15ème législature

Question N° 34498
de M. Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine - Seine-Saint-Denis )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > patrimoine culturel

Titre > Basilique du Sacré-Cœur à Paris : non à son classement en monument historique

Question publiée au JO le : 01/12/2020 page : 8552
Réponse publiée au JO le : 23/02/2021 page : 1699

Texte de la question

M. Stéphane Peu attire l'attention de Mme la ministre de la culture sur le classement en monument historique de la basilique du Sacré-Cœur à Paris, en 2021. Le 20 octobre 2020, six représentants officiels des pouvoirs publics se sont réunis afin d'annoncer le classement en monument historique de la basilique du Sacré-Cœur durant l'année 2021. S'il a été présenté sous les traits de la simple formalité administrative par le ministère de la culture et ses représentants, cet acte, chacun le sait en réalité, constitue une profonde attaque contre l'histoire républicaine, la Commune de Paris et la mémoire des communards. En effet, si le vœu de construire le Sacré-Cœur a été lancé quelques mois avant le déclenchement de la Commune de Paris, le sanctuaire est imaginé dès le départ comme un moyen de conjurer les révolutions ayant eu lieu en France depuis 1789, celles-ci étant considérées par les conservateurs comme moralement responsables de la défaite de la France face à la Prusse. C'est en 1873, aux termes des débats houleux entourant le vote de la loi reconnaissant l'utilité publique de l'édifice, que les monarchistes, majoritaires à l'Assemblée nationale, font référence pour la première fois à la Commune de Paris, en approuvant la construction de la basilique au motif que celle-ci permettra d'expier les « crimes de la Commune ». En 1875, à l'occasion de la pose de la première pierre, les communards sont alors décrits par le cardinal Guibert comme des « énergumènes avinés (…) hostiles à toute idée religieuse et que la haine de l'Église semblait surtout animer ». Ainsi conçue comme le symbole par excellence de l'anti-Commune et signe tangible de l'ordre moral, la basilique du Sacré-Cœur est dénoncée en tant que telle par celles et ceux qui, comme M. le député, souhaitent défendre l'héritage laissé par les communards, dont il faut rappeler que 20 000 d'entre eux, au moins, perdirent la vie durant la semaine sanglante de mai 1871. Alors que l'état général du bâtiment ne justifie en rien un classement aux monuments historiques, M. le député regrette d'autant plus une décision qui s'inscrit à quelques mois du 150ème anniversaire de la Commune et, plus singulièrement encore, dans un moment où la République et ses valeurs fondamentales sont attaquées de toutes parts. En conséquence, M. le député souhaite que le ministère revienne sur cette décision, au nom de la défense de la République, de la Commune, des communards et des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité portées haut et fort par Louise Michel et ses compagnons. Il souhaite connaître son avis sur le sujet.

Texte de la réponse

La protection d'un immeuble au titre des monuments historiques est motivée par la reconnaissance de son importance au regard de l'histoire et de l'art, indépendamment de son état de conservation. S'agissant de la basilique du Sacré-Cœur de Paris, son édification, au-delà des intentions de ses promoteurs, s'inscrit indiscutablement dans l'histoire complexe de l'époque, et plus largement au sein du débat autour de la place de la religion et de l'Église dans la société avec les mesures de sécularisation, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat et la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège entre 1904 et 1921. Le vœu de construction de la basilique formulé en janvier 1871 pendant le siège de Paris par deux notables parisiens, après celui de la construction de la basilique de Fourvière à Lyon, intervient peu de temps avant l'avènement de la Commune de Paris. Le chantier s'étendra jusqu'au milieu des années 1920. La basilique du Sacré-Cœur représente par ailleurs le chantier religieux le plus important de son temps, marquant un jalon considérable dans le développement du style néo-roman allié aux références byzantines. Le chantier fut confié à l'architecte Paul Abadie, qui mena sur la cathédrale Saint-Front de Périgueux couverte de coupoles une opération de restauration proche de la reconstruction et dont il s'inspira notamment pour l'édification du Sacré-Cœur. De la volonté même de l'architecte, la richesse du décor est réservée à l'intérieur. La mosaïque mise en place entre 1921 et 1923 dans le chœur de la basilique occupe ainsi une place privilégiée dans l'édifice et constitue, avec sa surface de 475m2, l'une des plus grandes du monde. On compte plus de soixante artistes ayant contribué à la décoration, sans compter ceux qui ont réalisé les pièces d'orfèvrerie ou les ornements liturgiques. Cet édifice, dont d'autres constructions s'inspireront, telles que la basilique Sainte-Thérèse à Lisieux, constitue ainsi non seulement un témoin historique notable, mais aussi une réalisation majeure au regard de l'architecture et de l'art. De plus, outre son inscription dans le paysage parisien et national, on ne peut ignorer le renom international de la basilique du Sacré-Cœur, un des monuments emblématiques de Paris, le plus visité de la capitale après la cathédrale Notre-Dame (avant son incendie) et que beaucoup croyaient déjà protégé au titre des monuments historiques. On peut ajouter que c'est bien en considération de l'histoire nationale sous ses différents aspects que la commission régionale a proposé, lors de la même séance, l'inscription de la statue incarnant la République située place de la République à Paris, symbole de l'implantation du régime républicain et point de ralliement de nombreuses manifestations politiques, syndicales et citoyennes.