15ème législature

Question N° 36880
de M. Sébastien Chenu (Non inscrit - Nord )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > propriété

Titre > Réformer l'action publique en matière de squats

Question publiée au JO le : 02/03/2021 page : 1816
Réponse publiée au JO le : 31/08/2021 page : 6538

Texte de la question

M. Sébastien Chenu alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'indignation des Français face à l'inaction des autorités publiques en matière de délogement des squatteurs. Les affaires de protection de squatteurs par la justice ne cessent d'éclater. La libération médiatique des voix des victimes s'accroît avec le nombre de leurs appels qui cherchent désespérément un secours auprès de l'État. Les messages de colère provignent. Certaines des victimes sont des personnes âgées incapables d'entreprendre de longues démarches judiciaires ; d'autres sont fatigués par la langueur des procédure et l'immobilisme administratif. Et, pourtant, l'ossature de la République ne promet-elle pas un droit de propriété « inviolable et sacré », pour suivre les mots de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ? Le squat constitue avant tout un délit flagrant à l'encontre du respect de la protection de biens immobiliers, biens à très forte valeur, qui ont requis un investissement particulièrement élevé, et biens à forte valeur symbolique. Il faut rappeler que la France est historiquement un pays de propriétaires et qu'elle est culturellement très attachée au développement du capital patrimonial des particuliers. Non seulement l'état actuel de la loi bafoue la protection de droits fondateurs de la citoyenneté française, mais en plus il révèle une certaine faiblesse dans les prérogatives de la justice. En se cachant derrière l'article 53 du code pénal, sous des motifs a priori sociaux, la justice travestit la portée absolue du droit de propriété sous un prétexte faux d'intérêt général. En effet, ce n'est pas rendre justice que de déplacer le coût de droits de créances, accordés après 48 heures à des criminels, aux propriétaires victimes. Dans cette disposition, l'État se rend complice de l'abus de faiblesse, de la dégradation récurrente, du vol et de l'effraction commis par les squatteurs. Si la précarité est un motif acceptable pour le squat, scénario à l'origine de l'article 61 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, il n'en reste pas moins que l'État est responsable du respect du droit de chacun et par chacun ; c'est pourquoi il devrait être en charge, dans un cas de squat par nécessité, ou bien de dédommager le propriétaire ou bien de reconduire les squatteurs vers les services d'aide appropriés, plutôt que de ne pas agir. Parallèlement, dans le cas d'un squat dans un cadre criminel, c'est-à-dire non légitimé par une condition de précarité du squatteur, l'absence d'habilitation des forces de l'ordre à intervenir et la reconduction de la victime vers une requête d'expulsion sans fin est aberrante. En un mot, l'état actuel de la loi en la matière révèle l'incapacité de l'État à préserver la continuité de ses services, une rupture apparemment bien assumée. De plus, la loi restant l'expression de la volonté générale, il est essentiel qu'elle persévère à le rester. L'opinion publique différant fortement de celle des années 1990 lorsque les références juridiques sur les cas de squats se sont précisées, il est important que la loi évolue pour être en adéquation avec les attentes d'aujourd'hui. Cet impératif n'a pas uniquement un aspect constitutionnel ; il s'agit d'un impératif sécuritaire. Il faut se souvenir de l'affaire Maryvonne Thamin, à Rennes, qui a conduit à des mouvements civils désirant expulser par la force les occupants illégaux. Lorsque des citoyens se sentent contraints de rendre justice par eux-mêmes, l'État doit intervenir. En somme, la justice se doit de corriger le corpus légal en la matière : faciliter les procédures judiciaires en rectifiant le délai de 48 heures, interdire l'obtention de renvoi pour les occupants qui ne possèdent pas de contrat d'habitation valable, l'obligation aux occupants de révéler leur identité après toute initiative de procédure d'expulsion ordonnée par le propriétaire. Ainsi, il lui demande de revoir la loi au sujet des squatteurs dans l'objectif d'assurer la protection du droit des propriétaires, la continuité des services publics, soit d'aides sociales soit pénaux, et l'adéquation des textes juridiques d'avec les réalités d'aujourd'hui.

Texte de la réponse

L'expulsion d'occupants illégaux d'un logement a été facilitée par diverses évolutions législatives. Ainsi, la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015, tendant à préciser l'infraction de violation de domicile, a modifié l'article 226-4 du code pénal en dissociant, dans deux alinéas, le fait de s'introduire dans le domicile d'autrui, à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, de celui de s'y maintenir à la suite d'une introduction par de tels procédés. L'infraction est désormais un délit continu, de sorte que tant que la personne se maintient dans les lieux, les services de police ou de gendarmerie peuvent diligenter une enquête en flagrance, sans qu'il soit besoin de prouver que ce maintien est également le fait de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Fondé sur l'urgence, le cadre juridique de l'enquête de flagrance est prévu aux articles 53 et suivants du code de procédure pénale et autorise une administration coercitive de la preuve d'un crime ou d'un délit « qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre ». Constatant la violation de domicile, l'officier de police judiciaire peut donc exercer, à des fins probatoires, les pouvoirs coercitifs applicables. L'enquête de flagrance menée sous le contrôle du procureur de la République peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours. Pendant ce délai, des investigations sont menées dont la finalité est la recherche d'éléments de preuve permettant d'établir ou non la culpabilité des personnes mises en cause. Ces dernières peuvent, le cas échéant, faire l'objet d'un placement en garde-à-vue, pour permettre la réalisation de l'enquête. Elles ne peuvent faire l'objet d'une décision d'expulsion dans le cadre de l'enquête pénale. L'expulsion des squatteurs ne peut pas davantage être prononcée à titre de sanction. En effet, l'auteur d'une violation de domicile encourt une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, ainsi que les peines complémentaires prévues à l'article 226-31 du code pénal au titre desquelles ne figure pas l'expulsion de l'auteur. En revanche, l'article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite loi DALO, prévoit une mesure administrative d'évacuation forcée permettant de rétablir le propriétaire dans ses droits avec la rapidité requise par la gravité du préjudice qui lui est causé. Elle permet ainsi au propriétaire ou au locataire d'un « logement occupé » de demander au préfet, en cas de violation de domicile, de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux. Cette procédure administrative d'évacuation forcée s'applique dès lors que le délit de violation de domicile, tel que défini à l'article 226-4 du code pénal, est constitué, ce qui suppose la preuve que le logement litigieux constitue le domicile du propriétaire ou du locataire plaignant et la constatation de l'occupation illicite par un officier de police judiciaire. Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effet dans le délai fixé par le préfet, ce dernier doit procéder à l'évacuation forcée du logement, sauf opposition du propriétaire ou du locataire. Très récemment, l'article 73 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), entré en vigueur le 9 décembre 2020, a clarifié les conditions d'application de l'article 38 de la loi DALO et renforcé son efficacité. Tout d'abord, et afin de mettre fin aux ambiguïtés interprétatives relatives à la notion de « domicile », le texte prévoit expressément que la procédure d'évacuation forcée s'applique sans distinction aux résidences principales ou secondaires. En outre, la procédure peut désormais bénéficier non seulement, à la personne dont le domicile est squatté, mais aussi à toute personne agissant dans l'intérêt et pour le compte de celle-ci. Elle n'est donc plus seulement réservée au propriétaire ou au locataire. Par conséquent, l'usufruitier ou les enfants d'une personne âgée placée hors de son domicile pourront engager la procédure administrative d'évacuation forcée. Le demandeur devra au préalable avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l'occupation illicite par un officier de police judiciaire. Par ailleurs, le préfet est dorénavant contraint de prendre la décision de mise en demeure dans un délai de 48 heures à compter de la réception de la demande, et les motifs de refus d'exécution de l'évacuation forcée par le préfet ont été encadrés. En cas de refus, les motifs de la décision sont communiqués au demandeur. Enfin, lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effet dans le délai imparti, le préfet procède, sans délai, à l'évacuation forcée du logement. Cette mesure permet donc une évacuation forcée des occupants illégaux, sans décision de justice préalable. Cette procédure, qui peut être mise en œuvre rapidement, n'implique ni frais de représentation en justice ni recours à un huissier. A la suite de l'entrée en vigueur de ce texte, le ministre de l'Intérieur, le garde des Sceaux ainsi que la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du Logement, ont adressé, le 22 janvier 2021, une instruction aux préfets pour détailler la mise en œuvre de cette procédure et les enjoindre à assurer la rapidité de son exécution. En dehors de cette possible évacuation administrative, le propriétaire ou le locataire d'un local à usage d'habitation squatté peut saisir le juge des contentieux de la protection, aux fins d'obtenir une décision d'expulsion des personnes occupant illégitimement son bien ou son logement. Cette procédure judiciaire permet au demandeur d'obtenir un titre exécutoire prononçant l'expulsion des personnes occupant son bien dans un délai moyen de quatre mois. Par ailleurs, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique a permis de faciliter et de raccourcir les délais de mise en œuvre des expulsions ordonnées judiciairement, en supprimant pour les personnes entrées dans les lieux par voie de fait le délai de deux mois suivant la délivrance du commandement de quitter les lieux pour procéder à cette expulsion et en excluant les squatteurs du bénéfice de la trêve hivernale (soit de plein droit lorsque le bien occupé constitue le domicile du demandeur, soit sur décision du juge). Enfin, l'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des décisions de justice : le refus, tacite ou exprès, d'octroi du concours de la force publique engage la responsabilité de l'Etat, qui peut être condamné à indemniser le propriétaire (article L.153-1 du code des procédures civiles d'exécution). L'ensemble de ces dispositifs permet de répondre efficacement à la problématique des propriétaires victimes de l'occupation illicite de leur logement, à laquelle le Gouvernement est particulièrement attentif.