Le devenir menacé de la profession d'ivoirier(re) artisan d'art en France
Question de :
M. Sébastien Jumel
Seine-Maritime (6e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. Sébastien Jumel alerte Mme la ministre de la culture sur le devenir de la profession d'ivoirier(re) artisan d'art, menacée de disparition par suite de l'application d'un décret de Mme la ministre de l'environnement et du développement durable en date du 16 août 2016 - modifié le 4 mai 2017 - qui prohibe toute activité de vente d'objets sculptés réalisés à partir de stocks d'ivoire ancien. Ces professionnels de la sculpture de l'ivoire, qui sont encore au nombre de cinq en France, et auquel un arrêté du 24 décembre 2015 confère le titre d'artisan d'art, œuvrent notamment à la restauration des pièces en ivoire des collections publiques conservées dans les musées. Leurs entreprises sont aujourd'hui grandement fragilisées, et pour certaines littéralement asphyxiées par suite de la décision du ministère de l'environnement, alors même qu'ils ne travaillent qu'à partir de stocks d'ivoire anciennement constitués expertisés par la brigade Cites, souvent transmis de génération en génération. Leur travail n'a donc aucune part ni incidence sur l'existence d'un trafic international d'ivoire qui génère le braconnage des éléphants. Il l'avait interpellé sur ce même sujet le Gouvernement, par question écrite n° 29-00135 en date du 25 août 2017 et relancée le 30 octobre 2017, et lui demande solennellement ce qu'elle entend entreprendre pour sauver cette profession qui participe du rayonnement culturel de la France, alors même qu'une modification du 4 mai 2017 apportée au décret du16 août 2016 a levé l'interdiction pour deux autres professions, les facteurs d'orgue et de piano.
Réponse en séance, et publiée le 20 décembre 2017
PROFESSION D'IVOIRIER ARTISAN D'ART
M. le président. La parole est à M. Sébastien Jumel, pour exposer sa question, n° 37, relative à la profession d'ivoirier artisan d'art.
M. Sébastien Jumel. Madame la ministre de la culture, la sculpture de l'ivoire est intimement liée à l'histoire de Dieppe, qui possède la deuxième collection d'Europe d'ivoires, avec plus de 2 000 objets conservés au château-musée. L'activité ivoirière, qui s'est développée à partir du XVIe siècle, a fait du port de Dieppe une place portuaire internationale. De la dînette en ivoire remise à Henri IV au couteau en ivoire de mammouth et contenant un fragment de la météorite Gibéon offert au Dieppois Thomas Pesquet, la prestigieuse production dieppoise a essaimé dans tous les hauts lieux du pouvoir. Un atelier dieppois a compté jusqu'à quarante ouvriers au XIXe siècle, âge d'or de la sculpture d'ivoire à Dieppe.
Aujourd'hui, Dieppe compte encore deux ateliers. Les professionnels de la sculpture de l'ivoire – moins de dix en France – sont reconnus artisans d'art par un arrêté ministériel du 24 décembre 2015, eu égard aux qualités et spécificités de ce métier. Ils sont indispensables à la restauration des pièces en ivoire des collections publiques conservées dans nos musées – musée de Dieppe, musée Guimet, musée de Commercy, notamment.
Le 16 août 2016, Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a interdit par décret toute vente d'objet sculpté réalisé à partir de stocks d'ivoire ancien. Légitimement engagé dans la lutte contre le trafic international d'ivoire, le ministère n'a alors pas pris la pleine mesure des conséquences de cette décision, non concertée, sur l'économie du métier d'ivoirier.
Aujourd'hui, les ateliers sont asphyxiés par l'interdiction de vente qui s'impose à eux, alors même qu'ils ne travaillent qu'à partir de stocks d'ivoire anciennement constitués, souvent transmis de génération en génération, et expertisés par la brigade de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction – CITES. Leur travail n'a donc aucune part dans le trafic international d'ivoire, qui entraîne le braconnage des éléphants, ni incidence sur celui-ci.
Depuis 2016, nous avons multiplié les démarches pour sauver les ivoiriers victimes d'une mesure bien intentionnée, mais manifestement mal ciblée. Une modification du 4 mai 2017 apportée au décret a levé l'interdiction pour deux autres professions, les facteurs d'orgue et de piano.
Reste le métier culturel d'ivoirier. Aujourd'hui, madame la ministre, je vous demande ce que vous comptez entreprendre pour sauver le métier d'art d'ivoirier de la disparition certaine à laquelle le condamne le décret du 16 août 2016, en l'état. Cette profession participe pourtant du rayonnement culturel de notre pays : son savoir-faire rare est indispensable à l'entretien des collections publiques d'objets en ivoire.
À ce titre, j'associe à ma question les artisans couteliers de Thiers et de sa région qui travaillent certaines de leurs pièces avec de l'ivoire ancien.
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le député, je salue votre engagement pour les métiers d'art, et particulièrement celui d'ivoirier, qui, par leur richesse, contribuent au rayonnement de la France dans le monde.
Comme vous le savez, l'arrêté du 4 mai 2017 portant modification de l'arrêté du 16 août 2016 relatif à l'interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national a été conçu en accord avec les représentants des professionnels, reçus par le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer.
Des aménagements ont ainsi été apportés pour le commerce d'articles de coutellerie et pour la restauration des objets fabriqués avant le 18 janvier 1990 avec de l'ivoire légalement importé sur le territoire de l’Union européenne avant cette date, à condition d'utiliser de l'ivoire provenant du stock d'ivoire brut détenu par le restaurateur avant la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction.
Aujourd'hui, et malgré ces dérogations, la profession d'ivoirier est fortement fragilisée, ce que je déplore. En effet, vous le savez, monsieur le député, le ministère de la culture a une responsabilité particulière dans le domaine des métiers d'art. J'ai récemment reçu leurs représentants afin d'attribuer des certificats à certains métiers, et valoriser leur transmission. Nous veillons à préserver ces métiers magnifiques, à les soutenir et à les valoriser car ils contribuent non seulement à préserver notre patrimoine, mais aussi à assurer la vitalité de la création et le rayonnement de la France à l'international.
C'est pourquoi, monsieur le député, mes services se rapprocheront de ceux du ministère de la transition écologique et solidaire, afin d'étudier la situation particulière des ivoiriers que vous avez souhaité relayer, ce dont je vous remercie.
M. le président. La parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse. Je me tiens évidemment à votre disposition pour accompagner ces réunions de travail.
J'insiste sur le fait que ces ivoiriers travaillent près de quatre kilogrammes d'ivoire par an provenant de stocks anciennement constitués et parfaitement répertoriés par le CITES. Leur travail, vous l'avez bien compris, madame la ministre, n'est donc pas de nature à aggraver le trafic d'éléphants, que je condamne par ailleurs.
Par ailleurs, Dieppe est l'une des cinq premières villes de France à avoir reçu le label Ville d'art et d'histoire, ce qui est le fruit d'un engagement fort de la collectivité dont j'ai été le maire, pour valoriser, préserver et faire rayonner le patrimoine culturel, artistique et immatériel que représente le savoir-faire des ivoiriers.
J'attache beaucoup d'importance à ce que ces réunions de travail débouchent dans un délai court sur des solutions pragmatiques prenant en compte la spécificité et les difficultés de vie des ivoiriers. Je vous remercie, madame la ministre, de l'attention que vous avez bien voulu porter à ce sujet.
Auteur : M. Sébastien Jumel
Type de question : Question orale
Rubrique : Commerce et artisanat
Ministère interrogé : Culture
Ministère répondant : Culture
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 décembre 2017