15ème législature

Question N° 37055
de M. Guillaume Vuilletet (La République en Marche - Val-d'Oise )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > presse et livres

Titre > Droit d'agrément des journalistes en cas de changement d'actionnariat

Question publiée au JO le : 09/03/2021 page : 1934
Réponse publiée au JO le : 21/06/2022 page : 3367
Date de changement d'attribution: 21/05/2022

Texte de la question

M. Guillaume Vuilletet attire l'attention de Mme la ministre de la culture sur la question du droit d'agrément des journalistes en cas de changement d'actionnariat. Il s'agit d'une mesure proposée par Mme Julia Cagé et M. Benoit Hué dans leur ouvrage intitulé « L'information est un bien public » qui vient de paraître. Les deux auteurs proposent un renforcement des dispositions de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, afin de consacrer l'indépendance et la protection des journalistes vis-à-vis des groupes de presse écrite et télévisuelle. Les médias sont au cœur du fonctionnement démocratique de la société et bénéficient d'un important soutien de la part de l'État. Il s'agirait ainsi de garantir aux sociétés des journalistes un droit d'approbation ou de rejet de toute nouvelle arrivée d'un actionnaire important, à l'instar de ce qui fait est au journal Le Monde depuis 2019. C'est pourquoi il souhaiterait savoir comment le ministère pourrait faire avancer la protection des journalistes et s'il lui paraît opportun de souscrire à une telle proposition sur le droit d'agrément.

Texte de la réponse

Le droit à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste est un droit inaliénable pour chaque citoyen, découlant directement de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Chaque jour, des journalistes œuvrent au sein d'entreprises de médias pour que ce droit devienne une réalité concrète pour chaque concitoyen. Ce rôle particulier des journalistes dans la démocratie justifie pleinement la protection dont ils bénéficient dans l'exercice de leur profession. Ainsi, le secret de leurs sources est protégé par l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. De même, l'article 2 bis de la même loi dispose que tout journaliste « a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d'émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice ». Chaque entreprise de presse ou audiovisuelle doit en effet négocier, avec les représentants des journalistes qu'elle emploie, une charte déontologique. En cas d'échec des négociations, la loi du 29 juillet 1881 dispose que « les déclarations et les usages professionnels relatifs à la profession de journaliste peuvent être invoqués en cas de litige ». Ainsi, tout journaliste bénéficie de la protection que lui confère la charte déontologique de son entreprise ou, à défaut, la Charte d'éthique professionnelle des journalistes de 1918, la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes de 1971 ou encore la Charte mondiale d'éthique des journalistes de 2019. Outre ces garanties en matière de déontologie professionnelle, les journalistes bénéficient de dispositions dérogatoires du droit commun particulièrement protectrices en cas de rachat de leur entreprise ou de changement de ligne éditoriale. Ainsi, lorsqu'une telle situation se présente, les dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail, communément appelées « clause de cession » et « clause de conscience », permettent aux journalistes de prendre l'initiative de la rupture de leur contrat de travail tout en bénéficiant de l'indemnité de licenciement. La proposition de droit d'agrément des journalistes en cas de changement d'actionnariat, déjà en vigueur dans certaines entreprises de presse, s'inscrit, elle aussi, dans une logique de plus grande protection des journalistes. Toutefois, imposer un tel agrément par la loi pourrait poser de sérieuses difficultés. En effet, le droit commercial prévoit d'ores et déjà des droits d'agréments en cas de rachat d'une entreprise. Qu'ils soient imposés par la loi ou volontairement inscrits dans les statuts d'une société, ces droits d'agréments bénéficient aux associés dans le cas où l'un d'entre eux souhaite vendre ses parts. De telles dispositions permettent d'éviter qu'un nouvel associé fasse une entrée non désirée au sein de la communauté des associés. Toutefois, afin d'éviter que l'associé qui souhaite vendre ses parts se retrouve dans l'impossibilité de le faire, le droit d'agrément a pour contrepartie l'obligation, pour les autres associés, de se porter acquéreur des parts en lieu et place de l'acquéreur qui n'aurait pas été agréé. C'est pourquoi conférer, sans contrepartie, un droit d'agrément aux journalistes, qui sont des salariés et non nécessairement des associés, en cas de changement d'actionnariat reviendrait à donner à ces mêmes journalistes le droit de bloquer tout projet de cession de l'entreprise qui les emploie, ce qui porterait directement atteinte à la liberté d'entreprendre, principe général à valeur constitutionnelle. De plus, il convient de noter que l'article 4 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse prévoit d'ores et déjà que, pour toute entreprise de presse constituée sous forme de société par actions, « toute cession est soumise à l'agrément du conseil d'administration ou du conseil de surveillance », ce qui peut permettre aux salariés de l'entreprise, dans le cas où ceux-ci sont représentés au conseil, de s'exprimer sur le projet de cession. Enfin, indépendamment du risque d'inconstitutionnalité auquel il s'expose, le droit d'agrément des journalistes constituerait, à n'en pas douter, une désincitation à investir dans les entreprises de médias à l'heure où, au contraire, il importe que celles-ci bénéficient des investissements qui leur permettront de se moderniser. Le ministère de la culture estime ainsi que si le droit d'agrément des journalistes peut être instauré par une décision volontaire des associés d'une entreprise de médias, il ne peut être imposé par la loi.