15ème législature

Question N° 35917
de M. Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine - Bouches-du-Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > crimes, délits et contraventions

Titre > Suite donnée à la condamnation de la France par la CEDH dans l'affaire Baldassi

Question publiée au JO le : 02/02/2021 page : 850
Réponse publiée au JO le : 16/03/2021 page : 2356

Texte de la question

M. Pierre Dharréville interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la doctrine de son ministère à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme le 11 juin 2020 dans l'affaire Baldassi et alii. Pour mémoire, les militants du collectif Palestine 68 avaient mené des actions pacifiques d'appel au boycott des produits issus des territoires colonisés illégalement par l'État d'Israël en 2009 et 2010 à l'intérieur d'un supermarché de Mulhouse. Ils avaient été condamnés le 20 octobre 2015 par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour incitation à la discrimination économique envers des personnes en raison de leur appartenance à une nation. La Cour européenne des droits de l'homme estime, elle, que les actions et les propos des militants « relevaient de l'expression politique et militante ». Il peut être donc attendu que l'État français change dorénavant d'attitude sur ces campagnes visant à dénoncer la politique conduite par des gouvernements de l'État d'Israël. Or, lors d'une rencontre le 17 septembre 2020 entre M. Francis Kalifat et M. le garde des sceaux, ce dernier aurait affirmé, selon le CRIF, que la doctrine de la France en matière de condamnation d'auteurs d'actes et d'appels au boycott d'Israël n'aurait pas évolué en dépit de cet arrêt de la CEDH. De même, le 21 septembre 2020, toujours selon le CRIF, le Premier ministre Jean Castex rencontrant lui aussi Francis Kalifat aurait réaffirmé la validité de la circulaire CRIM-AP n° 09-9006-A4 du 12 février 2010. Cette dernière demandait aux parquets d'engager des poursuites contre les personnes appelant ou participant à des boycotts des produits déclarés israéliens. Il souhaiterait savoir si l'État français compte mettre en œuvre des mesures conformes à l'arrêt de la CEDH et abroger la circulaire sus-citée ainsi que celle dite « Michel Mercier » de 2012.

Texte de la réponse

Si dans sa décision du 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu à la violation de l'article 10 de la Convention relatif à la liberté d'expression, elle a écarté dans le même temps le grief tiré de la violation de l'article 7 (principe de légalité des délits et des peines), constatant qu'avant la date des faits de l'espèce, la Cour de cassation s'était déjà prononcée dans le sens de l'application de l'article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 en cas d'appel discriminatoire au boycott de produits importés d'Israël. En d'autres termes, cet arrêt, qui s'avère protecteur de la liberté d'expression militante, en ce qu'il autorise l'appel au boycott politique, ne remet pas en cause les fondements juridiques de la répression, dès lors qu'est caractérisé un appel à la discrimination, mais vient rappeler une exigence de motivation de ces faits. La direction des affaires criminelles et des grâces a ainsi diffusé le 20 octobre 2020 une dépêche relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens afin d'attirer l'attention des parquets sur le sens et la portée de cette décision. En effet, la Cour a observé que l'appel au boycott, qui combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié, peut selon les circonstances qui le caractérisent, constituer un appel à la discrimination d'autrui. La Cour a donc admis que l'appel à la discrimination pouvait relever de l'appel à l'intolérance, lequel, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine, constitue l'une des limites à ne pas dépasser dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression. En définitive, la Cour n'a pas invalidé la possibilité de poursuites des appels au boycott sur le fondement du droit de la presse et a rappelé qu'il appartenait aux juridictions nationales de vérifier si l'atteinte à la liberté d'expression résultant de la condamnation était « nécessaire dans une société démocratique », c'est-à-dire, notamment, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants. Elle a constaté que dans le cas qui lui était soumis les juridictions internes françaises n'avaient pas analysé les actes et propos poursuivis à la lumière de ces facteurs et avaient conclu de manière générale que l'appel au boycott constituait une provocation à la discrimination, au sens du droit de la presse, et qu'il « ne saurait entrer dans le droit à la liberté d'expression ». La Cour en a donc déduit que la condamnation des requérants ne reposait pas sur des motifs pertinents et suffisants. La dépêche du 20 octobre 2020 incite en outre les parquets à continuer à mettre en œuvre une politique pénale empreinte de pédagogie, en ayant notamment recours aux stages de citoyenneté orientés sur la lutte contre les discriminations. Dans ces conditions, il n'est pas envisagé de revenir sur les précédentes directives de politique pénale et les appels discriminatoires au boycott donneront lieu à des poursuites pénales, dès lors que les circonstances de l'espèce, considérées in concreto, caractériseront un appel à la haine ou à la discrimination et non une simple opinion politique.