15ème législature

Question N° 331
de M. Jean-Félix Acquaviva (Non inscrit - Haute-Corse )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > collectivités territoriales

Titre > Administration décentralisée de l'État en cas de transferts de compétences

Question publiée au JO le : 08/05/2018
Réponse publiée au JO le : 16/05/2018 page : 3745

Texte de la question

M. Jean-Félix Acquaviva attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur les transferts de compétence vers les collectivités territoriales. Les rapports de différents organismes et institutions, et non des moindres, dont la Cour des comptes, France Stratégie, ce Parlement lui-même, sont unanimes. L'État peine à tirer toutes les conséquences des domaines ayant fait l'objet d'une décentralisation de ses compétences vers les collectivités territoriales. Un rapport de décembre 2017 de la Cour des comptes sur les services déconcentrés de l'État va même plus loin en affirmant que l'État « persiste à vouloir conserver une présence et un rôle » dans des domaines pourtant transférés. Et ce, alors même qu'il serait plus utile de concentrer les moyens et les ressources humaines sur des missions régaliennes ou prioritaires de l'État, comme la sécurité ou la justice. Il s'agit là d'une anomalie qui en dit long sur l'état d'esprit et l'idéologie qui règnent toujours dans les hautes instances de ce pays. Les exemples de doublons, voire même de freins, sont légion dans toutes les régions. Par exemple, dans le domaine de la formation professionnelle : pourquoi maintenir encore des prérogatives de l'État alors que cette compétence est exercée de manière décentralisée par les régions. Mais c'est également le cas dans les domaines du sport, du tourisme ou encore de l'aménagement du territoire. Sur ce dernier point, l'État, à savoir le préfet et les DREAL, veulent encore peser de tout leur poids alors que les schémas régionaux, les SRADDET, sont prescripteurs. En ce qui concerne plus précisément la Corse - mais l'outre-mer pourrait également être évoquée - le statut de 2002 n'est, à bien des égards, pas respecté. L'actualité le prouve chaque jour. La dernière en date est celle de l'inspection générale des finances, diligentée soigneusement par le Président de la République, pour faire un état des lieux de la situation économique de la Corse. Cette méthode où l'État veut être au centre du jeu ne peut être acceptée. Mais encore, le Président de la République a annoncé la construction d'un plan d'accompagnement de la Corse pour « forger l'avenir de l'île dans le bassin méditerranéen ». M. le député souscrit totalement à cette ambition, puisque qu'il s'agit de la leur ! Mais, là où le bât blesse, c'est que l'élaboration de ce plan sera pilotée par le préfet de Corse, balayant d'un revers de main toutes les stratégies actuelles de coopération avec nos voisins méditerranéens, lancées par l'actuelle majorité territoriale. C'est comme si l'on voulait restaurer une forme de tutelle ! C'est faire fi, une fois de plus, de la démocratie et du vote des Corses qui ont élu des représentants pour qu'ils décident, eux, de ce qui est le mieux pour leur développement, en concertation bien évidemment avec les acteurs économiques et sociaux de l'île. C'est à la Corse de parler à l'État et pas le contraire. « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi », disaient Gandhi et Nelson Mandela. Plus généralement, d'autres d'exemples où l'État ne respecte pas la loi pourraient être donnés. Pourquoi maintenir une DRAC en Corse alors que la culture et le patrimoine sont des compétences de la collectivité de Corse ? Dans le domaine de l'agriculture, la loi de 2002 dispose qu'il revient à la collectivité de Corse de déterminer les grandes orientations du développement agricole et rural de l'île. Pour la politique agricole commune (PAC), la collectivité de Corse (CdC) et l'Office de développement agricole et rural de Corse (ODARC) sont respectivement autorité de gestion et organisme payeur (au même titre que les agences de service et de paiement). Et pourtant, alors que le deuxième pilier de la PAC est piloté par la CdC, son premier pilier demeure du ressort de la DRAFF et la DDTM, venant souvent en contradiction avec les orientations stratégiques définies par l'Assemblée de Corse. Il lui demande si le Gouvernement va enfin respecter la démocratie territoriale. Va-t-il être celui qui ira au bout du processus de décentralisation ? Ces ambiguïtés et ces concurrences entre État et collectivités nuisent au développement des territoires et de la Corse tout particulièrement. M. le député plaide pour une clarification des compétences et des pouvoirs décisionnels par une définition claire de ce qui doit être transféré aux collectivités et à la collectivité de Corse, en y incluant les ressources fiscales afférentes. Autrement dit, c'est un vrai statut d'autonomie dans la République, pour la Corse notamment, que l'on ne cesse de réclamer en mesurant bien évidemment toute la charge que leur incombe cette responsabilité. Il ne faut pas lui laisser croire que la décentralisation et la notion d'autonomie feraient partie de l' « ancien monde » ! Il souhaiterait donc connaître ses intentions sur cette question.

Texte de la réponse

ADMINISTRATION DÉCENTRALISÉE DE L'ÉTAT ET TRANSFERTS DE COMPÉTENCES


M. le président. La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour exposer sa question, n°  331, relative à l'administration décentralisée de l'État et aux transferts de compétences.

M. Jean-Félix Acquaviva. Madame la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, les rapports de différents organismes et institutions, et non des moindres – dont la Cour des comptes, France Stratégie, ce Parlement lui-même –, sont unanimes : l'État peine à tirer toutes les conséquences de la décentralisation de ses compétences dans plusieurs domaines vers les collectivités territoriales. Un rapport de la Cour des comptes de décembre 2017 sur les services déconcentrés de l'État va même plus loin en affirmant – je cite – que l'État « persiste à vouloir conserver une présence et un rôle » dans des domaines pourtant transférés. Et ce, alors même qu'il serait plus utile de concentrer les moyens et les ressources humaines sur des missions régaliennes ou prioritaires de l'État telles que la sécurité ou la justice. Il s'agit là, permettez-moi, madame la ministre, d'une anomalie qui en dit long sur l'état d'esprit et l'idéologie qui règnent toujours dans les hautes instances de ce pays. Les exemples de doublons, voire de freins avérés, sont légion dans toutes les régions. Ainsi, pourquoi maintenir encore des prérogatives de l'État dans le domaine de la formation professionnelle alors que cette compétence est exercée de manière décentralisée par les régions ? Mais c'est également le cas en matière de sport, de tourisme ou encore d'aménagement du territoire, par exemple avec l'animation des contrats de ruralité.

S'agissant plus précisément de la Corse – mais je pourrais également parler de l'outre-mer –, le statut de 2002 n'est, à bien des égards, pas respecté ; l'a-t-il d'ailleurs jamais été ? L'actualité nous le prouve chaque jour. Le dernier fait en date renvoie à l'enquête de l'Inspection générale des finances, diligentée soigneusement par le Président de la République pour faire un état des lieux de la situation économique de la Corse alors que la collectivité a élaboré son schéma régional de développement économique. Nous ne pouvons pas accepter cette méthode où l'État veut être seul au centre du jeu. Ou encore, le Président de la République a annoncé un plan d'accompagnement de la Corse pour « forger l'avenir de l'île dans le bassin méditerranéen ». Nous souscrivons totalement à cette ambition puisqu'il s'agit de la nôtre ! Mais là où le bât blesse, c'est que l'élaboration de ce plan sera pilotée par le haut, par le préfet de Corse, balayant d'un revers de main toutes les stratégies et contenus de coopération avec nos voisins méditerranéens – notamment les Baléares et la Sardaigne –, lancés depuis trois ans par l'actuelle majorité territoriale sur des thèmes très précis. C'est comme si l'on voulait restaurer une forme de tutelle ; c'est faire fi, une fois de plus, de la démocratie et du vote des insulaires qui ont élu des représentants pour qu'ils décident, eux, sans passer par les services déconcentrés, de ce qui est le mieux pour leur développement, en concertation bien évidemment avec les acteurs économiques et sociaux de l'île et avec l'État. C'est à la Corse de parler à l'État et non le contraire. « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi », disait Gandhi, puis à sa suite Nelson Mandela ; cette phrase a d'ailleurs été reprise par des députés de La République en marche à propos du plan des banlieues pour exprimer le souhait que les populations soient associées à la programmation plutôt qu'elles ne la subissent par le haut. C'est pourtant ce qui se passe en Corse comme dans d'autres territoires.

Madame la ministre, ce Gouvernement va-t-il enfin respecter la démocratie territoriale ? Va-t-il être celui qui ira au bout du processus de décentralisation à travers une nouvelle ambition ? Ces ambiguïtés et ces concurrences entre État et collectivités nuisent au développement des territoires et des populations, et tout particulièrement de la Corse. Nous plaidons pour une clarification des compétences et des pouvoirs décisionnels, ainsi que pour une définition claire de ce qui doit être transféré aux collectivités, sans oublier les ressources fiscales afférentes. Autrement dit, c'est un vrai statut d'autonomie dans la République, pour la Corse notamment, que nous ne cessons de réclamer en mesurant bien évidemment toute la charge que nous confère cette responsabilité. Nous l'avons assumée depuis trois ans en réglant le problème du transport maritime, qui était mal géré par l'État depuis quarante ans, ou en prenant à bras-le-corps la question des déchets. Ne nous laissez pas croire que, pour vous, la décentralisation et la notion d'autonomie feraient partie de l'ancien monde !

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le député, vous m'interrogez d'abord sur la décentralisation d'une manière générale. Je vous rappelle que la prochaine révision constitutionnelle contient, en cette matière, des avancées importantes pour « conférer aux collectivités une capacité inédite de différenciation, une faculté d'adaptation des règles aux territoires ». La nouvelle rédaction de l'article 72 permettra au législateur de donner des compétences supplémentaires à certaines communes, départements ou régions, sans pour autant modifier le socle commun des compétences de l'ensemble des collectivités de la même catégorie. Il permettra également, sur habilitation, à ces mêmes collectivités de moduler l'exercice des compétences qui leur sont propres en adaptant les normes nationales aux nécessités du terrain. C'est le sens de ce que le Président appelle le pacte girondin.

Pour la Corse, comme l'a dit le Président de la République, rester dans le giron de la France ne signifie ni perdre son âme ni renoncer à ses spécificités. C'est pourquoi la collectivité territoriale de Corse sera mentionnée dans la Constitution ; elle sera constitutionnalisée. Vous savez également que la collectivité de Corse pourra être habilitée par la loi ou le règlement à adapter les règles régissant l'exercice de ses compétences, sans que ces adaptations ne doivent avoir nécessairement un objet limité. Vous le savez, la Corse dispose de surcroît de très vastes compétences, dont le champ s'est régulièrement accru depuis 1982. L'État en a tiré les conséquences, comme en témoignent les transferts de ressources et de personnel qui ont accompagné cette décentralisation chaque fois que nécessaire.

Quant aux exemples que vous citez comme appelant des réorganisations, dans le domaine du sport, de la culture, ou encore du soutien à l'agriculture, il faut les examiner sereinement, dans le cadre des séances communes de travail. Ce n'est ni à la Corse d'interpeller l'État, ni à l'État d'interpeller la Corse ; nous devons travailler ensemble dans l'objectif du développement de la Corse dans la République française.