Droit de l'instruction en famille
Question de :
M. Jean-Luc Bourgeaux
Ille-et-Vilaine (7e circonscription) - Les Républicains
M. Jean-Luc Bourgeaux appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur la modification du droit à l'instruction en famille, lequel serait uniquement concédé pour des raisons médicales, envisagée par le Gouvernement. Le contenu dispensé aux élèves bénéficiant de l'instruction en famille est commun et conforme aux programmes éducatifs et pédagogiques définis par le ministère de l'éducation nationale. 50 000 élèves en bénéficient, 14 000 sur le territoire national, et pas uniquement pour des raisons de santé certifiées par un professionnel médical. L'expatriation est l'une des raisons de ce recours à l'enseignement par correspondance (36 000 élèves), les difficultés d'adaptation à la norme collective scolaire générant des maux psychologiques chez certains enfants ; et enfin, la précocité intellectuelle peut être un particularisme de l'enfant pour lequel l'école de la République, dans toute sa collectivité, ne peut offrir l'enseignement adapté nécessaire. De surcroît, les établissements dédiés, publics ou sous contrat privé, à l'enfant précoce sont souvent éloignés des lieux de vie des familles, peuvent générer des coûts financiers trop élevés et offrent peu de places en structure. L'instruction en famille répond au fondement constitutionnel de « liberté », celui de pouvoir choisir le mode d'enseignement approprié à l'enfant. Les programmes et contenus pédagogiques transmis par les professionnels certifiés de l'éducation nationale, dispensés par les parents de l'élève, font l'objet de suivis, de cadres légaux définis et respectés. Les parents qui ont choisi ce mode d'enseignement adapté à leur enfant l'ont fait pour satisfaire une nécessité éducative et d'épanouissement de l'élève, et non pour « maîtriser ou dogmatiser » l'enfant. Remettre en cause un droit fondamental des familles ne sera pas sans conséquences ; aussi, il lui demande de lui indiquer si l'école publique ou sous contrat privé sera en capacité d'accueillir en 2021, en termes de moyens humains et de capacité d'accueil, tous les élèves bénéficiant à ce jour de l'instruction en famille, les classes étant déjà surchargées.
Réponse publiée le 4 mai 2021
Le Président de la République a annoncé, lors de son discours sur le thème de la lutte contre les séparatismes du 2 octobre 2020, que la scolarisation serait rendue obligatoire pour tous les enfants âgés de trois à seize ans. Ceci implique la restriction de l'instruction dans la famille aux cas pour lesquels la scolarisation de l'enfant est impossible ou pour lesquels la situation particulière de l'enfant justifie une autorisation d'instruction en famille. Il y a lieu, en préambule, de relever que l'instruction en famille augmente fortement chaque année avec une accélération marquée pour la période 2016-2020 pendant laquelle le nombre d'enfants concerné a doublé. Sur dix ans, ce nombre a plus que triplé puisqu'il est passé de 19 000 enfant à la rentrée 2010 à 62 000 à la rentrée 2020. On précisera également que, il y a dix ans, 70 % de ces enfants étaient inscrits au Centre national d'enseignement à distance (CNED) dit « réglementé », c'est à dire en vue de suivre à distance, pour des motifs objectifs (maladie, handicap, itinérance de la famille, éloignement géographique ou activités sportives ou artistiques de haut niveau…) une scolarité conforme aux programmes de l'éducation nationale. En 2020, ils ne représentent plus que 25% de l'effectif total, les 3/4 des enfants étant instruits à domicile pour ce que l'on qualifiera de convenances personnelles puisque les familles n'ont aucune justification à fournir lorsqu'elles procèdent à la déclaration informant l'autorité académique de leur décision. Plusieurs affaires récentes ont montré les limites du dispositif actuel de l'instruction dans la famille ainsi que des risques de persistance du non-respect du droit à l'éducation. Certaines inspections ont ainsi mis en évidence les lacunes d'une part non négligeable des enfants instruits à domicile (10 % des enfants contrôlés présentent des lacunes majeures) ; d'autres ont révélé, indépendamment du niveau scolaire, un repli d'ordre communautaire ou sectaire ; d'autres enfin ont permis de détecter l'existence d'écoles de fait, ouvertes à l'initiative de familles préférant éviter de scolariser leurs enfants dès l'âge de trois ans ou permettre à ces derniers de suivre un enseignement à caractère confessionnel plus marqué voire exclusif d'autres enseignements fondamentaux, empêchant leurs enfants d'acquérir à l'âge de seize ans les connaissances du socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation. Or l'école, qui est au cœur de la promesse républicaine, est le lieu des apprentissages fondamentaux et de la socialisation, où les enfants font l'expérience des valeurs de la République et du vivre ensemble. L'instruction à l'école – qui constitue un droit fondamental de l'enfant – comme l'intérêt supérieur de celui-ci commandent que soient satisfaits deux objectifs : - d'une part, que l'enfant reçoive une instruction effective et complète lui permettant d'acquérir les connaissances, la méthode et l'esprit critique requis à chaque niveau d'enseignement. Il en va à la fois de son épanouissement intellectuel et psychique, et de sa future insertion dans la vie professionnelle. Ceci implique que les enseignements soient dispensés par des professionnels compétents, à même de penser des modalités d'individualisation, régulièrement formés et inspectés ; - d'autre part, la socialisation de l'enfant. Le développement psychologique de l'enfant et la construction de soi passent par de multiples interactions, à la fois avec ses pairs et avec des tiers adultes, qui incarnent une autorité différente de celle des parents. La construction de citoyens libres et éclairés implique qu'un enfant puisse faire la double expérience de l'altérité et de la collectivité, dans un cadre neutre et protecteur, respectueux de ses convictions comme de sa santé. Cette socialisation est d'autant plus importante qu'elle est synonyme d'apprentissage du respect des règles communes : rituels en maternelle, règles de vie à l'école et au collège. Il convient enfin d'ajouter que la scolarisation des enfants relève également d'un enjeu de santé publique et de protection de l'enfance. En termes de prévention, l'école contribue au dépistage de certains troubles et permet de vérifier le respect des obligations vaccinales dans le cadre plus général de l'éducation à la santé : éducation à l'alimentation mais aussi à la sexualité, afin de promouvoir le respect du corps et de l'autre. Le projet de loi n° 3649 confortant le respect des principes de la République pose le principe de la scolarisation obligatoire de l'ensemble des enfants aujourd'hui soumis à l'obligation d'instruction, soit les enfants âgés de trois à seize ans. Il ne pourra être dérogé à cette obligation de fréquenter un établissement d'enseignement public ou privé que sur autorisation délivrée par les services académiques, pour des motifs tirés de la situation de l'enfant et définis par la loi. Les demandes d'autorisation d'instruction dans la famille ne pourront reposer sur les convictions politiques, philosophiques ou religieuses de la famille. L'autorisation ne pourra être accordée que pour les motifs suivants : - l'état de santé de l'enfant ou son handicap ; - la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ; - l'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique d'un établissement scolaire ; - l'existence d'une situation particulière propre à l'enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Synonyme à la fois de qualité de l'instruction et de socialisation, la mesure rendant la scolarisation obligatoire pour les enfants âgés de trois à seize ans dans un établissement d'enseignement public ou privé s'inscrit dans la continuité de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, notamment son article 11 qui a étendu l'instruction obligatoire aux enfants âgés de trois à seize ans, et constitue ainsi un levier de justice sociale et de réussite pour tous les élèves, visant à leur offrir les mêmes chances de réussite dans leur scolarité. La mesure proposée par le projet de loi précité confortant le respect des principes de la République ne crée pas une nouvelle catégorie de personnes soumises à l'obligation d'instruction, mais se borne à modifier les conditions du recours à l'instruction dans la famille. Les établissements scolaires sont d'ores et déjà tenus d'accueillir l'ensemble des enfants soumis à l'obligation d'instruction, celle-ci étant, en application de l'article L. 131-1-1 du code de l'éducation, prioritairement assurée dans les établissements d'enseignement.
Auteur : M. Jean-Luc Bourgeaux
Type de question : Question écrite
Rubrique : Enseignement
Ministère interrogé : Éducation nationale, jeunesse et sports
Ministère répondant : Éducation nationale, jeunesse et sports
Dates :
Question publiée le 17 novembre 2020
Réponse publiée le 4 mai 2021