Rubrique > enseignement
Titre > Avenir de l'éducation prioritaire
M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur l'avenir de l'éducation prioritaire. Le 22 novembre 2020, la secrétaire d'État à l'éducation prioritaire, Mme Nathalie Elimas, s'exprimait à ce sujet dans la presse. Ses propos ne manquent pas d'inquiéter. Elle a en effet déclaré au Parisien l'intention du Gouvernement de « sortir de [la] logique de zonage pour entrer dans une logique de projet ». Cette intention, même soumise à expérimentation préalable, est grandement dommageable, puisque les contrats et projets, contrairement à la logique de zonage, relèvent du cas par cas. Certes, la logique de zonage a ses limites, puisque certains établissements sont isolés ou, dans d'autres endroits comme Aubervilliers ou Pantin, circonscription d'élection de M. le député, certains établissements sont en REP et d'autres en REP + alors qu'ils présentent les mêmes profils et font face aux mêmes difficultés. M. le député fait cependant observer qu'il est possible d'améliorer le zonage en fonction de critères précis. La logique de projet, au contraire, expose les établissements à l'opacité des critères et à l'arbitraire des moyens. Le classement en REP et REP + donne en effet des moyens prédéfinis, qui sont les mêmes pour tous les établissements, des critères de nombre d'élèves par classe, des primes aux enseignants et des points de mutation sur lesquels ils comptent dans les projets de vie. Ce système est non seulement égalitaire, mais donne aussi de la lisibilité aux parents comme aux enseignants. À l'inverse, la logique contractuelle laisse libre cours aux rapports de force locaux, aux arrangements, voire à la concurrence entre les établissements. Les établissements n'auront pas « seulement » à faire le travail fixé par les programmes nationaux mais devront en outre faire des projets, sans que pour autant les personnes ne soient réellement volontaires pour le faire. Il seront contraints à faire davantage que leur travail pour espérer avoir les moyens matériels, humains et financiers de faire leur travail. Dans les faits, cela contraindra surtout à gérer la pénurie de moyens pour les établissements des milieux populaires à l'échelon local et à culpabiliser les acteurs locaux. L'État se défaussant ainsi de sa responsabilité d'organiser l'égalité des droits sur les établissements eux-mêmes, qui n'ont presque aucun levier d'action. Quant à la limitation à trois ans du dispositif des « projets », elle laisse songeur, puisqu'il ne couvre même pas la scolarité entière d'un élève dans un établissement (5 ans en primaire, 4 ans en collège). Par ailleurs, M. le député souhaite savoir si ce dispositif entend mettre fin au dédoublement des classes de CP et CE1 mis en place au début du quinquennat. Les garanties données par la secrétaire d'État, qui affirme que « les établissements labellisés REP + » ne seront pas touchés, pas plus que « pour l'année 2021, la carte des REP », ne sauraient rassurer réellement puisqu'elle semble impliquer que les choses changeront immédiatement après 2021. Autre point évoqué, dans l'interview donnée par Mme Elimas au Parisien, le développement des « devoirs faits à distance » avec des « bureaux d'aide rapide », appelés BAR, dans lequel des enseignants de différentes disciplines répondent aux questions des élèves quand ils font leurs devoirs chez eux, avec la logique d'un numéro vert, est inquiétant à plus d'un titre. D'abord parce qu'elle entérine la logique numérique de l'aide aux devoirs, qui revient à admettre que les moyens ne seront jamais mis pour garantir une aide effective, par une présence physique d'adultes référents. Ensuite, parce qu'une telle politique est vouée à l'échec. Les enfants des classes populaires sont ceux dont les parents ne peuvent payer d'aide à domicile mais sont aussi ceux qui ont le moins d'équipement informatique, de connexion internet, de savoir-faire à la maison pour utiliser ces outils. Ainsi, il est à craindre que ces « BAR » bénéficient davantage aux catégories plus aisées de la population et ne soient pas directement accessibles aux élèves qui en ont le plus besoin mais n'y auront, de fait, pas accès. Par ailleurs, une telle initiative est sans doute malheureuse en ce qu'elle atteint directement au principe de la neutralité du net. Même si l'intention est de rendre accessibles des contenus pédagogiques, le risque est grand d'entériner un principe où les contenus internet sont différenciés. Cette remise en cause de la neutralité du net, même pour des buts pédagogiques, risque d'ouvrir la boîte de pandore de la différenciation des prix d'accès à internet. C'est ouvrir la porte à des forfaits à des prix différents selon les contenus. Si l'État commence à remettre en cause la neutralité du net, il pourra difficilement l'imposer aux opérateurs. D'autres mesures semblent plus à même de renforcer l'éducation prioritaire, à commencer par attribuer réellement aux établissements les moyens dont ils doivent disposer, veiller au bon remplacement des professeurs absents, reconstituer le réseau des RASED. Aussi, il souhaite apprendre de M. le ministre s'il entend renoncer à ce qui est dans les faits une destruction de l'éducation prioritaire et ce qu'il compte entreprendre afin que le principe républicain d'égalité soit bel et bien appliqué en matière scolaire.