Rubrique > administration
Titre > Lanceuse d'alerte au ministère des affaires étrangères
M. Ugo Bernalicis alerte M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les mécanismes mis en place par son ministère concernant les lanceurs d'alerte. La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a donné un cadre commun et harmonisé le dispositif relatif aux alertes, remplaçant ainsi la plupart des dispositifs spécifiques ou sectoriels qui avaient été auparavant instaurés, notamment dans le secteur public. Le législateur a souhaité reconnaître l'intérêt des signalements pour dissuader et prévenir des actes répréhensibles, qu'ils soient ou non constitutifs d'une infraction pénale, et éviter le maintien de situations préjudiciables à l'intérêt général. Les dispositions de la loi s'appliquent tant au secteur public qu'au secteur privé. Le III de l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016, dont le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 porte application, impose notamment aux administrations de l'État et aux établissements publics en relevant d'établir une procédure de recueil de signalements. Ces organismes sont tenus d'en assurer la diffusion par tout moyen, de manière à la rendre accessible à leurs agents et collaborateurs extérieurs ou occasionnels. En outre, il appartient aux administrations concernées de protéger les agents publics qui lancent une alerte sur le plan juridique. En principe, ces articles offrent des garanties et protections communes aux agents faisant un signalement soit au titre de la procédure autonome, déjà prévue en matière de crime et délit par le second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, soit au titre de la procédure prévue par l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016 précitée, qui précise les modalités du signalement concernant l'ensemble des faits susceptibles d'en faire l'objet. Cependant la réalité est tout autre dans les administrations de l'État. Dans son rapport annuel d'activité pour l'année 2019, le Défenseur des droits détaille les failles du dispositif adopté dans le cadre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi « Sapin 2 ». Le Défenseur des droits estime que ce dispositif doit être renforcé. Celui-ci est mal connu des employeurs publics et privés, car seulement 255 dossiers ont été enregistrés en trois ans par l'institution. Le dispositif serait aussi insuffisamment sécurisé pour les citoyens. Selon le Défenseur des droits, le parcours du lanceur d'alerte demeure très « difficile » car « la législation est complexe, et les conditions à remplir pour bénéficier du régime de protection sont nombreuses ». Par exemple, un lanceur d'alerte peut perdre le bénéfice du régime de protection s'il ne respecte pas la procédure d'alerte interne. C'est aussi le cas si la confidentialité des informations qu'il détient n'est pas garantie. Aussi, à l'aune de la future transposition de la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union du 25 septembre 2019, M. le député souhaiterait savoir quelles sont les dispositions spécifiques mises en place par le ministère des affaires étrangères pour assurer la protection effective des lanceurs d'alerte. En outre, M. le député souhaiterait disposer de statistiques sur la gestion par le ministère des dossiers des lanceurs d'alerte : nombre de lanceurs d'alerte, délai de traitement, quelles suites ont été données ? Au-delà de ces questions structurelles, M. le député interroge le ministre sur la situation de Mme Françoise Nicolas, fonctionnaire du ministère des affaires étrangères affectée à l'ambassade de France de Cotonou au Bénin de 2008 à 2010, au sein du service d'action et de coopération culturelle (SCAC) en charge des bourses d'études, des stages, des missions, des invitations et de l'organisation d'examens. Cette situation est à la fois particulière et révélatrice d'un dysfonctionnement au sein du ministère des affaires étrangères et de la fonction publique. Mme Nicolas a alerté en 2009 sa hiérarchie de l'existence de dossiers vides, imputés sur le budget de l'État, signalant ainsi des dysfonctionnements qui engageaient sa responsabilité de chef de service et dans le but de revenir à un mode de fonctionnement normal. Depuis, cette fonctionnaire déclare avoir subi un harcèlement typique d'une lanceuse d'alerte, allant de pressions hiérarchiques à une placardisation et des agressions physiques. Son récit, qu'elle a retracé dans un entretien pour un média sur internet (https://mondafrique.com/nathalie-loiseau-tuer/), est en ce sens édifiant et tend à démontrer un système défaillant dans la protection effective des agents publics au ministère des affaires étrangères. Dans son droit de réponse (https://mondafrique.com/droit-de-reponse-de-nathaie-loiseau-ministre-affaires-europeennes/), Nathalie Loiseau, alors directrice des ressources humaines du ministère, déclare : « Lorsque j'exerçais les fonctions de directrice des ressources humaines du ministère des affaires étrangères, je n'ai jamais été informée directement ou indirectement par Mme Françoise Nicolas d'erreurs de gestion commises dans le poste où elle était affectée. Je n'ai donc été en possession d'aucun élément permettant de la qualifier de "lanceuse d'alerte", contrairement à ce qu'affirme votre article sans la moindre preuve ». Or, en plus d'avoir de manière continuelle alerté sur les faits en cause, Mme Nicolas affirme avoir en vain réclamé ce statut de lanceuse d'alerte dès le vote de la loi Sapin fin 2016, auprès de toutes les autorités possibles, et notamment les autorités du ministère (la directrice des ressources humaines, le médiateur, le référent déontologue, un inspecteur général des affaires étrangères), afin de protester contre le traitement qu'elle subissait. Est-ce à dire que la direction des ressources humaines ne dispose d'aucun registre des signalements et que la question des lanceurs d'alerte n'est toujours pas traitée au sein de ce ministère ? En outre, M. le député souhaiterait connaître les modalités d'accès et de refus de la protection fonctionnelle à un agent du ministère des affaires étrangères. Dans la situation de Mme Françoise Nicolas, sa demande de protection fonctionnelle aurait fait l'objet d'un refus pour des raisons diplomatique car l'État français ne devrait pas prendre parti « pour l'un de ses agents expatriés au détriment d'un agent de droit local ». Cette position, si elle est généralisée, tend à réduire considérablement le bénéfice de la protection fonctionnelle pour les agents publics expatriés. M. le député souhaiterait avoir des précisions sur ce point. Enfin, devant les juridictions administratives, Mme Françoise Nicolas s'est vu systématiquement déboutée de ses demandes au titre de la raison d'État. Cette raison d'État, selon laquelle un gouvernement est autorisé à violer le droit au nom d'un critère supérieur, a raison du but d'ordre politique qui avait déterminé le Gouvernement à le faire ou à donner l'ordre à l'un de ses agents de le faire. Il souhaite avoir la doctrine d'usage de cette notion par le ministère des affaires étrangères et précisément dans la situation d'un agent comme Mme Françoise Nicolas.