Question écrite n° 35329 :
Fin annoncée de l'instruction en famille hors raisons médicales

15e Législature

Question de : M. Paul Molac
Morbihan (4e circonscription) - Libertés et Territoires

M. Paul Molac interroge M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur la volonté du Gouvernement d'interdire l'instruction en famille (IEF) hors raisons médicales. La fin de l'instruction en famille compterait parmi les mesures destinées à renforcer la laïcité et les principes républicains. Pourtant, si l'instruction est obligatoire, elle ne doit pas être confondue avec la scolarisation car, selon la loi actuelle, les parents sont en droit de choisir de scolariser leur enfant dans un établissement scolaire (public ou privé) ou bien d'assurer eux-mêmes cette instruction. Pour rappel, la liberté d'enseignement est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon la décision n° 77-87 DC du Conseil constitutionnel du 23 novembre 1977. Elle est également reconnue par de nombreuses conventions internationales, notamment la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de 2002. Aussi, comment envisager l'interdiction pure et simple d'une liberté individuelle des plus élémentaires comme l'instruction en famille, sans en premier lieu passer par le renforcement éventuel des contrôles déjà existants ? En outre, si l'objectif affiché est la lutte contre le fanatisme religieux, passer par l'interdiction de l'instruction à domicile pour remplir une telle ambition est illusoire : le nombre d'enfants déscolarisés pour des raisons religieuses serait compris entre 1 000 et 2 000 sur les 50 000 concernés. Cette mesure apparaît donc clairement comme inadaptée et disproportionnée, et pénalisera malheureusement un grand nombre de familles qui ne demandent qu'à offrir le meilleur à leurs enfants. De plus, on le sait, le système scolaire n'est pas adapté à tous. Certains enfants supportent très mal la vie de groupe, le regard des autres, ou tout simplement l'organisation scolaire qui leur est imposée. Dans certains cas, on parle même de phobie scolaire. Doit-on aussi rappeler que, selon l'UNICEF, 700 000 élèves souffrent de harcèlement scolaire en France ? Face à ce fléau, le passage à l'instruction en famille peut constituer la solution. Certes, les enfants ont besoin d'être « socialisés », mais l'instruction en famille ne signifie pas l'enfermement dans la famille. On peut voyager, découvrir le monde, faire du sport ou de la musique, se créer des amitiés ailleurs que dans le strict cadre scolaire. L'instruction en famille permettrait même l'émergence de nouvelles pratiques pédagogiques dont la diffusion peut s'avérer positive pour la société. C'est pourquoi il appelle le Gouvernement à protéger la liberté d'enseignement et donc à renoncer à la suppression de l'instruction en famille, qui ne constitue aucunement un danger pour le territoire national, et à laquelle sont attachées des milliers de familles françaises. Il souhaite connaître son avis sur le sujet.

Réponse publiée le 4 mai 2021

Le Président de la République a annoncé, lors de son discours sur le thème de la lutte contre les séparatismes du 2 octobre 2020, que la scolarisation serait rendue obligatoire pour tous les enfants âgés de trois à seize ans. Ceci implique la limitation de l'instruction dans la famille aux cas pour lesquels la scolarisation de l'enfant est impossible ou pour lesquels la situation particulière de l'enfant justifie une autorisation d'instruction en famille. Il y a lieu, en préambule, de relever que l'instruction en famille augmente fortement chaque année avec une accélération marquée pour la période 2016-2020 pendant laquelle le nombre d'enfants concerné a doublé. Sur dix ans, ce nombre a plus que triplé puisqu'il est passé de 19 000 enfant à la rentrée 2010 à 62 000 à la rentrée 2020. On précisera également que, il y a dix ans, 70 % de ces enfants étaient inscrits au Centre national d'enseignement à distance (CNED) dit « réglementé », c'est à dire en vue de suivre à distance, pour des motifs objectifs (maladie, handicap, itinérance de la famille, éloignement géographique ou activités sportives ou artistiques de haut niveau…) une scolarité conforme aux programmes de l'éducation nationale. En 2020, ils ne représentent plus que 25% de l'effectif total, les 3/4 des enfants étant instruits à domicile pour ce que l'on qualifiera de convenances personnelles puisque les familles n'ont aucune justification à fournir lorsqu'elles procèdent à la déclaration informant l'autorité académique de leur décision. Plusieurs affaires récentes ont montré les limites du dispositif actuel de l'instruction dans la famille ainsi que des risques de persistance du non-respect du droit à l'éducation. Les inspections réalisées ont ainsi mis en évidence des connaissances et compétences d'importances non acquises des enfants instruits à domicile (10 % des enfants contrôlés présentent des lacunes majeures) ; certaines ont révélé, indépendamment du niveau scolaire, un repli d'ordre communautaire ou sectaire et d'autres enfin ont permis de détecter l'existence d'écoles de fait, ouvertes à l'initiative de familles préférant éviter de scolariser leurs enfants dès l'âge de trois ans ou permettre à ces derniers de suivre un enseignement à caractère confessionnel plus marqué, voire exclusif, d'autres enseignements fondamentaux, empêchant leurs enfants d'acquérir à l'âge de seize ans les connaissances du socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation. Or l'École, qui est au cœur de la promesse républicaine, est le lieu des apprentissages fondamentaux et de la socialisation, où les enfants font l'expérience des valeurs de la République et du vivre ensemble.  L'instruction à l'école – qui constitue un droit fondamental de l'enfant – comme l'intérêt supérieur de celui-ci commandent que soient satisfaits deux objectifs : - d'une part, que l'enfant reçoive une instruction effective et complète lui permettant d'acquérir les connaissances, la méthode et l'esprit critique requis à chaque niveau d'enseignement. Il en va à la fois de son épanouissement intellectuel et psychique, et de sa future insertion dans la vie professionnelle. Ceci implique que les enseignements soient dispensés par des professionnels compétents, à même de penser des modalités d'individualisation, régulièrement formés et inspectés ; - d'autre part, la socialisation de l'enfant. Le développement psychologique de l'enfant et la construction de soi passent par de multiples interactions, à la fois avec ses pairs et avec des tiers adultes, qui incarnent une autorité différente de celle des parents. La construction de citoyens libres et éclairés implique qu'un enfant puisse faire la double expérience de l'altérité et de la collectivité, dans un cadre neutre et protecteur, respectueux de ses convictions comme de sa santé. Cette socialisation est d'autant plus importante qu'elle est synonyme d'apprentissage du respect des règles communes : rituels en maternelle, règles de vie à l'école et au collège. Il convient enfin d'ajouter que la scolarisation des enfants relève également d'un enjeu de santé publique et de protection de l'enfance. En termes de prévention, l'école contribue au dépistage de certains troubles et permet de vérifier le respect des obligations vaccinales dans le cadre plus général de l'éducation à la santé : éducation à l'alimentation mais aussi à la sexualité, afin de promouvoir le respect du corps et de l'autre. Le projet de loi confortant le respect des principes de la République pose le principe de la scolarisation obligatoire de l'ensemble des enfants aujourd'hui soumis à l'obligation d'instruction, soit les enfants âgés de trois à seize ans. Après son adoption, il ne pourra être dérogé à cette obligation de fréquenter un établissement d'enseignement public ou privé que sur autorisation délivrée par les services académiques, pour des motifs tirés de la situation de l'enfant et définis par la loi. L'autorisation ne pourra être accordée que pour les motifs suivants : - l'état de santé de l'enfant ou son handicap ; - la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ; - l'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; - l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Synonyme à la fois de qualité de l'instruction et de socialisation, la mesure rendant la scolarisation obligatoire pour les enfants âgés de trois à seize ans dans un établissement d'enseignement public ou privé s'inscrit dans la continuité de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, notamment son article 11 qui a étendu l'instruction obligatoire aux enfants âgés de trois à seize ans, et constitue ainsi un levier de justice sociale et de réussite pour tous les élèves, visant à leur offrir les mêmes chances de réussite dans leur scolarité. Le Gouvernement souhaite limiter la possibilité d'avoir recours à l'instruction en famille, mais, comme l'a rappelé le Président de la République, il ne s'agit pas d'interdire sans discernement tous les dispositifs d'instruction en famille et de porter atteinte aux pratiques positives. Le projet de loi a pour objectif de définir de manière restrictive les exceptions à la scolarisation, afin de ne conserver que les cas relevant de demandes légitimes et de lutter contre toutes les tendances qui mettent en cause l'unité de la République. Il ne s'agit pas de supprimer l'ensemble de l'instruction en famille mais de faire preuve de discernement. La notion d'intérêt supérieur de l'enfant et le respect des droits de l'enfant, en particulier à une éducation complète, seront les critères principaux qui gouverneront l'ensemble du dispositif.

Données clés

Auteur : M. Paul Molac

Type de question : Question écrite

Rubrique : Enseignement

Ministère interrogé : Éducation nationale, jeunesse et sports

Ministère répondant : Éducation nationale, jeunesse et sports

Dates :
Question publiée le 29 décembre 2020
Réponse publiée le 4 mai 2021

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