15ème législature

Question N° 36107
de M. Gérard Menuel (Les Républicains - Aube )
Question écrite
Ministère interrogé > Armées
Ministère attributaire > Armées

Rubrique > défense

Titre > Remise en cause du statut de militaire

Question publiée au JO le : 09/02/2021 page : 1026
Réponse publiée au JO le : 21/12/2021 page : 9020

Texte de la question

M. Gérard Menuel attire l'attention de Mme la ministre des armées sur les conséquences de la transposition de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, relative au temps de travail, qui prévoit des garanties minimales pour l'organisation du travail de tous les personnels du secteur public ou privé. En effet, l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne a récemment plaidé pour que cette directive s'applique aux membres des forces armées, considérant le militaire comme un travailleur comme un autre, sans spécifité particulière. Cela vient remettre en cause le principe constitutionnel qui donne au chef de l'État « la libre disposition des forces armées ». De plus, en France, par la singularité de leur engagement, les militaires bénéficient d'un statut propre. Si cette directive est transposée en l'état, cela reviendrait à remettre en cause l'esprit de corps des militaires français. Servir la France et ses intérêts ne saurait être un métier comme un autre, c'est pourquoi on parle d'engagement au service de la Nation pour la protéger, quelquefois au risque de sa vie. Il peut paraître cavalier de la part de l'Union européenne de s'immiscer ainsi dans ce qui relève du domaine de la défense. Il semble important de rappeler, conformément au traité de Rome, que certaines spécificités nationales doivent rester au sein de la compétence nationale. Aussi, il souhaite connaître les intentions du Gouvernement sur ce sujet, afin de préserver l'esprit militaire français.

Texte de la réponse

Plusieurs États membres de l'Union européenne, parmi lesquels la France, n'ont pas transposé aux forces armées la directive 2003/88/CE sur le temps de travail, considérant qu'elle ne s'applique pas aux militaires du fait des stipulations du droit primaire, qui n'attribuent pas de compétence à l'Union européenne en la matière, ainsi que des exclusions qu'elle prévoit. C'est la position que la France a rappelée avec constance aux côtés d'autres États membres, faisant valoir que la santé et la sécurité des militaires étaient garanties par des règles protectrices dans le cadre d'un statut qui ménage un équilibre entre droits et devoirs, adapté à la singularité de leur engagement. L'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) juge par principe la directive applicable aux militaires, même s'il ménage certaines exceptions. Or, la directive susmentionnée prévoit un décompte individualisé du temps de travail et un plafonnement de celui-ci à 48 heures hebdomadaires, alors que l'armée française doit, pour assurer la permanence de sa mission, organiser collectivement ses activités. Le niveau d'engagement des forces françaises est particulièrement élevé et repose sur un continuum formation-entraînement-déploiement. Le contexte stratégique et la violence croissante qu'affrontent les armées sur les théâtres extérieurs rappellent combien est important le maintien de forces disponibles en tout temps et en tout lieu, de même que la préservation de l'esprit militaire. La plus grande vigilance est donc apportée à garantir la disponibilité, la combativité, l'interopérabilité et la cohésion de nos armées. La distinction proposée par la CJUE pour décider de l'application de la directive entre activités de haute intensité, d'une part, et activités dites de service ordinaire, d'autre part, n'est pas adaptée au cas d'une armée qui, comme l'armée française, est entièrement professionnalisée. L'application partielle, ou à éclipse, de ce texte n'est pas compatible avec son mode d'organisation. La libre disposition de la force armée constitue par ailleurs un principe à valeur constitutionnelle, comme le rappelle les décisions du Conseil constitutionnel n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014 et n° 2014-450 QPC du 27 février 2015. Par ailleurs, l'unité de sort des militaires, qui se traduit par l'unicité et la singularité du statut, est au cœur de la cohésion et de l'efficacité de nos forces armées. Conformément aux orientations données par le Président de la République, le Gouvernement est déterminé à répondre à cet arrêt de la CJUE par le droit. Les autorités françaises ont entrepris à ce sujet des échanges techniques avec la Commission européenne.