procédure mise en place est totalement confidentielle et fonctionne bien. Elle a permis de recueillir une soixantaine de signalements en 2018, 2019 et 2020, dont certains seulement étaient relatifs au ministère et à ses opérateurs. À ce stade, deux signalements ont été retenus par le référent comme "alerte" au sens de la loi. Dans les deux cas, la protection prévue a été déclenchée et une enquête administrative a été diligentée : dans le premier cas, un rapport assorti de recommandations a été élaboré par la mission dépêchée sur place et envoyé dans les trois mois au chef de mission diplomatique pour mettre fin aux dysfonctionnements constatés. Des mesures ont été prises sur cette base. Dans le second cas, l'enquête administrative a conclu à l'absence de dysfonctionnements. Des agents de recrutement local ont été les lanceurs d'alerte pour chacune de ces situations. En revanche, aucun agent titulaire du Département n'a, à ce stade, utilisé cette possibilité. Une nouvelle campagne d'information est prévue en 2021 à destination des personnels du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. S'agissant du cas de Mme Françoise Nicolas : Mme Françoise Nicolas, agent en poste à l'ambassade de France à Cotonou, indique avoir, en 2009, alerté sa hiérarchie de possibles dysfonctionnements au sein du service de coopération et d'action culturelle. Dans ce contexte, elle aurait été victime, en janvier 2010, d'une agression physique de la part d'un agent local de ce service. Il convient de préciser que cette démarche de l'intéressée, dont l'administration n'a jamais contesté la véracité, n'a jamais pu être formellement assimilée à une démarche de lancement d'alerte, aucun document ou élément matériel n'ayant été retrouvé à l‘administration centrale ou dans les archives du service culturel à Cotonou. Dans ce contexte, l'intéressée a saisi le Référent déontologue du MEAE en novembre 2017, en se plaçant dans le nouveau cadre défini par la loi « Sapin 2 », pour lui signaler sa situation en mettant en avant qu'elle était un lanceur d'alerte. Il lui a été répondu qu'une procédure de recueil de signalements serait mise en place au 1er janvier 2018, date d'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016. Alors que Mme Nicolas avait fait savoir qu'elle y aurait recours, elle n'a finalement pas utilisé cette possibilité.  Mme Nicolas a également présenté une demande de protection fonctionnelle à la suite de l'agression susmentionnée. Cette demande a été rigoureusement traitée par l'administration : - informée de cette agression, qui a été reconnue imputable au service, l'administration a rappelé l'intéressée en France, pour la préserver des conséquences et du retentissement médiatique qui auraient pu naître de la procédure pénale engagée à son encontre sur plainte de sa collègue. Ce faisant, le ministère lui a évité d'être exposée à un contexte médiatique et judiciaire qui aurait pu s'avérer préjudiciable. - s'agissant de la protection fonctionnelle, le ministère a rejeté la demande de Mme Nicolas, présentée en 2013, pour un motif d'intérêt général. Cette décision a été annulée par la cour administrative d'appel de Nantes aux termes d'un arrêt du 11 janvier 2018. - conformément à cet arrêt, le ministère a réexaminé la demande de protection fonctionnelle de Mme Nicolas. En l'absence d'élément permettant d'établir le lien entre ces événements survenus au Bénin et le service, et de tout autre élément nouveau transmis depuis la demande initiale (8 ans après les faits), le ministère a considéré que Mme Nicolas n'était exposée à aucune menace ou risque de préjudice à raison de ses fonctions. Conformément à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, il a rejeté, par une décision du 11 avril 2018, la demande de protection fonctionnelle de Mme Nicolas. Mme Nicolas a formé un recours contre cette dernière décision qui est actuellement pendant devant le tribunal administratif de Nantes.